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CHAPITRE II : LES ELEMENTS CONTEXTUELS

2.2. La genèse des accords : éléments de

2.2.4. Sociolog : une RTT (sociale) comme outil

Sociolog est une société anonyme de HLM dont l'objet est de construire, louer, gérer et entretenir des logements destinés, le plus souvent, aux personnes les plus démunies de la région (titulaires de l'A.P.L ; chômeurs, RMIstes). Elle présente, en de nombreux domaines, des caractéristiques très différentes des précédentes. Il s'agit tout d'abord d'une entreprise à forte

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Voilà un drôle de "partage" du travail. 80

A présent, une délégation unique du personnel vient d’être mise en place chez Visclou.. 81

A noter que FO, opposée au mandatement, et peu favorable aux 35 heures, selon Roland, les a "envoyés balader". La CFDT a accepté le mandatement à condition que le délégué prenne le timbre CFDT et - ce qui est contraire aux textes de la loi- ne l’a délivré qu’en fin de procédure de négociation "quand le syndicat a été sûr qu’une majorité des personnels avaient avalisé

vocation sociale, dénationalisée dans les années 1987/1988 82. Son apprentissage des modes de gestion capitaliste83 fût d'autant plus long et compliqué que sa culture était forte (culture sociale, mais aussi culture de "bâtisseurs") et pouvait entrer en opposition avec les nécessaires adaptations au marché du logement social. En effet les Offices et les SA d'HLM , animés par la culture de la reconstruction, avaient beaucoup bâti dans la région au cours des décennies antérieures, depuis l'arrivée des rapatriés d’Afrique du Nord, notamment. Si bien qu'à la fin des années 80 et au début des années 90 les stocks de logements sociaux vacants84 étaient tels (plus de 2000, par exemple, pour Sociolog), qu'il devenait difficile, pour ces sociétés, d'équilibrer leurs comptes. D'une part, les loyers correspondant aux logements construits mais non occupés faisaient défaut ; mais, d'autre part, il fallait bien rembourser les emprunts contractés pour les construire ; et, l'inflation n'était plus là, comme avant, pour aider à résorber la dette : "l'inflation

gommait toutes les erreurs de gestion par rapport aux prêts" (Jean-Jacques, DG).

C'est ainsi que, dans les années 92/93, Sociolog affichait un déficit de quelques 15 MF et frôlait la faillite. La crise était d’ailleurs d’autant plus vive que certaines malversations financières de l’état-major de l’époque étaient mises à jour. La constitution d'une nouvelle équipe dirigeante marque alors un tournant dans la vie de la société : Jean-Jacques, nouveau Directeur Général, connaît parfaitement le monde du HLM, puisqu'il a été Directeur Général de l'Office Municipal de la Ville ; mais il connaît bien également les secteurs plus concurrentiels car il a été plusieurs années promoteur privé. Sa conviction première est qu'il faut à tout prix imposer à l'entreprise le "passage de la construction neuve à la gestion" et réaménager la

"culture des constructeurs ; les gens qui construisaient du neuf étaient les seigneurs dans la maison, ils étaient payés 20% de plus : on construisait, et puis les bouseux géraient derrière....c'était à peu prés l'état d'esprit" La décision est donc prise de cesser tout programme

de construction neuve tant que l'entreprise n'aura pas retrouvé une gestion saine et reconstitué des réserves d'autofinancement : "j'ai démontré, preuves à l'appui, que chaque fois que l'on

faisait un immeuble neuf, on creusait un peu plus notre tombe...donc, j'ai arrêté la construction neuve en leur disant : avant de continuer à construire 200 ou 300 logements par an...occupons nous des 2000 logements vides ; d'où réhabilitations, démolitions..".

La deuxième idée force de la nouvelle stratégie manageriale est de passer de la notion d'"usager" à la notion de "client", ce qui, dans l'entreprise, constitue une révolution culturelle85 tout aussi importante que la précédente ; elle va d’ailleurs beaucoup plus loin,

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Au début des années 1980, Sociolog était encore filiale à 100% d'une entreprise publique et développait son activité dans la construction de foyers pour travailleurs immigrés et étrangers, dans le cadre d'un plan de résorption des bidonvilles de la région.

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Gestion capitaliste placée sous deux contraintes importantes cependant : d’une part, les dividendes servis aux actionnaires sont obligatoirement limités à 1.5 de plus que le taux du Livret A ; d’autre part les loyers praticables sont bornés vers le haut par un plafond (plafond PLA) qui, pour la région, selon le directeur général de Sociolog, est trop élevé pour permettre une occupation convenable des cités HLM.

