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Cette intégration qui est vue par les interactions que les travailleurs construisent peut être comprise au sens de socialisation. Or, il apparaît que la littérature est plutôt muette sur ce sujet par rapport aux personnes ayant une incapacité. Force nous est faite de poser

premier temps. Sur ce point les ressources sont plus grandes. Sans porter nécessairement l'appellation "intégration", elles sont plutôt identifiées par l’appellation socialisation en milieu de travail (Sainsaulieu, 1977; Dubar, 1991).

L’intégration entre travailleurs dits normaux est comprise au sens des relations, des rapports, des interactions que ces personnes entretiennent entre elles. Dans cette littérature, on fait état de la reconnaissance de soi au travail. Selon Sainsaulieu (1977), l'entreprise est un lieu important d'accès à soi-même par les relations qui existent entre les pairs et les travailleurs de niveaux hiérarchiques différents ces relations étant porteuses d'investissements psychologiques.

Il y a donc dans cet investissement une dimension identitaire. Ainsi l’identité est parfois vue comme la cheville ouvrière dans ce processus de socialisation plus spécifiquement nommé intégration au sein de notre propos. Poursuivant dans la voie proposée par Sainsaulieu (1977), cet accès à soi est accompagné d’un accès à l’Autre. Il est question ici d’identité pour soi, d’identité pour autrui. Cet Autre fait aussi appel à la reconnaissance de la différence. L'Autre n'est pas un partenaire neutre nous dit cet auteur. L'influence passe par les échanges humains. On ne peut pas prendre seul connaissance de son identité, que celle-ci dépend des relations que les individus partagent entre eux. Elle se construit aussi par la reconnaissance qui est accordée par l'Autre. Et Chazel (1998) poursuit ainsi :

‘‘Avec Hegel s’impose la nécessité de découvrir, dans l’être même de l’homme, l’inscription de l’Autre et de montrer que le sujet conscient-de-soi ne peut advenir que dans le champ du collectif (p.414)’’

Pour rejoindre le concept de la valorisation des rôles sociaux de Wolfensberger (1991) nous en sommes en pleine application; le travail étant conçu comme un rôle social très important voire même comme "Un Grand Intégrateur" selon Barel (1990). Nous y retrouvons l'occasion d'une construction identitaire déterminante bien qu'il faille aussi être conscient que le travail n'a pas toujours été considéré ainsi puisque dans la Grèce Antique

ce qui a été valorisé c'est la libération de ce type d'activité afin que l'individu puisse avoir la possibilité de consacrer son temps au développement de la Cité dans le sens proprement politique. Cependant à l'âge industriel et post industriel, il a repris sa transcendance et il est devenu un maître d'oeuvre dans la construction de l'identité de l'individu et celle des liens sociaux.

Avec l'âge post-moderne, le travail est de nouveau questionné comme intégrateur, ce qui fera dire à Barel (1990) que le "Grand Intégrateur" est mort et qu'il n'a pas été remplacé. Mort en ce sens qu'il a perdu son sens, il est un élément du vide social où les valeurs anciennes ne font plus l'objet de croyance et où les nouvelles valeurs ne sont pas en place pour la création des liens sociaux et communautaires.

Ville (1998) ira même jusqu'à penser que les personnes ayant une déficience ou une incapacité sont bien placées pour valoriser une situation de non travail étant donné les contraintes auxquelles elles ont à faire face. Et pourtant malgré ces analyses et ses voies d'évitement, la valeur travail fait encore surface particulièrement chez la population qui nous concerne et où l'on sait qu'elle valorise moins le non travail que le reste de la population Ville (1998). Le travail demeure encore une façon de se faire accorder de la reconnaissance Russo (1999). D'autant plus, que le travail s'exprime abstraitement par l'argent Simmel (1987) qui tout en se rapportant aux valeurs personnelles attachées au travail donne également plus de liberté à l'individu. Il permet d'établir une distance qui rend l'individu plus libre face aux diverses opportunités qui s'offrent à lui. Pour quelqu'un qui exploite une terre, par exemple, en ayant accès à l'argent qui se rattache à la valeur de sa terre, il devient plus libre d'accéder à d'autres significations que celles qui lui étaient fournies par sa terre seulement. L'argent remplace en quelque sorte le sens de la terre. L'individu est libéré de quelque chose pour quelque chose d'autre.

C'est aussi ce sentiment d’absence de contrainte qui s'ajoute au travail et qui permet à l'individu de se sentir un acteur qui se construit lui-même et qui construit aussi le milieu auquel il adhère. Le sens de son cheminement personnel et social s'en trouve centuplé. Il y trouve une valeur ajoutée qui donne sens à sa vie en général qu'il y ait aliénation ou non, sa

présence dans un système travail suffit à le rendre satisfait de sa situation et à lui permettre d'absorber les dommages qui peuvent être causés par cette présence.

Xiberras (1992) indique que tous ceux qui ne participent pas à l'échange matériel et symbolique sont considérés comme exclus. La participation au marché de la consommation et au marché de la production par le travail sont des indices d'intégration dans un monde où le modèle dominant demeure "l'Homo Economicus" tel que décrit par Dumont (1985). La participation à ces deux marchés attache les acteurs au système social .

Pharo (1991) dans St-Arnaud (2001; 80) met en évidence que le travail n'est pas seulement un rapport à la production ou à l'efficacité, mais il tient aussi à la dimension identitaire. Notons dans ce sens que le volet identité se développe aussi par divers autres éléments comme la place occupée par un travailleur dans une organisation, le fait d'être consulté, son pouvoir décisionnel, la signification des tâches, la façon dont l'activité professionnelle est reconnue sont autant de points dont il faut tenir compte dans la construction de l'identité. Ce qui est reconnu pour les travailleurs sans incapacité s'applique-t-il aux travailleurs avec incapacité? C'est ce dont cette recherche veut rendre compte.

Nous savons que les interactions entre travailleurs en général, que ce soit sur le plan horizontal (entre collègues situés au même niveau hiérarchique) ou sur le plan vertical (entre collègues situés à différents niveaux hiérarchiques) peuvent être productrices d’identité et de cohésion collective en milieu de travail Dubar (1991). Ces relations ont été étudiées entre corps de métiers, entre professions ou entre genres, par exemple. Ce qui est effectué dans cette recherche, c’est d’examiner ces relations, ces interactions sur la base des différences comprises au sens de la présence de déficience ou d'incapacité peu importe le corps de métier, la profession ou le genre.