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CHAPITRE I : LE TEMPS DE TRAVAIL DES CADRES :

1.3. Méthodologie de l’étude

1.3.1. Niveau d’observation et choix des terrains

Un premier choix a été fait de donner à l’étude une orientation qualitative et non qualitative. Elle privilégie l’analyse minutieuse des processus en jeu et des compromis locaux opérés par les acteurs dans un petit nombre d’entreprises. Ceci pour deux raisons au moins.

D’une part, au début de notre enquête, le nombre d’accords de réduction du temps de travail signés au niveau des entreprises ou des établissements dans le cadre de la loi Aubry était relativement peu élevé : 1055 au 16 décembre 1998, selon le Ministère de l’emploi21. A ceux-ci, pouvaient éventuellement se rajouter les 2953 accords signés dans le cadre d’une convention de Robien22 et les 13 conclus selon le dispositif loi quinquennale. En outre, aucune donnée statistique fine sur ces accords n’était disponible et leur recueil systématique aurait conduit à déborder très largement les délais impartis à l’étude.

D’autre part, et c’est le point essentiel, si une analyse approfondie d’accords paraissait nécessaire, elle n’était pas suffisante, pour deux raisons. Premièrement, il s’agissait de s’intéresser aux modes et aux processus de construction de la nouvelle norme temporelle formelle du travail des cadres. D’autre part, il fallait observer si, et comment, celle-ci pouvait déterminer de nouvelles pratiques, comment elle se "socialisait" dans les contextes socio- économiques des entreprises.

Cet ensemble de raisons a conduit à opter pour une démarche qualitative fondée sur des monographies d’entreprises ou d’établissements.

1.3.1.1. Des monographies d’entreprises et d’établissements

La démarche adoptée permet d’approcher les acteurs, de spécifier le contexte de leurs actions et de mettre à jour leurs pratiques23 ; à condition d’utiliser les outils d’enquête appropriés. Il reste cependant à déterminer le niveau auquel doit se situer l’observation pour que

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Un choix tacite préalable a, évidemment, orienté cette étude : celui de porter prioritairement attention aux RTT négociées et non aux mesures qui pourraient être unilatéralement adoptées par les chefs d’entreprise ou aux négociations individuelles de contrats de travail qui, on peut le supposer, ont de bonnes raisons de se multiplier dés le 1er janvier 2000, date de mise en application de la nouvelle durée légale du travail. A notre connaissance, ces cas sont peu nombreux aujourd’hui. Il convient de préciser que les conventions ouvrant droit à l’aide financière de l’Etat (conventions Aubry et de Robien) imposent aux entreprises d’avoir négocié avec les représentants syndicaux ou, en cas d’absence de représentation syndicale dans l’entreprise, avec des salariés dûment mandatés par des organisations syndicales représentatives.

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Le dernier bilan connu, au 5 mai 1999, fait état de 4 076 accords d’entreprise, couvrant 1 142 427 salariés et 69 accords de branche.

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Cf DOISNEAU L. (1998). 23

Sans doute, une démarche participative, type recherche-action, eût été encore mieux adaptée à la démarche et eût permis d’aller plus loin dans la connaissance des dynamiques de construction de notre objet, comme de celle de tout objet social d’ailleurs. Son coût et les difficultés pratiques de sa mise en œ uvre conduisent trop souvent, et tel est le cas ici, à y renoncer.

celle-ci revête un maximum de pertinence avec l’objet.

Bien qu’en attente, surtout, d’effets macro-économiques et alors qu’elle repose largement, dans les choix qui la fondent, sur des raisonnements à ce niveau là, la loi Aubry désigne pratiquement le niveau micro-économique, celui de l’entreprise24 ou de l’établissement, comme terrain essentiel des négociations sur la réduction du temps de travail. Certes, les règles générales de la négociation collective ne sont pas remises en cause par la loi ; seuls sont implicitement exclus certains niveaux de négociation : le niveau national et interprofessionnel, le niveau supra départemental professionnel ou interprofessionnel, ainsi que le niveau du groupe de sociétés. En outre, deux grands types de négociations peuvent s’opérer au niveau des branches25 professionnelles : des négociation-cadres, qui n’ont aucune vocation à se substituer aux négociations d’entreprise ; et des négociations d’application directe, éventuellement déterminantes des modalités de RTT, en cas d’extension ou d’agrément, dans les entreprises de moins de 50 salariés26.

La branche ne répondant pas à tous les critères de choix du terrain pertinent, l’entreprise et/ou l’établissement sont donc retenus comme niveaux de collecte de données, l’établissement étant privilégié pour faciliter l’observation compréhensive des pratiques des acteurs de la RTT, l’entreprise (en cas d’établissements multiples soumis au même accord) étant également un niveau d’analyse indispensable pour comprendre les processus de construction de la norme conventionnelle.

