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CHAPITRE II : LES ELEMENTS CONTEXTUELS

2.2. La genèse des accords : éléments de

2.2.6. Pharmachim : une anticipation négociée de la RTT

Importante unité de production109 d’un ensemble pharmaceutique à marché mondial, Pharmachim est un établissement entièrement dédié à la fabrication de produits actifs de médicaments, produits de base pour le groupe. Situé en zone rurale, à 150 kilomètres de la plus proche grande ville, il intervient au sein d'une division à la fois sociale et spatiale du travail110,

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. Les substances produites sont généralement utilisées comme matières premières ou conditionnées dans une autre unité du groupe 112 Elles entrent, pour la plupart, dans la composition de trois médicaments principaux, particulièrement performants dans le domaine du cardio-vasculaire et du système nerveux central. Plusieurs chaînes de fabrication 'il s’agit, en fait, de réacteurs) produisent simultanément, soit en continu, soit en semi-continu : le site réalise ainsi quelques 30 à 40 synthèses, à partir d’une série de réactions chimiques ou d’une combinaison de réactions successives. Au cours de l’année, un même réacteur peut servir à la fabrication de plusieurs produits. On est dans un système de production au "batch", ou production par lots : "On fait une opération dans un réacteur, ensuite on nettoie le réacteur,

puis on passe à une autre opération, et ainsi de suite.." 'Francis, DRH ).

Traditionnellement, la production fonctionnait chez Pharmachim en 3x8 semi-continu, c’est à dire 24 heures sur 24, du lundi au vendredi. Aujourd’hui se développe la production en continu, avec des équipes en 5x8. Compte tenu du haut niveau des standards de qualité et de sécurité de ce type de production, l’établissement emploie des opérateurs à forte technicité, encadrés par une maîtrise intermédiaire en effectifs croissants (chefs de poste, soit formés sur le tas, soit niveau DUT), et assistés par des services techniques variés (développement, laboratoire, assurance qualité, sécurité, réglementation, maintenance). L'organisation et la division du travail au sein de l'unité sont tout à fait traditionnelles, l'échelle hiérarchique pouvant compter jusqu'à 6 échelons, à certains endroits de la production notamment. Le directeur du site coiffe deux

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Calculé en équivalents temps plein, l’effectif du site avant RTT était de 532 personnes, dont : 15,8% de cadres, 41,8% d’agents de maîtrise et techniciens, 42,4% d’employés et ouvriers. 7% de l’effectif est constitué de salariés en CDD ou en intérim.

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Le groupe Pharmachim s'est édifié sur la base d'une société créée il y a plus de 25 ans. Francis, DRH de l'établissement étudié, nous raconte :" Le PDG de XXX,(grand groupe pétrolier) a donné à

deux jeunes cadres quelques milliards de francs en leur disant : vous avez 5 ans pour les rendre et essayer de diversifier un peu nos activités. Les deux jeunes cadres ont décidé de faire un certain nombre d'études de marché : à l'époque, il devait y avoir les pompes funèbres, la distribution d'eau, la beauté, la pharmacie. Ils se sont orientés sur beauté et pharmacie et ils ont rendu l'argent au bout de trois ans, et depuis, on n'arrête pas de gagner et de prendre à peu près 10% par an....Il y a encore un de ces deux jeunes cadres à la tête de l'entreprise ; l'autre a pris sa retraite. Donc, il y a encore l'esprit de ceux qui ont créé la maison. Une autre caractéristique de Pharmachim, c'est que c'est une boîte qui a été constituée par rachats successifs de différentes sociétés. Ca donne un esprit, une façon de travailler très particuliers : croissance externe, restructuration, et, en même temps, un effort de recherche extrêmement important". (Francis, DRH)

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En amont des unités de fabrication du type de celle que nous étudions, se trouvent deux unités de recherche, occupant respectivement 800 et 600 personnes, dont la finalité est la mise au point de nouvelles molécules, de nouveaux principes actifs. C'est à la suite d'un long processus de travail de recherche et développement que sera décidée la mise en fabrication de tel ou tel produit sur le site étudié.

