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CHAPITRE I : LE TEMPS DE TRAVAIL DES CADRES :

1.3. Méthodologie de l’étude

1.3.2. La stratégie de recueil des données

L’intérêt des monographies pour l’analyse du changement dans l’entreprise est triple. D’une part, elles permettent de reconstituer assez finement les contextes (économiques, sociaux et organisationnels) dans lesquels les jeux d’acteurs trouvent à la fois des éléments de dynamique et de contrainte. D’autre part, elles permettent d’approcher les acteurs eux-mêmes - en les situant précisément dans l’entreprise- et de recueillir leurs discours sur le déclenchement, la mise en œ uvre, les conséquences et le vécu du changement. Enfin, elles autorisent une interprétation plus sûre des données récoltées puisqu’on la fait reposer sur une mise en dialogue cohérente des monologues recueillis. Le matériau rassemblé pour cette étude -qui en constitue le fondement empirique- a été élaboré en ce sens, en articulation avec la problématique de départ.

1.3.2.1. Le recueil de données générales sur l'entreprise et les accords de

RTT auprès d'informateurs compétents

Pour chacune des entreprises de l’échantillon, il a été rassemblé un nombre variable de documents sources indispensables au cadrage socio-économique des entités productives. En priorité, les accords de réduction du temps de travail. Mais également, lorsque cela a été possible : notes d’information sur la RTT ; organigrammes de l’établissement, de la société ou du groupe ; rapports ou comptes annuels d’entreprise ; bilans sociaux ; autres accords d’entreprise ou d’établissement (temps partiel choisi, horaires variables, compte épargne temps) ; convention collective ; journaux d’entreprise ; supports de communication externe ; tracts syndicaux (cf.Annexe1).

Ces informations de base -en qualité et en nombre très inégaux selon les firmes- ont été complétées par l’usage de sources indirectes : presse nationale ou locale ; revues professionnelles ou syndicales ; pages WEB (particulièrement utiles pour rassembler diverses informations économiques et sociales sur des groupes internationaux).

En complément des études documentaires, plusieurs entretiens semi-directifs "lourds" (1 h. 30 à 3 heures)33 ont été conduits auprès d’informateurs compétents. Dans chaque cas, nous avons essayé de rencontrer, séparément, un représentant au moins de la haute direction de l’entreprise ou de l’établissement (président directeur général, directeur général, DRH ou directeur du site) et un ou plusieurs cadres représentants du personnel (délégués syndicaux, signataires ou non de l’accords ; à défaut, délégués du personnel) (cf. tableau 3).

Un parti pris méthodologique fort de l’étude est en effet de "laisser parler les acteurs" et de mettre leurs discours en musique, en relation symphonique parfois, cacophonique à d’autres moments. Non pas que tout soit contenu dans les discours de ceux

qui, au quotidien, construisent et vivent les situations étudiées. Ils nécessitent toujours une intelligibilité globale, une mise en perspective. C’est celle-ci que nous essayerons ici d’établir en montrant comment certains discours se répondent, s’allient, ou s’opposent mais informent toujours sur la réalité que l’on cherche à cerner, armés d’une problématique générale et d’un ensemble d’hypothèses qui nous aident à les interpréter et à les ordonner. La seule contrainte de la méthode étant non seulement d’écouter, mais aussi d’entendre les acteurs sociaux, quels qu’ils soient, où qu’ils soient et quelle que puisse être la syntaxe de leur langue. Et le principal risque étant celui de ne pas réussir à rétablir le "bon" ordre : celui de la réalité qui, toujours, fonde le discours.

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Tableau 3 - Qualités des informateurs d’entreprise et niveau d’enquête.

Entreprise Niveau de l’enquête

Qualité des informateurs de la direction

Qualité des informateurs du personnel VISCLOU Entreprise Président Directeur Général D.P.

EXPERSOC Entreprise Président Directeur Général D.S. (CGT , CFDT)

SOCIOLOG Entreprise Directeur Général/DRH D.S. (CGC , FO )

DISTRIBO Entreprise Directeur/Secrétaire Général D.S. (CFDT)

CONSULTEC Entreprise Président Directeur Général/ DRH

-

URBUS Entreprise DRH D.S. (CGT)

CHIMIPROD Etablissement Directeur / DRH D.S. (CGC)

PHARMACHIM Etablissement DRH D.S. (CFDT)

AERONEF Etablissement Ingénieurs et cadres

PETROCHIM Etablissement Directeur Site Chimie/DRH -

Les entretiens auprès d’informateurs pertinents se sont déroulés suivant un plan qui figure en Annexe 1 de l’étude. Il était attendu des représentants de la direction qu’ils fournissent un discours apportant un triple éclairage sur :

• le contexte économique et social de l’entreprise : histoire, propriété du capital, situation financière, caractéristiques de marché et de production, organisation du travail, gestion des ressources humaines, relations sociales, culture et projet d’entreprise ;

• les facteurs généraux de la réduction de la durée du travail dans l’entreprise : facteurs déclenchants, préparation, déroulement de la négociation, bouclage économique, mise en application à l’ensemble du personnel ;

• les modalités de la réduction du temps de travail des cadres : choix retenus, problèmes posés et, plus généralement, modes de gestion du travail des cadres.

Les représentants du personnels étaient interrogés sur les mêmes thèmes, un accent particulier étant mis toutefois sur des aspects plus spécifiques concernant la participation des salariés en général, et des cadres en particulier, à la construction collective de la norme temporelle, et les pratiques qui en ont résulté.

