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La maladie mentale est source de stigmatisation au sein de notre société. Le regard porté sur les personnes souffrant de troubles psychiques peut parfois être déstabilisant et difficile à vivre. Cela peut entraîner un sentiment de rejet vis-à-vis de l’autre, une perte de confiance en soi et l’impression d’être quelqu’un de différent.

Bien évidemment, la maladie mentale ne se manifeste pas toujours de manière visible et peut passer inaperçue. De plus, certaines personnes ne s’attardent pas à l’image qu’elles renvoient et vivent librement sans se soucier du regard des autres. Cela peut se retrouver chez les personnes ayant les mêmes problèmes, qu’ils soient psychiques ou non.

Suite à une question posée à Nicolas concernant le regard des gens dans la rue, à savoir s’il avait le sentiment d’être dévisagé, il nous a répondu que « non, ils ont un peu moins peur, mais la plupart des gens que je fréquente ont aussi des problèmes, que cela soit au boulot, au foyer ou avec des gens. Ce sont des gens qui ont aussi des problèmes alors ça va très bien. [!] Je crois que cela ne se voit pas trop que j’ai des problèmes » (Entretien n°11).

Dans la situation de Nicolas, nous pouvons voir que la fréquentation des personnes qui vivent la même situation que lui est une source de soutien car cela permet une entraide et un partage du vécu sans être jugé.

Il arrive que le regard et les propos émis dans la rue puissent être déstabilisants et créer une tension interne. Lorsque nous avons posé la même question à Pierre, il nous a répondu qu’ « au début on ne le voyait pas. Maintenant on le voit. Ça parle vite, les gens rient de moi en fonction de ce qui m’est arrivé. Ça parle beaucoup. Des gens sont malveillants avec des propos violents dans la rue [!] ce sont surtout des gens qui connaissent mon histoire. Ils parlent de moi avec de mauvaises intentions. On a le sentiment d’être une proie facile. Je vis très mal cette situation » (Entretien n°9).

Laura, quant à elle, a commencé à prendre du poids suite à la perte brutale de son beau-père. Elle a ainsi eu le sentiment que le regard porté sur elle était différent : « le regard de la société a toujours changé pour moi. D’abord par mon terrible embonpoint, quand je faisais cent kilos. J’étais la grosse vache, je n’étais pas belle, j’étais tout. J’entendais des réflexions dans la rue. Mes camarades de l’école ne voulaient plus me voir à cause de ça » (Entretien n°10).

Suite à la prise de substances, Laura nous fait part également de la stigmatisation qu’elle a ressentie. « Le regard de la société pour moi a changé quand j’étais droguée, quand j’avais l’air hallucinée. On disait « elle est bizarre cette personne ». Donc j’ai

tellement eu l’habitude que le regard ait toujours changé, pas en bien, que maintenant, une pathologie de plus ou de moins » (Entretien n°10). Nous avons le sentiment que Laura s’est faite à l’idée que le regard de la société serait toujours différent que cela soit avec ou sans une ou plusieurs maladies psychiques.

Les nombreux propos énoncés ci-dessous démontrent bien ce qui a été dit dans le cadre théorique sur l’importance du regard que la société peut porter sur autrui. Les personnes ne se rendent parfois pas compte du poids de leur regard et de la souffrance qu’elles peuvent engendrer chez des personnes présentant des troubles psychiques. Laura vit très mal le regard des autres et termine l’entretien par ces quelques mots : « je regarde les personnes qui parlent et qui disent « la schizophrène » et qui froncent les sourcils. Je me dis « mais dans le fond je n’aimerais pas être comme eux ou elles » [!] Mais je regarde, je dis « moi je n’aimerais pas être comme ça, je préfère être comme je suis », même si ce n’est pas formidable. » (Entretien n°10). A travers ces propos, nous avons le sentiment que Laura est catégorisée par sa maladie et qu’elle peine à assumer le regard des autres. Malgré cela, Laura préfère rester elle-même plutôt qu’être une personne portant un jugement sur les autres.

5.2.2 Vécu de l’hospitalisation par les personnes interviewées

Dans ce chapitre, la thématique de l’hospitalisation sera traitée de manière générale. En effet, lors des entretiens, les patients ont peu parlé de leurs ressentis face au syndrome de la porte tournante mais plutôt comment ils avaient vécu l’hospitalisation. Nous aborderons la thématique du syndrome de la porte tournante, en nous intéressant aux diverses émotions que peuvent ressentir des personnes souffrant de troubles psychiques. Ensuite, nous parlerons de la prise en soin ainsi que des relations qui en découlent. Puis, nous discuterons de la gestion et de la préparation de la sortie.

Syndrome de la porte tournante

Les quatre patients que nous avons interviewés ont été hospitalisés à plusieurs reprises au sein d’une structure hospitalière et ont été confrontés au mouvement cyclique de la porte tournante en faisant des allers-retours entre leur domicile et l’hôpital. Nicolas a été hospitalisé à sept reprises et Huguette a été à la clinique de Belle-Idée à douze reprises. Laura et Pierre n’ont pas mentionné le nombre d’hospitalisations. Il est important de préciser que la majorité de ces hospitalisations ont été en entrée non-volontaire.