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C'est le cas des usines de galénique, par exemple, dont l'objet est la transformation des produits de base en comprimés, crèmes, suppositoires, seringues injectables.

directeurs de départements 113(le directeur de la production et le directeur du développement) et manage, en direct, un certain nombre de services tels que les RH, le contrôle de gestion ou la qualité. Le directeur de la production encadre des ingénieurs responsables de bâtiments (unités géographiques et physiques de production, au sein desquelles on peut trouver plusieurs lignes de produits en fonction du nombre de réacteurs) ; aux responsables de bâtiments (sites de production) sont généralement rattachés de jeunes cadres responsables de lignes, ou de produits, puis tout l'encadrement intermédiaire des chefs de poste. Le directeur du développement, en revanche, encadre des équipes de plus petite taille, un laboratoire, par exemple, étant souvent constitué d'un ingénieur encadrant 3 ou 4 techniciens ou ingénieurs.

L'établissement n'a aucune prise directe sur le marché114 : les quantités produites et les types de fabrications se font sur ordre de la centrale du groupe qui décide du passage développement/production et de la mise en marché d'un médicament, en tenant compte de la durée prévisionnelle de vie du produitet en fonction de plusieurs critères :

• les résultats des services de recherche et développement en matière de mise au point de nouvelles molécules, d'analyse complète des effets secondaires des médicaments, de la faisabilité du passage d'une production expérimentale en tube à essai à une production grandeur nature en gros réacteurs ;

• l'étude de marché : la production ne se rentabilise, le plus souvent, que sur un marché mondial, où la concurrence internationale est féroce :".. si quelqu'un arrivait à 10% de

part de marché, ce serait remarquable" (Francis, DRH) ;

• l'analyse des risques de passage à travers les mailles des filets réglementaires nationaux et des normes de mise en marché des médicaments ;

• le calcul de rentabilité, fonction également des prix différentiels qui pourront être pratiqués sur les différents marchés nationaux.

Par conséquent, l'établissement étudié ne comporte aucun service commercial, aucune logistique de conditionnement, de distribution ou de tarification : son rôle se limite à assurer le passage du développement (micro-production en laboratoire) à la production

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Le comité de direction de l'établissement est un organe élargi, puisqu'il compte 19 cadres responsables.

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" La durée de vie d'un produit n'est pas énorme. Même si un produit arrive à tenir sur un marché

pendant 30 ans, en fait, vous avez 6 ou 7 ans pour le développer : vous êtes protégés par le brevet pendant 6 ou 7 ans ; c'est le temps que vous avez pour rentabiliser tous vos frais de recherche et de lancement, qui sont gigantesques dans le cas de nouvelles molécules .Donc, c'est un marché où la production démarre très fort : on a quelques années pour produire à fond, et après, c'est selon que l'on est attaqués ou pas par les génériques. L'autre caractéristique, c'est que c'est un marché à risques : une molécule peut, du jour au lendemain, soit être déremboursée, soit être retirée du marché si l'on s'aperçoit d'effets secondaires indésirables. Elle peut être très rapidement remplacée par de nouvelles molécules qui agissent sur la même pathologie, donc par de nouvelles stratégies thérapeutiques ; c'est un marché très fluctuant. Le coût de production "chimique" n'est pas négligeable mais n'a pas une importance stratégique par rapport aux coûts de recherche et de lancement ; ce qui est important, c'est le tarif de remboursement et le volume que l'on va pouvoir faire. L'important, c'est d’avoir un produit qui, si possible, arrive le premier sur le marché dans sa classe thérapeutique et dans la façon dont il agit, d'avoir un bon marketing, et qu'il dure le plus longtemps possible. Mais le rôle de la recherche est extrêmement important" (Francis, DRH).

à grande échelle dans le respect de contraintes de coûts et de normes réglementaires. Compte tenu de l'ampleur de la charge des investissements en R&D dans l'élaboration du prix de revient du produit, et étant donné la contrainte de réactivité que le groupe doit avoir par rapport aux marchés, les unités de production sont condamnées à rentabiliser au plus juste le capital productif. Elles le font de deux manières : d'une part en maximisant le taux d'utilisation des équipements (passage progressif de processus semi-continus à continus, création de lignes de fabrication entièrement automatisées) ; d'autre part en accroissant l'efficacité productive des services de contrôle, de qualité, de sécurité (on travaille sur des produits et des modes de fabrication à risques, dont certains sont classés Seveso) de façon à minimiser les coûts d'aléas et de non-qualité pour l'entreprise. Ces quelques caractéristiques du site115 expliquent le haut niveau de qualification et de compétences recherché et atteint pour la plupart des salariés : niveaux d'embauches autour du Bac Professionnel pour les opérateurs, un budget de formation de l'ordre de 5 à 7% de la masse salariale, un recrutement de cadres au niveau minimum DEA ou ingénieur.