1.3.2.2. Des entretiens compréhensifs

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auprès de

cadres contextualisés

Si ces premières démarches devaient informer correctement sur la dynamique de construction de la nouvelle norme temporelle, formalisée par un accord d’entreprise au sujet du quel les acteurs institutionnels s’étaient exprimés, elles risquaient, si l’on s’en contentait, de n’éclairer que de très loin l’influence de ce changement formel sur les pratiques sociales des cadres, non seulement dans leur entreprise, mais également au dehors. C’est pourquoi on s’est

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attaché à sélectionner un nombre variable de cadres, dans chacun des établissements étudiés, afin de les soumettre à un entretien approfondi35. Celui-ci se fixait plutôt pour objectif une mise en cohérence compréhensive des fonctions, tâches, rôles, statuts, et nouvelles pratiques temporelles des salariés d’encadrement dans le contexte de travail qui était le leur.

Le choix de cette population de cadres devait de préférence s’appuyer sur une relative diversité par rapport à des critères jugés comme pertinents au niveau des hypothèses. En particulier, il fallait que l’échantillon intègre des types de fonctions variées, tant par rapport au poids du commandement en leur sein (directeurs d’établissements, chefs de services, responsables d’équipes de tailles diversifiées) qu’au regard du type d’activité productive proprement dite qui les sous-tend (expertise technique, ou relationnelle, insérée dans un travail collectif, ou autonome). Il devait en outre prendre en compte la catégorie dans toute son extension, en ne négligeant aucune de ses frontières floues (cadres dirigeants, d’un côté ; maîtrise "supérieure" de l’autre). Enfin, quelques hypothèses, encore latentes mais déjà formulées, sur des différences d’engagement temporel dans le travail entre hommes et femmes ou entre jeunes et moins jeunes, justifiaient que l’on essaye de tenir compte de certaines caractéristiques socio-démographiques des cadres dans la sélection des individus.

Finalement, 6136 entretiens ont été réalisés, dont plus de 50 sont plus directement orientés vers l’expression de discours de cadres sur leurs propres appréciations et pratiques du temps de travail en général, de la RTT en particulier. Ces entretiens, de type semi-directif, étaient destinés à couvrir l’ensemble des questions rassemblées à l’annexe 237. Ils concernent principalement : les axes et les contraintes du travail du cadre au quotidien ; son appréciation de l’accord de RTT et des modalités particulières le concernant ; les problèmes, plus ou moins importants et nombreux qu’il rencontre au quotidien, pour appliquer l’accord, à lui-même et plus généralement dans son équipe ; les implications du temps de travail et de ces tentatives d’aménagement sur sa vie personnelle.

L’échantillon constitué est présenté à l’annexe 3. Il fait ressortir une grande diversité des fonctions exercées par les individus, tant en termes de contenu technique (de métiers : chimie, hydraulique, pharmacie, construction, informatique, comptabilité, gestion, commerce, ressources humaines), qu’au regard de l’importance de la dimension encadrement (du directeur de site de production au responsable d’une petite équipe, en passant par des cadres sans aucune responsabilité hiérarchique) ou du mode d’exécution des tâches (exercice individuel ou

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Les entretiens individuels avec les cadres duraient un minimum d’une heure et se déroulaient, pour la plupart, sur le lieu de travail. Quelques entretiens collectifs ont pu être menés, notamment chez Expersoc et Consultec.

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Toutes les personnes rencontrées étaient des cadres. A quatre exceptions près, les entretiens, mêmes ceux qui ont été menés auprès de nos informateurs, ont débouché sur le thème des pratiques personnelles de temps de travail. En particulier, tous les représentants du personnel ou directeurs salariés se sont livrés sur ce thème.

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Nous préférerions nous référer à la notion d’entretien compréhensif dégagée par KAUFMANN (1997) car elle correspond d’assez près à la démarche utilisée ici. Toutefois, si nous avons largement privilégié, au cours des entretiens, le respect de la logique du discours de nos interlocuteurs, certaines réorientations furent souvent inévitables afin d’éviter de passer à côté de certains thèmes clés de notre grille, thèmes généralement universels et transversaux.

intégration dans un collectif de travail). Toutefois, le choix volontaire a été fait de surpondérer un certain type de fonctions dont le développement particulier aujourd’hui pourrait bien correspondre à des tendances fortes d’évolution du salariat dit "d’encadrement".

Il s’agit principalement d’experts et de consultants salariés travaillant dans le cadre de missions techniques ou commerciales (généralement les deux) et placés dans des systèmes de contraintes (de gestion et de résultats) très particuliers . Ces fonctions se trouvent au cœ ur du débat sur la régulation du temps de travail des cadres puisqu’elles combinent les principaux ingrédients de ce que de nombreux observateurs nomment déjà la crise du temps de travail des cadres : une grande autonomie organisationnelle ; une norme juridique du temps de travail peu praticable et conduisant à l’autocensure ; une dissociation de l’activité d’un lieu de travail collectif ; un travail de production à part entière. Représentatives de nombreuses situations observables aujourd’hui, ces fonctions feront l’objet d’un examen particulièrement attentif dans l’étude.

Comme il apparaît également à l’annexe 3, les cadres retenus présentent des profils socio-démographiques suffisamment variés pour que certaines hypothèses sur les implications différentielles des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, en matière de RTT puissent être testées. Les femmes cadres représentent un peu moins de 30% de l’échantillon. Les tranches d’âge '<35) , (35 - 45) et (>45) pèsent respectivement 22% , 40% et 38% dans l’ensemble de la population enquêtée.