1.3.1.2. Les critères de choix des entreprises

L’objet de l’étude et la problématique dans laquelle il s’inscrit introduisent, là encore, plusieurs contraintes dans la constitution d’échantillons pertinents. D’une part, les unités devaient avoir, en principe, négocié un accord de RTT. D’autre part, elles devaient employer un nombre significatif de cadres. Enfin, l’accord devait "vivre" depuis un temps suffisant pour que les protagonistes de la RTT -entreprises et salariés- aient commencé à mettre leurs pratiques en relative adéquation avec la nouvelle règle.

De ce point de vue, les accords passés dans le cadre du dispositif Aubry, c’est à dire depuis le 13 juin 1998, offraient tous un recul d’autant plus insuffisant que les premières mises en application -et encore sont-elles très peu nombreuses- datent de juillet 199827. Aussi, paraissait-il judicieux -même si les conditions d’obtention des aides financière de l’Etat, et le montant de ces aides elles-mêmes, diffèrent quelque peu- d’intégrer à l’échantillon des

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La circulaire ministérielle du 24 juin 1998 précise en effet que "l’entreprise est certainement le niveau naturel pour trouver les solutions les plus adaptées en matière d’organisation du travail" 25

Des accords peuvent également être envisagés au niveau local ou départemental : accords professionnels ou interprofessionnels étendus ou non étendus, accords interentreprises. Cf. Sur tout le dispositif : LIAISONS SOCIALES, "Négocier et appliquer les 35 heures", (1998), N° spécial, supplément au N° 12754, 30 septembre.

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Celles-ci n’ont plus, alors, à conclure d’accord spécifique de RTT pour être éligibles aux aides de l’Etat. La branche "artisanat du bâtiment" appartient, par exemple, à cette catégorie.

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De plus, peu d’entreprises employant un nombre non négligeable de cadres ont véritablement mis l’accord en application avant la fin de l’année 1998.

entreprises ayant déjà rôdé, sur une période plus longue, un accord de RTT type de Robien.

Par ailleurs, de façon à renforcer la capacité de prédiction -ou le pouvoir de généralisation- de l’étude, il a paru opportun de chercher à adjoindre au panel une entreprise ayant négocié un accord de réduction du temps de travail "en dehors des clous" du dispositif Aubry, c’est à dire sans revendiquer l’aide publique, et une entreprise en phase de simple préparation du "passage à l’an 2000", c’est à dire à la nouvelle durée hebdomadaire légale du travail. Dans les deux cas, les investigations menées sont plus légères mais fourniront une certaine caution aux observations recueillies dans les entreprises ayant conclus des accords aidés.

La sélection des entreprises reposait ensuite, outre sur la possibilité même d'y être reçus pour des investigations assez lourdes, sur un souhait de concordance -au moins approximative- à un ensemble de critères dégagés comme potentiellement significatifs tout au long du cadrage et de la problématique développés plus haut. Sans vouloir assurer une représentativité statistique de l’échantillon, comme il aurait été nécessaire de le faire pour une enquête sur échantillon représentatif ou pour un sondage, notre étude qualitative28 exigeait néanmoins de s’appuyer sur une relative diversité des contextes productifs dans lesquels les transformations des règles temporelles du travail seraient observées. En même temps, il pouvait paraître judicieux de "bloquer" certains critères à travers l’échantillon de façon à pouvoir dégager aussi quelque indice de leur pertinence réelle par rapport aux changements que l’étude se fixait d’analyser29.

Le panel d’entreprises constitué établit finalement un compromis acceptable entre ces deux objectifs, apparemment contradictoires mais méthodologiquement fondés, de diversité, d’une part, de similitude, d’autre part dans la constitution de l’échantillon. En fait, les principaux critères selon lesquels ces précautions ont été prises sont de l’ordre du contexte productif : la branche d’activité économique30, la taille de l’établissement31 et/ou de l’entreprise, l’organisation de la production, l’intensité capitalistique, les caractéristiques des marchés.

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Si les monographies d’entreprises ont bien pour vertu méthodologique essentielle de permettre d’entrer finement dans les jeux d’acteurs configurés (historiquement, socialement, économiquement) de façon spécifique, tels l’analyse sociétale c’est bien par la comparaison de ces configurations particulières entre elles, dans leurs spécificités comme dans leurs ressemblances, que la connaissance peut progresser.

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Car, si toutes les variables supposées pertinentes variaient complètement d’une entreprise à l’autre, l’interprétation de leur effet sur le phénomène observé deviendrait délicate.

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On sait que les conventions de Robien défensives ont prédominé dans les grandes unités industrielles, alors que les accords offensifs se multipliaient dans les PME du secteur tertiaire. Au 9 février 1999, le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité (Dépêche N°25) annonçait que 57% des accords Aubry étaient conclus dans le secteurs Services/commerce/transports/logistique. L’échantillon retenu reflète exactement cette situation.

