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CHAPITRE III : LE COMPROMIS SUR LA NORME

3.5. Les moyens mis en œ uvre pour la réduction du temps

3.5.1. RTT des cadres, organisation du travail et

L'accord de Chimiprod a un contenu exclusivement technique de réglementation du temps de travail, de prévision d’embauches et de fixation de la nouvelle norme salariale. Seul un préambule indique l’objet du réaménagement des temps de travail : il s’agit de "faciliter le

reclassement interne du personnel dont le poste est appelé à être supprimé dans le cadre de la réorganisation". Aucune allusion n’est faite ni à la manière de diminuer la charge de travail, en

proportion de la RTT, ni aux moyens qui seront mis en œ uvre pour adapter une quantité réduite de travail à une charge donnée.

Le cas de Chimiprod n’est pas isolé, même si il représente bien une espèce de caricature de l’idée, pragmatique après tout, selon laquelle "on verra bien", "les responsables, les cadres, s’organiseront pour réaliser les gains de productivité voulus". Le problème, en particulier dans des établissements comme celui-ci, soumis depuis déjà longtemps à des objectifs permanents de réduction des coûts, est que les poches de productivité sont devenues plus rares et qu’il peut paraître difficile et vain d’énoncer de nouvelles recettes organisationnelles. L’hypothèse implicite est donc faite que les acteurs concernés, les cadres en particulier, désireux de profiter de la RTT, posséderont ainsi une stimulation suffisante pour inventer des solutions.

Plusieurs accords appellent ces solutions de leurs vœ ux , mais sans jamais indiquer le chemin d’une seule. Distribo souhaite bien "concilier compétitivité et développement de

l’emploi" et "créer des conditions idéales de souplesse et de flexibilité de l’organisation".

L’accord de Sociolog estime que "la mise en place de ces nouveaux horaires peut déboucher

sur de sensibles améliorations de l’organisation même du travail et de la qualité de vie professionnelle" ; d’ailleurs, la poursuite de l’amélioration de la situation économique de

l’entreprise "doit nécessairement passer par un gain de productivité dont les bénéfices

permettront d’assurer durablement un service de qualité à notre clientèle" et par conséquent "il est donc nécessaire de trouver par le biais du présent accord : des économies pour compenser le surcoût pendant la durée des aides ; le moyen de gagner en productivité sur le long terme pour ne pas compromettre l’équilibre économique global de l’entreprise".Mais, dans le corps de

l’accord bien entendu, ces bonnes intentions restent lettre morte : aucune préconisation, aucun mode d’emploi en termes d’organisation du travail ne se fait jour.

On retrouve la même chose chez Aeronef, où les parties signataires manifestent bien, par la signature de leur accord, une volonté de "rechercher par la voie contractuelle les

conditions permettant d’assurer la réactivité et la compétitivité de la Société, en regard de son environnement économique. Elles soulignent que la préservation et le développement de l’emploi passent nécessairement sur le long terme par un renforcement de l’efficacité du fonctionnement industriel de l’entreprise".

D’autres textes, tel l’avenant de l’accord signé chez Consultec, paraissent ne laisser planer aucun doute sur la charge de travail que devront affronter les cadres à temps réduit : "Le

volume d’activité de chaque bureau reste identique après application de la réduction du temps de travail grâce à une réorganisation des tâches des membres du bureau et des embauches complémentaires". Toutefois, les améliorations de l’organisation du travail envisagées ne sont

pas énoncées dans le texte.

Chez Urbus, en revanche, où le coût de la RTT a été entièrement pris en charge par l’entreprise et les aides financières de l’Etat, la volonté d’avancer dans le sens d’un ajustement de l’organisation à la nouvelle norme temporelle prend la forme d’un engagement de la direction à faire un point régulier avec les représentants du personnel sur les avancées et les innovations en matière d’organisation du travail : "La différence croissante entre le montant des

aides de l’Etat et le coût des embauches liées à la RTT nécessite des recettes supplémentaires et/ou de moindres dépenses : amélioration qualitative et quantitative de l’offre ; meilleur service à la clientèle. L’amélioration des résultats, permise par une meilleure gestion de l’entreprise et une optimisation de son fonctionnement, fera l’objet d’un rapport d’information au Comité de suivi et au CE, et sera prise en compte pour déterminer la progression salariale décidée dans le cadre de la négociation salariale annuelle".