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Plus de 40 000 logements seraient vacants aujourd'hui, toutes catégories confondues, sur la seule ville de Marseille.

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Une illustration sémantique des difficultés d’imposition d’un changement culturel majeur peut être trouvée dans l’importance du délai (4 ou 5 ans) qu’il aura fallu à Jean-Jacques pour parvenir à transmuter la dénomination "service du développement économique et social" en "service commercial".

puisqu'on peut arriver, en cohérence avec cette idée, à envisager la démolition de que l'on avait construit : "aujourd'hui, voir démolir un immeuble, va contre la culture de l'ensemble des gens

du Ministère de la reconstruction, dont la culture n'est pas de démolir, et contre tous les gens de chez nous, qui disent : mais enfin, on est faits pour construire, on n'est pas faits pour démolir. Alors que, moi, je dis : on est faits pour gérer, et on a construit, par endroit, très mal ; donc, il faut aérer, il faut démolir et gérer cela comme un patrimoine ; parce que si l'on ne démolit pas, si l'on n’aère pas, on n'aura plus de clients" Ainsi, l'évolution n'est pas que de langage : il y a

désormais un client à satisfaire, d'autres stratégies, d'autres organisation et d'autres compétences à mettre en place et à développer, non pas seulement parce que l'on veut appeler "client" un "usager", mais surtout parce que le logement social est désormais un produit positionné sur un marché, et sur un marché très ouvert à la concurrence : la pression de 40 000 logements vides sur la seule ville principale du champ d'activité géographique de l'entreprise catapulte ce produit, jadis très spécifique, sur le marché général du logement : " ...on est en concurrence, non

seulement avec nos collègues, mais avec le privé, avec le parc privé, ce que l'on appelle le parc social de fait". Aujourd'hui, les préoccupations principales de Sociolog sont devenues la

fidélisation du client, la satisfaction de la demande, la gestion du taux de rotation des logements ; et, comme outil une véritable révolution "culturelle" dans l’entreprise.

Le troisième axe selon lequel s'introduit le changement dans l'entreprise est celui de la gestion à long terme : il faut apprendre à anticiper les évolutions du marché et de la demande "..parce que si on construit peu, cela n'a aucune importance. On n'a pas besoin, dans notre

métier, de croître pour embellir, cela n'est pas utile : demain, si je veux arrêter de construire, à 30 ans cela se verra peut-être, mais on est très capitalistiques86 : à 10 ans, cela ne se voit pas. Par contre, ce qu'il faut anticiper très fort, c'est le produit et se demander : mon produit, dans 10 ans, est-ce que je le louerai toujours ?...il faut que tous les logements soient vendables, comme si on allait les vendre, et non pas comme si on allait les louer"

Depuis près de cinq ans, cette politique est mise en place chez Sociolog et a porté ses fruits en matière de résultats économiques et financiers. Elle est passée par une refonte en profondeur des différents services et de l'ensemble de l’organisation. Elle a conduit à une série de déstructurations/restructurations (permutations de postes le plus souvent)87 destinées, non seulement à changer les habitudes et les mentalités88, mais aussi à "transversaliser" l'organisation en détruisant les "baronnies" qui s'étaient constituées en d'autres temps sur la base d'autres systèmes de valeurs89.

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Cf. section précédente : la masse salariale dans la valeur ajoutée de Sociolog dépasse à peine 20%. 87

C'est au titre de la recherche d'une plus grande transversalité dans l'entreprise que la direction générale a par exemple décidé de permuter, au 1er janvier 1999, le directeur de la production et le secrétaire général.

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Patrick, délégué syndical CGC, commente la culture de l’entreprise : "..au départ, c’était un

patronage, quasiment, avec une petite connotation néocolonialiste parce que la présence pieds noirs était très forte ; c’était gentil, c’était....bon, ça a failli nous couler".