Le besoin de flexibilité du travail n’est pas plus élevé chez Pharmachim que ce qu’il n’était chez Chimprod : d’une part parce que l’unité produit 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ; d’autre part en raison d’une forte pression de la demande sur une production à flux tendus. Par ailleurs, compte tenu de la relative jeunesse de l’effectif, aucune nécessité n’existe d’infléchissement de la pyramide des âges. En fait, les facteurs de déclenchement d’une négociation sur la RTT dans l’établissement étudié sont ailleurs. On peut en distinguer trois principaux, qui ont agi en interrelation. D’une part, plusieurs sociétés et établissements du groupe, plus exposés que celui-ci à une variabilité -saisonnière ou conjoncturelle- de la demande de produits, avaient déjà introduit l’aménagement et la réduction du temps de travail en leur sein, généralement en empruntant la voie de dispositifs de Robien. La loi Aubry promulguée, la direction générale du groupe prescrit à ses filiales de s’inscrire, par négociation décentralisées au plus prés du terrain, dans un changement de la norme temporelle du travail ; elle imposait trois objectifs : "l’équilibre économique, la création d’emplois, l’amélioration des

conditions de travail" (Francis).

D’autre part, si l’établissement n’avait pas a priori de gros problèmes de variabilité des niveaux de production, il était en revanche en demande de moyens d’accroissement des volumes produits : "pour nous, ce qui était important, c’était des gains d’activité, c’est pas la

productivité". En outre, accroître le volume produit, à capital (et coûts fixes) constant, était une

manière d’améliorer la productivité globale.

Dernier facteur de déclenchement ou, en tout cas, élément permissif de la RTT : une

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L'usine de Pharmachim, a connu une histoire agitée. Construite en 1917 par des prisonniers de guerre allemands pour faire une poudrerie là où l'on pensait que les allemands ne viendraient pas la chercher, elle n'a jamais servi à cet usage ; reprise par des savonniers marseillais, elle a été utilisée pour la confection de savons, puis pour de la chimie de plus en plus fine. En 1986, le site employait 280 personnes ; aujourd'hui, son effectif est autour de 520 et un investissement de l'ordre de 500 MF est en cours pour construire un bâtiment supplémentaire en vue du développement d'un nouveau produit. Le doublement de l'effectif en 12 ans contribue à expliquer une pyramide d'âge " très

déséquilibrée vers le bas : c'est à dire que l'on a beaucoup de jeunes et beaucoup de gens avec une faible ancienneté qui sont passés très vite, pour certains, à l'échelon maîtrise" (Francis, DRH).

demande sociale latente, plus ou moins fortement exprimée par les organisations syndicales représentatives sur le site116. En particulier, l’idée de réduire le temps de travail avait déjà émergé en 1997, dans un environnement syndical plutôt divisé. En effet, un accident mortel survenu dans l’usine fin 1996 avait provoqué, par contrecoup, un conflit social avec arrêt de travail où avaient été fortement pointées par les représentants syndicaux les questions de sécurité dans l’établissement. Consécutivement, la RTT comme moyen de développer l’emploi avait était posée, mais non résolue à l’époque.

Les véritables discussions sur le temps de travail ont commencé au début de l’année 1998, pour aboutir à l’accord du 30 octobre de la même année. Henri, ingénieur de laboratoire, délégué syndical CFDT, élu au comité d’entreprise dans le collège cadre, aurait préféré voir la négociation s’enclencher au niveau du groupe "puis ensuite décliner çà au niveau des sociétés et

des sites" ; le refus de cette procédure par le patron de Pharmachim sembla d’autant plus

paradoxale aux salariés qu'"on parle d’esprit de groupe, de solidarité, etc., et là, finalement, on

s’en va vers des accords qui sont assez différents d’une société à l’autre et même d’un établissement à l’autre d’un même société". Au niveau de l’établissement, les négociations

furent d’autant plus longues et compliquées qu’un clivage de position était apparu entre les personnels de jours (qui étaient à 38 heures), plutôt demandeurs d’un temps de travail réduit, et le personnel posté (déjà à 35,20 heures) inquiet des conséquences salariales de la RTT et peu préparé en tout cas à en payer le prix. Finalement, "il a fallu encore discuter,

essayer de discuter avec la direction, discuter avec les gens, pour arriver finalement à la signature d’un accord par les trois centrales syndicales, ce qui est assez rare ; et puis, on n’aurait pas misé grand chose au départ là-dessus....(..)..donc, je crois que c’est un bon accord : il me semble que la direction, si elle l’a signé, en est quand même satisfaite, et pour nous, c’est un bon accord" (Henri).