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Créativité dans les soins : est-elle conçue pour rester vivant en tant que soignant ?

La créativité dans les soins est une notion qui est peu développée dans la littérature. Néanmoins les soignants interviewés ont relevé l’importance de la créativité dans le travail au quotidien. Nous estimons qu'il s’agirait d’un point essentiel à développer dans la pratique, ceci dans le but d’améliorer et d’adapter la prise en soin à chaque patient. Nous avons ainsi décidé d’intégrer cet aspect à notre travail, et d’interroger les soignants à ce sujet.

Dans sa prise en soin, le soignant en psychiatrie peut apporter quelque chose de nouveau, auquel le patient n’avait pas été confronté au cours de ces précédentes hospitalisations. La créativité demande une part de subtilité dans la prise en soin des patients et les moyens mis en œuvre peuvent différer d’une personne à l’autre. Ce « petit quelque chose » (Entretien n°1) de spécial, de nouveau qui peut permettre à la personne soignée d’avoir une stabilité psychique sur le long terme et ainsi prévenir les rechutes.

Lors de l’entretien avec Hélèna, diverses questions ont émané : « A côté de quoi, on est passé pour que la situation comme ça tourne un peu en rond ? Si j’ose dire. Et puis, surtout la grande question c’est, qu’est-ce qu’on peut proposer de différent pour que ça ne se reproduise pas ? » (Entretien n° 2). La créativité dans les soins pourrait-elle donc influer sur les hospitalisations répétées ?

Pour illustrer les propos mentionnés, lors de l’entretien, Marc dit que, « c’est à nous, en tant que soignant de mieux appréhender, à mieux cerner nos patients et à faire preuve d’imagination pour trouver des solutions, pour les aider. Bien sûr, il y a tout ce que je viens de décrire au cours de cet entretien, comme notre façon de travailler, mais il y a aussi parfois des petits détails. Ce qui fait la magie de notre métier, c’est qu’il y a une part de créativité au quotidien, qui nous permet de trouver quelque chose, ou une corde qui touche le patient et qui fait bouger quelque chose » (Entretien n°1).

Au cours de l’entretien, Marc explique également l’originalité et l’improvisation du soin par le biais du jeu : « des fois, les patients s’ennuient et on improvise, tout à coup, une partie de basket. Cela a l’air bête et tout simple, mais dans cet acte informel du jeu, tout à coup, se révèlent certaines choses que le patient ne révélera jamais en entretien plus cadré et certains éléments peuvent être pris après et faire bouger les choses. Le soin psychiatrique se situe aussi là-dedans et on peut trouver certaines richesses et quelques choses qui peuvent faire bouger le quotidien des patients » (Entretien n°1).

La créativité dans les soins permet au soignant de « rester vivant », en réajustant ses pratiques professionnelles et en créant de nouvelles stratégies pour apporter de nouveaux éléments dans la prise en soin. Mathieu affirme « qu’il faut vivre les choses un peu dehors de ce qu’on a l’habitude de faire pour découvrir autre chose, pour justement essayer de sortir de ces sentiers battus pour trouver un équilibre pour la personne » (Entretien n° 4). Il rajoute : « j’aimerais bien avoir un peu plus de pistes car ça en vaudrait vraiment la peine. Je pense que l’imagination, de sortir un peu du cadre imposé, c’est très important dans les soins. Si vous avez vu l’émission de ces personnes qui sont parties en Amazonie, c’est vraiment sortir des sentiers battus et prendre des risques » (Entretien n°4).

A travers cette situation, la prise de risques peut parfois se révéler être bénéfique, car cela permettrait d’ouvrir nos pratiques professionnelles à de nouvelles perspectives, voire de nouveaux projets.

A Genève, un projet peu commun a vu le jour après plusieurs années. Il consistait à emmener six personnes souffrant de troubles psychiques au cœur de la forêt amazonienne entourées d’une équipe soignante pendant un mois. Au sein d’un environnement hostile, elles sont confrontées à elles-mêmes et peuvent ainsi penser leur maladie psychique. L’idée de ce projet a émané d’une infirmière travaillant sur le domaine de Belle-Idée et a été diffusé sur la TSR sous forme de série documentaire de six épisodes intitulée « D’une jungle à l’autre » (2012).

Lors de l’entretien avec Marjorie, elle nous explique l’impact bénéfique de ce genre d’expérience unique qui est de vivre en autarcie dans la jungle amazonienne. « Je pense que d’être loin de la famille, loin de l’hôpital, loin de tout ça permet de se centrer plus facilement sur soi, sur sa maladie, sur ce qu’on a envie. Je pense que ça facilite un peu les choses. On est moins dans les soucis de la vie quotidienne » (Entretien n°5). Ce genre de situation permet à la personne soignée de prendre conscience de là où elle en est dans sa maladie et des ressources qu’elle peut mobiliser une fois de retour en ville.