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Aujourd’hui, l’organisation de l’entreprise a été revisitée : elle structure un effectif de 200 salariés (dont 33 cadres) à partir de quatre grandes fonctions et un service satellite :

• la direction de l'exploitation, qui coiffe cinq agences, réparties géographiquement à proximité des voies autoroutières en périphérie de la ville, implantées dans des cités importantes gérées par la société ; les chefs d'agence, des cadres, encadrent des agents de proximité ou responsables de cités (entretien courant, nettoiement) ; toutefois, transversalité oblige, l'agence regroupe également des

Tous les acteurs sociaux rencontrés90 s’accordent pour désigner Jean-Jacques, le Directeur Général, comme seul et unique instigateur de la réduction du temps de travail dans l’entreprise. Celui-ci, dés la loi de Robien, a souhaité introduire ce changement chez Sociolog. La loi de juin 1996 n’autorisant pas -au départ tout du moins- les sociétés de HLM à passer une convention avec l’état, il attendit la Loi Aubry pour l’initier, non sans avoir commencé déjà une campagne de sensibilisation à ce thème au sein de l’entreprise. Car en face des motivations gestionnaires91, mais aussi morales, sociales ou personnelles92, qui fondaient la détermination du dirigeant, aucune demande sociale forte n’avait émergé93. Comme le résume Jean-Jacques (DG) lui-même : "Le personnel, d’ailleurs, se disait : mais que nous veut

Jean-Jacques ? ; pourquoi il nous parle des 35 heures ? ; on n’en a rien à cirer, nous ; ce qu’on veut, c’est des sous, et si il nous le propose, c’est qu’il y a anguille sous roche....(..)...donc, il y a tout un travail au corps qui a été fait. J’insistais tout le temps Parce que, moi, j’y voyais, indépendamment du côté civique (les 35 heures, moi, j’en suis persuadé, c’est générateur d’emploi), il y avait aussi le côté organisation de la maison qui permettait, à l’occasion des 35 heures notamment de boucher les trous puisque, bien évidemment, le personnel qu’on embaucherait ne serait pas en proportion du personnel existant mais

personnels relevant d'autres services (agents commerciaux, par exemple) ou de la même direction mais échappant à leur autorité (les agents de recouvrement, par exemple) ;

• la direction commerciale, anciennement direction du développement économique et social, dont dépendent les commerciaux chargés de louer les logements, un service de communication externe et un service du développement des activités annexes (ventes, copropriétés, commerces, foyers) ;

• une direction de la production et une direction technique, qui regroupent 6 conducteurs d'opérations, cadres chargés des opérations de construction et de réhabilitation, un service marchés et administration des ventes, un service foncier et promotion, et un service de montage des réhabilitations et accords locatifs ;

• un secrétariat général regroupant la comptabilité, les finances, le juridique, les RH, le contrôle budgétaire et l'informatique ;

un service d’audit et méthodes.

Un comité de direction rassemble 6 cadres directeurs de service autour du directeur général. 90

Dix personnes ont été interrogées chez Sociolog : le directeur général, deux délégués syndicaux (FO et CGC), cadres dans l’entreprise et sept autres cadres situés à différents niveaux de responsabilité 91

Les négociations ont commencé en février/mars 1998, la Loi Aubry était donc annoncée dans ses axes prévisibles. " quand on sait que l’on doit y passer en l’an 2000 impérativement, quand on sait

que l’entreprise, par ailleurs, peut en tirer une ré allocation de ses moyens, on peut essayer d’en tirer du plus ; ce serait de mauvaise gestion - et là, on retombe sur un domaine beaucoup plus concret, beaucoup plus classique pour un dirigeant d’entreprise- que de ne pas en tirer le maximum d’avantages, en particulier mauvaise gestion que d’attendre le 1er janvier 2000 alors qu’en s’y prenant quelques temps avant....on pouvait obtenir les subventions maximales" (René, directeur de

l’exploitation ). 92

Les uns parlent de motivation d’"ordre civique", ou du fait qu’il avait "été très convaincu par les

travaux de Pierre Larouturou" (René) ; d’autres affirment que “...le cheminement est venu de la direction....(..)....c’est quelqu’un qui aime bien les idées nouvelles, qui aime bien faire avancer les choses et je pense qu’à ce titre, il avait envie de ce challenge ; et puis je pense qu’il voulait aussi, par rapport au personnel, montrer qu’il leur apportait quelque chose de plus au niveau du mode de vie" Danièle, FO). Ajoutons que, autant par conviction personnelle que par bonne connaissance de

ses limites physiques et intellectuelles, le directeur général de Sociolog pratique l’exemplarité et prône depuis bien longtemps à ses collaborateurs une gestion raisonnée de la journée de travail ; c’est un fait connu et reconnu de tous dans l’entreprise.

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"..alors, tout le paradoxe du truc, c’est que la demande est venue du patron ; c’est ce qui a paru extrêmement louche ; en plus, on a un patron qui est un peu autocratique, autocrate..." (Patrick,

tiendrait compte de toute l’évolution que nous avions faite en terme d’entreprise"94.