Deux accords nous paraissent plus positifs du point de vue ou nous nous sommes placés. L’accord de Pharmachim, tout d’abord, appelle clairement de ses vœ ux les cadres à progresser sur la voie d’une adaptation de leurs nouveaux horaires à la charge de travail :

" L’horaire réel de travail du personnel d’encadrement, récupérations incluses, doit être aussi proche que possible de l’horaire conventionnel. Diverses voies ont été évoquées lors des négociations : privilégier l’organisation du travail par la prise régulière de JARTT ("s’habituer à travailler autrement") ; favoriser la délégation ; réaliser des embauches ; en fonction de la durée prévisible de la réunion, s’interdire de fixer des rendez-vous et des réunions après 17 heures pour le personnel à la journée ou 2 heures avant la fin du poste pour le personnel posté ; mettre en œuvre des "bonnes pratiques de réunion" (respect des horaires, préparation, utilisation des moyens de communication à disposition...)". Certes, le renvoi des cadres à leur

propre responsabilité dans l’organisation du changement de la norme temporelle de travail a l’avantage ici d’être explicite et non plus, comme dans les accords précédents, en filigrane des discours. Toutefois, certaines préconisations, notamment celles associant embauches et délégation, ouvrent une voie d’adaptation intéressante du temps de travail à l’activité.

La société Expersoc va beaucoup plus loin dans cette voie, mais en utilisant des méthodes très différentes. Ici, l’activité du cadre est directement liée à la charge de travail

objective qu’il doit supporter pour "mériter" son salaire. Des gains d’organisation sont évidemment toujours possibles, qu’ils interviennent dans la pratique du travail individuel ou dans le fonctionnement du travail collectif du cabinet. Toutefois, sachant que la durée moyenne du travail, avant accord, avoisinait 45 heures, ramener le temps de travail à une durée proche de 35 heures, toutes choses égales par ailleurs, aurait théoriquement nécessité une réduction de la charge de travail équivalente à la RTT, soit de 22%. Les partenaires sociaux ont précisément négocié sur la charge de travail : "il est en effet apparu nécessaire aux parties signataires :

d’améliorer les conditions et la charge du travail des cadres opérationnels ; de réorganiser en profondeur le cabinet, notamment par le temps de travail, afin d’améliorer ses prestations et de favoriser la croissance de ses activités". La négociation a débouché sur une réduction

substantielle des objectifs individuels de production : "la direction s’engage à tenir compte

de cette réduction de 10% du temps de travail dans la fixation des objectifs individuels, (actuellement 195 jours par an, facturés ou valorisés comme tels par le supérieur hiérarchique, pour un cadre opérationnel à temps plein). Ces objectifs seront réduits dans les proportions et selon le calendrier ci-dessous pour tenir compte des changements liés à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et pour donner les meilleures conditions de réussite et d’intégration des nouveaux embauchés (base 195 jours par an) :

1997 : moins 12% prorata temporis à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle durée annuelle du travail et à condition qu’elle soit effective avant le 15 avril 1997 ;

1998 : moins 11%

1999 et après : moins 10%".

A notre connaissance, peu d’accords d’entreprise ont tendu à viser d’aussi près le facteur constitutif le plus déterminant du temps de travail des personnels d’encadrement ; il est vrai aussi que l’on se trouve ici dans une sorte système de production à la tâche qui permet d’établir un rapprochement tout a fait direct et probant entre le temps passé (et payé) et la valeur d’échange du produit sur le marché. Il s’agit donc d’une exception.