Pour trois des personnes ayant été hospitalisées à plusieurs reprises, l’hospitalisation a été vécue comme très douloureuse. Ils nous affirment que pour eux, les hospitalisations n’étaient pas nécessaires. Nous pouvons, à ce moment, nous demander pourquoi ces patients reviennent autant de fois à l’hôpital alors qu’ils disent ne pas vouloir être hospitalisés ?

Lorsque nous demandons à Laura comment elle a ressenti les multiples hospitalisations, elle nous répond : « très mal, je n’avais qu’une idée, sortir, alors que beaucoup voulaient rester » (Entretien n°10).

Pour Huguette, les hospitalisations ont été difficiles à vivre car elle était dans l’incompréhension concernant les raisons qui l’ont amenée à chaque fois dans une unité hospitalière. Elle nous dit que lorsqu’on : « rentre à Bel-Air, on devient un objet de soin pour ne pas dire à un cobaye. On y revient presque toujours, j’y crois mais il y a des exceptions et j’espère en être une » (Entretien n°12). A travers ces propos, nous pouvons mettre en avant la douleur ressentie par Huguette lors de ses admissions non-volontaires à l’hôpital qu’elle considère comme étant « un profond anéantissement de son intégrité physique et psychique » (Entretien n°12). Pour elle, les hospitalisations ont été à chaque fois difficiles, car elle n’y est jamais rentrée par sa propre volonté.

Comme discuté dans le cadre théorique, les facteurs pouvant expliquer le syndrome de la porte tournante sont nombreux comme, par exemple, la rupture de traitement. Huguette nous dit « il y avait des moments sans hospitalisation où j’ai pu comprendre la facette des traitements qui sont irréversibles et qui sont toxiques pour le corps » (Entretien n°12). Lorsqu’elle sortait de l’hôpital, Huguette arrêtait de prendre ses traitements en considérant que ces derniers étaient « néfastes » (Entretien n°2) pour son corps. Selon Corruble et Hardy, un défaut de compliance favorise les rechutes et peut entraîner l’apparition de symptômes, ce qui amène à une hospitalisation éventuelle.

Alors que les hospitalisations peuvent être vécues comme très difficiles, elles se révèlent être bénéfiques et rassurantes pour d’autres. Rentrer dans une institution hospitalière peut apporter un soutien et un sentiment de contenance psychique qui permettent à la personne de se sentir bien.

Nicolas nous dit qu’à « chaque fois, j’étais tout seul dans un appartement et je ne me sentais pas en sécurité, alors il me fallait un endroit pour me cacher ou être entouré de personnes à Belle-Idée » (Entretien n°11). Nous pouvons comprendre à travers cette phrase que, pour Nicolas, se faire hospitaliser à la clinique de Belle-Idée lui a apporté un sentiment de sécurité car il considérait l’extérieur comme étant dangereux pour lui et devait « se cacher » des autres.

En cherchant les facteurs de risques et les causes du syndrome de la porte tournante, les auteurs cités dans le cadre théorique, tel que Castro, discutent du rythme de vie des patients, qui est alterné entre les périodes d’hospitalisation et les périodes à l’extérieur. En sortant d’une unité hospitalière, une personne qui présente une maladie psychique peut se sentir déstabilisée face à cet environnement qu’il doit se réapproprier et qu’il considère parfois comme étant hostile. Pour ne pas induire une rupture de contact avec l’extérieur et la vie quotidienne, il est important de ne pas prolonger le séjour d’hospitalisation à plus de jours qu’il n’en faut.

Nous pensons qu’il y a plusieurs éléments pouvant expliquer ce phénomène de la porte tournante. Les personnes qui retournent à plusieurs reprises dans une unité hospitalière présentent, dans la plupart des cas, une pathologie chronique qui demande une prise régulière et continue de médicaments. Il faut s’imaginer que prendre un traitement à vie n’est pas une évidence et que cela demande une motivation et une compliance du patient. De plus, les ressources du patient, ainsi que le soutien de son entourage sont des éléments essentiels pour garantir une stabilité psychique lorsque le patient se retrouve hors des murs de l’hôpital. Nous pensons que la souffrance engendrée par la maladie psychique nécessite, à certains moments, une hospitalisation.

Pour éviter ces allers-retours entre l’hôpital et le domicile, l’équipe soignante doit travailler plusieurs aspects avec la personne souffrant de troubles psychiques, comme par exemple, mettre en avant les facteurs et les caractéristiques du syndrome de la porte tournante, travailler avec les différents réseaux, mettre en place une éducation thérapeutique. Pour garantir une bonne prise en soin à l’extérieur, dans le but de viser une stabilité psychique à long terme, nous pensons qu’il est primordial que tous ces soins soient centrés sur la manière dont la personne vit et perçoit le monde extérieur. Nous pouvons faire un lien direct avec le cadre théorique en ce qui concerne le changement de culture de la position infirmière. Pour travailler avec le patient au sein de la communauté lorsqu’il sort d’une structure hospitalière, une réflexion doit se faire autour du travail à effectuer avec un patient qui transite entre l’hôpital et son domicile.