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La répartition par taille des entreprises ayant signé un accord de Robien est très proche pour celles qui ont commencé à signé des accords dans le cadre de la nouvelle loi, les deux correspondant, grosso modo, à la structure actuelle de l’emploi dans le secteur marchand en France. La volonté que nous avions d’assurer une représentation "normale" des PME dans notre panel se trouvait toutefois contrariée par le fait que, plus particulièrement dans l’industrie, les entreprises de petite taille n’élisent que peu de salariés au statut de cadre. D’autre part, les petites PME industrielles ayant déjà conclus des accords (Aubry ou de Robien), ne sont pas nombreuses.

1.3.1.3. La constitution du panel d’entreprises.

Dix entreprises ont finalement été retenues pour asseoir l’étude32. Sept d’entre elles ont fait l’objet d’investigations très approfondies dans la plupart des domaines concernés par notre objet. Parmi celles-ci, deux ont été enquêtées sur la base de deux établissements (Paris/province). Trois autres ont fait l’objet de démarches plus légères, par pur manque de temps.

Tableau 1 - Activité et taille des entreprises étudiées

Entreprise Type d’accord de RTT Salariés dans l'ensemble du groupe d'appartenance Salariés au niveau de l'unité de négociation(*) Secteur d’activité de l’unité de négociation

VISCLOU Aubry offensif 10%

68 68 Quincaillerie

industrielle

EXPERSOC Robien offensif 10%

250 200 Expertise conseil

SOCIOLOG Aubry offensif 10%

271 271 Logement

DISTRIBO Robien offensif 15%

486 197 Distribution d’eau

CONSULTEC Robien offensif 10%

500 197 Consultants RH

URBUS Aubry offensif 10%

2 686 2 686 Transports urbains

CHIMIPROD Robien défensif 10%

11 000 366 Chimie -

production

PHARMACHIM Aubry offensif 10%

28 645 507 Pharmacie

production

AERONEF "Maison" off. 10% 37 087 5 797 Aéronautique

PETROCHIM Aucun à ce jour 105 000 1 500 Pétrochimie- production (*) Pour Visclou, Expersoc, Sociolog, Distribo, Consultec et Urbus, les accords ont été négociés et

conclus au niveau de l’entreprise ; pour Chimiprod et Pharmachim, au niveau de l’établissement. Ayant garanti l’anonymat absolu à l’ensemble des entreprises et des personnes qui ont bien voulu accepter notre démarche, tous les noms figurant dans le tableau de présentation des entreprises -comme dans l’ensemble de l’étude- sont de pure imagination et fantaisie.

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Quatre entreprises, initialement constitutives de notre panel, n’ont finalement pas tenu à communiquer sur leurs accords de RTT ; elles concernaient les secteurs de la banque, du tourisme, de l’édition et de la fabrication du papier-carton.

La variété recherchée des situations observées par rapport aux critères d’activité et de taille des unités économiques se combine à une diversité des cadres juridiques de négociation des accords : neuf entreprises ont anticipé l’application des "35 heures", mais en supportant des systèmes de contraintes et d’avantages différents (4 selon le dispositif Aubry, 4 selon le dispositif de Robien, 1 sans conventionnement d’Etat) ; une, PETROCHIM, est en phase de construction de solutions au passage à la nouvelle durée légale du travail au 1er janvier 2000.

Bien d’autres points distinguent, au départ, les contextes de réduction de la durée du travail choisis ; ils apparaîtront clairement à travers nos analyses. Parmi eux, deux méritent d’être soulignés dés à présent, puisqu’ils correspondaient à deux exigences de base de construction de l’échantillon : d’une part, disposer d’un minimum de recul afin d’observer, au moins, des débuts de mise en place de la RTT ; d’autre part, pouvoir constituer un petit échantillonnage de cadres couvrant quelques métiers et fonctions différenciées (commandement, expertise, production). Finalement, ces deux conditions sont réalisées à travers les choix effectués (tableau 2).

Tableau 2 - Dates de mise en application des accords. Effectifs de cadres

Entreprise Date de mise en application de

l’accord

Champ d’application de l’accord

Effectif cadres Ratio de cadres

VISCLOU 01/10/98 Entreprise 8 12% EXPERSOC 01/05/98 80% Entreprise 160 80% SOCIOLOG 01/10/98 Entreprise 30 11% DISTRIBO 30/06/97 Entreprise 37 18% CONSULTEC 01/03/98 Entreprise 106 54% URBUS 01/10/98 Entreprise 55 2% CHIMIPROD 01/01/98 Etablissement 112 31% PHARMACHIM 01/01/99 Etablissement 84 17% AERONEF 01/01/99 Entreprise 1 400 24% PETROCHIM - Etablissement 230 15%