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2.2 Le concept d'intégration

2.2.1 Stratégies d'intégration

La mécanique d'intégration se met en branle en suivant toutes sortes de stratégies, certaines étant déjà identifiées dans les études de Goffman (1961, 1973, 1974) et d’autres

demeurant à identifier, à comprendre, à en saisir la dynamique. Parmi les stratégies d’intégration, les interactions verbales ou non verbales occupent une place importante. D’autant plus que les unes apparaissent, à première vue, comme incluses dans les autres, c’est-à-dire que les stratégies d’adaptation permettent l’actualisation de l’intégration.

Comme il est question dans cette recherche de l'intégration des personnes ayant des déficiences, et que cette intégration sera examinée, entre autres, par le biais des interactions que ces personnes construisent entre elles et avec les autres, nous pouvons nous laisser inspirer par cet auteur qui s'est grandement intéressé aux rites de la vie quotidienne comprenant les interactions. Cependant, certains transferts sont nécessaires par rapport au milieu de travail.

Goffman (1973, 1974) s’est penché sur les interactions entre individus et il a su en rendre compte dans ses deux ouvrages sur "La mise en scène de la vie quotidienne" la partie 1 portant sur "La présentation de soi" et la partie 2 sur "Les relations en public", en plus de son œuvre intitulée: "Les rites d'interaction". À travers ses travaux, il nous laisse donc un bagage référentiel sur l'analyse des interactions entre toutes sortes d'individus. Il nous lègue bon nombre de concepts qui semblent porteurs de sens pour l'interprétation de cette recherche. Songeons seulement aux concepts de "régions antérieures" et de "régions postérieures" qui prennent sens dans les rites d'interaction. Comme pour Goffman "Le monde est un théâtre" le premier fait référence au moment où se prépare la représentation, le spectacle; quant au second "la région postérieure" c'est le moment où l'on donne la représentation, celui où l'on met en place l'équipement nécessaire. Ce qui devient particulièrement pertinent pour cette recherche c'est leur configuration et leur importance pour chaque groupe de travailleurs. Pouvons-nous déceler vraiment des différences?

D'autres points d'attache paraissent utiles pour n'en nommer que deux parmi tant d'autres soit le "comportement de déférence" et "le vocabulaire de l'embarras" qui m’apparaissent particulièrement importants en regard des personnes ayant des déficiences ou des incapacités. Le fait de les appliquer à ce contexte est susceptible de faire naître une multitude de sens qui se reflèteront dans l'analyse des données.

Toujours dans la recherche du sens à donner aux interactions entre personnes ayant des déficiences ou des incapacités et avec les autres, l'étude de Goffman intitulée "Asiles" est susceptible de contribuer à alimenter notre réflexion sur le sujet. Il s'agit d'interactions entre personnes psychiatrisées et personnes sans incapacité, voire le personnel d’un hôpital psychiatrique; mais, dans un contexte tout autre avec une finalité autre que celle de notre recherche. Il est question d’un univers de soins et non d’un univers de production ou d’administration et d’une fin de traitement et non d’une fin d’intégration telle que visée par notre étude.

Il ne faut pas cependant négliger de considérer les stratégies d’adaptation que cet auteur nous fait valoir dans cette étude. Selon lui, elles peuvent être conventionnelles ou primaires, Goffman (1961) c’est-à-dire que l’intégré répond aux attentes fixées par la norme selon des moyens communément répandus ou elles peuvent être non conventionnelles ou secondaires, Goffman (1961) en ce sens que parce qu’il y a une différence, la personne ayant une déficience ou une incapacité utilise d’autres moyens que ceux utilisés par les personnes n'ayant pas de limitation pour tenter encore une fois de répondre aux exigences de la norme. À titre d’exemple, notons la langage des signes (LSQ) qui est utilisé par les personnes ayant une déficience auditive.

Un exemple de la première catégorie de stratégies d’adaptation serait le cas d’une personne ayant une déficience auditive et qui se sert du langage des signes pour comprendre ce qu’elle ne peut pas entendre; mais, sans contourner la norme. À la deuxième catégorie de stratégies d’adaptation appartiendrait l’exemple suivant: le cas d’une personne épileptique qui ne déclare pas son état et qui entre en interaction avec les personnes de son entourage en agissant comme si la déficience neurologique n’existait pas chez elle en souhaitant ne pas faire de crise d’épilepsie en présence de quiconque. Cette personne qui cache sa condition d’épileptique veut toujours répondre à la norme; mais, en la défiant, car ce qui est prévu c’est que la personne épileptique déclare sa condition. Cette non- déclaration peut lui être nuisible si elle est avouée; mais, c’est un coup double de la part de la personne si son épilepsie n’est pas découverte. Cette non-déclaration lui permet d’appartenir à la norme et de perdre son image de personne ayant une déficience.

Mais là encore, même avec les études de Goffman on est toujours au niveau des stratégies d’adaptation qui se mettent en place lorsqu’il y a désir d’interactions du côté des personnes ayant des déficiences ou des incapacités ou stigmatisées surtout. Mais qu’arrive- t-il de la part de leur interlocuteur? Il me semble important de considérer ce qui se passe du côté des deux groupes d'acteurs. L'interlocuteur a, lui aussi, à déployer un ensemble de tactiques quand il entre en interaction avec des personnes différentes à cause d'une déficience ou d'une incapacité. Xiberras (1992) considère que les relations face à face ordinaires portent vers la désintégration entre le stigmatisé et la personne qui ne l'est pas. Il se crée une zone d'incertitude comme si l'individu stigmatisé n'était pas classable et que le monde du stigmate en était un où il existe une infinité d'individus singuliers. D'autant plus que le phénomène est intensifié par le fait que le stigmatisé cherche à dissimuler son stigmate tentant ainsi de passer pour une personne qui ne l'est pas. C’est ainsi que cette recherche tentera de mettre en lumière comment se construisent les interactions entre les deux groupes de travailleurs toujours sous l’angle de la différence.

Cette différence non seulement est scrutée; mais, elle est également traitée du point de vue de son intégration. Il s’agit, en effet, de l’intégration de la différence en milieu de travail et plus particulièrement de travailleurs ayant ces caractéristiques. Ainsi, nous pouvons nous demander comment se construit cette intégration.