La prise en soins était beaucoup basée sur le relationnel, le contact et les échanges. Le but premier de ce projet, pour Marjorie, était que « le patient pense sa maladie » (Entretien n°5), et tente de comprendre comment se sont déroulés les événements autour de lui, et l’ont amené à être hospitalisé. La personne interviewée reformule les propos émis par une patiente ayant participé à cette aventure: « « j’ai réussi à traverser l’Amazonie pendant un mois, donc je vais quand même bien réussir à vivre ici, avec toutes les contraintes et tout ce qui peut avoir de difficile ». Je pense qu’ils arrivent quand même à se reposer sur cette expérience pour continuer, quand ils ont des moments difficiles » (Entretien n°5).

Marjorie a notamment procédé à la réalisation d’une fresque dans son unité, avec des patients. Ce projet s’est déroulé sur un an, et a permis aux patients de s’exprimer artistiquement. Avec cette fresque, les compétences des patients ont été valorisées par la hiérarchie, qui a organisé un vernissage. Cependant, pour réaliser tous ces projets personnalisés, nous pensons qu'il faudrait plus de personnel, plus de temps et plus de moyens, afin que les soignants puissent accompagner au mieux chaque patient dans les conditions les plus favorables possibles. Marjorie pense que les projets permettent aux soignants de ne « pas être dans une routine [!] d’amener quelque chose de nouveau dans la pratique, de faire d’autres recherches » (Entretien n°5).

La réalisation de certains projets peut se révéler être bénéfique, mais il est nécessaire pour cela de trouver des ressources financières entre autres, ce qui n’est pas toujours aisé. Il serait préférable de trouver d’autres stratégies pour faire preuve de créativité dans le quotidien de la prise en soin.

Pour Marjorie, être créatif « permet d’amener quelque chose de nouveau dans la pratique et de ne pas être tout le temps dans la même routine et puis d’être fatigué et d’en avoir marre. Je trouve que c’est bien d’avoir un nouvel élan à chaque fois » (Entretien n° 5).

Lorsque nous avons abordé la question de la créativité dans les soins avec Paul, il nous a mentionné l’importance de travailler avec l’environnement. « Travailler dans le

milieu, accompagner la personne, essayer de comprendre ce qu’elle vit, essayer, comme dans le processus de réhabilitation, de reconstruire son réseau social, de reconstruire les liens avec sa famille. [!] Donc il est nécessaire de travailler au quotidien dans le milieu environnant, [!] aller voir un peu ce qui se passe pour lui à l’extérieur» (Entretien n°8). Il mentionne également l’importance de travailler avec les propres ressources telles la famille et les compétences de la personne soignée. Mathieu appuie ces propos en disant « qu’il faut vivre les choses un peu de ce qu’on a l’habitude de faire pour découvrir autre chose » (Entretien n°4).

Nous avons relevé dans le cadre théorique l’importance de travailler avec le milieu, notamment avec le rôle d’une infirmière communautaire. « Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (OFC, 2012). Cela confirme les propos recueillis qui montrent l’importance de travailler avec le mode de vie et le milieu environnant de la personne souffrant de troubles psychiques.

La créativité dans les soins pour Hélèna est importante car cela offrirait la possibilité de mobiliser diverses stratégies et ressources permettant au patient de maintenir un certain équilibre psychique, et qui, à long terme, évitera au patient de retomber dans la spirale des hospitalisations répétées. Cela consisterait à intégrer «quelque chose de plus ludique et de moins conformiste » (Entretien n°2) et la mise en pratique de médecine alternative comme la sophrologie, de la méditation. Elle évoque la richesse du soin infirmier et la possibilité de faire des formations pour élargir le savoir comme une formation en systémique, en thérapie de famille par exemple.

Ces éléments sont, selon elle, une approche plus naturelle, contrairement à l’hospitalisation en psychiatrie qui nécessite des soins plus cadrés et structurés. Il est nécessaire de solliciter les ressources dites « naturelles » du patient en mobilisant le réseau extérieur. Le but étant de « permettre de se recentrer vraiment et de permettre au patient de vraiment vivre là où il est en ce moment-même, afin qu’il ne soit pas projeté dans le même schéma [!] il y a des moments où il faut mettre d’autres lunettes, parce que refaire la même chose, on voit que ça ne fonctionne pas » (Entretien n°2).

Ainsi, la créativité dans les soins dépend de la manière dont le soignant va accueillir le patient dans sa prise en soin quotidienne et peut avoir une influence positive pour prévenir les rechutes et hospitalisations répétées.

Il faut préciser que ces stratégies peuvent être réalisables grâce à la création d’un lien de confiance et d’une alliance thérapeutique. En effet, la mise en confiance est essentielle pour optimiser la prise en soin. Benjamin met en évidence la nécessité de

mettre en confiance le patient et sa famille, afin de favoriser l’entraide, l’investissement du patient dans sa maladie et l’acceptation de cette dernière (informations en lien avec sa maladie, écoute, empathie). Il est donc important de laisser une place à l’imagination, à l’improvisation et à la créativité dans toute prise en soin.

Gestion des émotions dans la relation thérapeutique et mise à