La première phase de la réflexion de la direction a concerné la construction "théorique" (assez classique dans toutes les entreprises étudiées) de la RTT : d’une part, scénarii de bouclage économique (simulations) à base d’aides financières conventionnelles, de projection de masse salariale sur 5 ans, de coûts de recrutement, de gains de productivité, de stratégie de traitement des futurs départs en retraite, d’affectation des nouveaux embauchés ; d’autre part, mise sous contrainte des modalités de la RTT (modulation annuelle, prise des journées, réduction journalière), sur lesquelles nous reviendrons à l’occasion de l’étude des accords. La deuxième phase, un peu comme chez Chimiprod, consistait, pour le DG, à "...faire

passer la chose auprès du conseil d’administration...(..)....les sociétés anonymes sont assez côté patrons, quoi, elles sont assez patronat....(..)...donc il fallait que je prouve que la société y gagnait....(..)....notre conseil d’administration...c’est des gens qui, quand ils avaient 30 ans, travaillaient le samedi complet..". La troisième étape, à l’image de ce que nous avons rencontré

chez Visclou, devait aboutir à l’obtention de l’adhésion du personnel, à la négociation avec les syndicats représentatifs et à la signature d’un accord.

Six organisations syndicales sont traditionnellement représentées par des délégués syndicaux (mais aussi DP et CE) chez Sociolog : FO, qui avait la majorité aux dernières élections, CFDT, CGC, CFTC, CGT et SNP-HLM95. Pour Danièle, déléguée syndicale FO, la RTT a en fait été "opposée" aux syndicats "dans un contexte où il y avait quand même du

remue ménage dans la maison...(..)....parce que c’était une réponse à une agitation ; elle était due à une prime qui avait été versée au comité de direction, qui, normalement, était confidentielle : ça avait été appris sur le terrain, ça c’est su, alors là...si vous voulez, l’inflation n’augmente pas, les salaires n’augmentent pas beaucoup non plus et il y a eu des négociations assez tendues là-dessus...donc, les gens n’ont pas admis que parallèlement on leur tienne un discours de rigueur et qu’en même temps il y ait une prime qui avait été donnée au comité de direction". Néanmoins, les délégués de quatre organisation syndicales (FO et CGC en tête, mais

aussi CFDT et CFTC), habitués à "beaucoup de concertation tout de même avec la direction" entreprirent de servir de relais96 au projet de réduction du temps de travail élaboré par la direction ; la CGT et le syndicat HLM "n’ont pas du tout joué le même jeu que nous et,

effectivement, on n’a pas fait équipe avec eux" (Danièle)

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On peut classer les préoccupations de gestion qui guident la direction vers la RTT autour de rois axes : le renfort des points faibles (en amenant de la "matière grise" dans une "société qui a vieilli" en certains lieux de l’organisation), la continuité du service ("qu’on trouve toujours quelqu’un dans

la maison entre 8 h. 30 et 18 h. 30) et la modulation (notamment pour les services comptables et

financiers et en production). 95

A noter que les déléguées, à l’exception du représentant de la CGC, sont des femmes ; le taux global de féminisation du personnel de Sociolog avoisine 45%, les femmes étant nombreuses dans les fonctions de propreté et les postes administratifs, mais représentent 33% chez les cadres, dont deux chef de service, parmi lesquelles un membre du comité de direction, deux chefs d’agence et une conducteur d’opérations.

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Bernard, juriste et chargé des ressources humaines, utilise l’expression : "...çà c’est globalement

C’est donc une équipe relativement soudée97 qui entreprend de convaincre un personnel assez agité, certes par la prime du comité de direction, mais surtout, par des problèmes d’adaptation aux changements introduits par des réorganisations récentes et, chez les opérationnels, les problèmes d’insécurité dans les cités qui mettent en jeu à la fois leur vie, leurs biens et la "manière d’appliquer leur professionnalisme" 'Danièle, FO). Des oppositions au projet s’expriment donc98, mais au bout de 16 réunions au cours desquelles le groupe des 4 rencontre tout le personnel et recueille ses positions, un compromis acceptable (notamment sur les conditions salariales du projet) est trouvé avec la direction : l’accord est ainsi signé (ainsi qu’un accord de classification et un nouvel accord d’intéressement), par quatre organisations syndicales seulement,99 le 24 juin 1998, soit onze jours après la promulgation officielle de la loi Aubry.

2.2.5. Distribo : une RTT 'politique) comme outil de gestion et