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A) Les apports conceptuels d’Erving Goffman et d’Howard Becker

2) Le stigmate comme marqueur identitaire

Au total, pour Erving Goffman, le stigmate appliqué à la personne, renvoie et pose le discrédit sur l’individu et son développement personnel. Pour l’auteur, cette posture positionne d’avantage l’aspect identitaire du stigmate à partir d’un signe « corporel » ou « repérable ». Au-delà de cette idée, la stigmatisation même du stigmate nous amène à nous interroger sur la « catégorisation » des individus à partir de leur stigmate.

2) Le stigmate comme marqueur identitaire

La vision « qualitative » de la méthodologie mobilisée par les interactionnistes de l’Ecole de Chicago contribue également à nourrir la réflexion sur le concept du stigmate ; à savoir que l’objet de stigmatisation passe par l’« étiquetage », aussi appelé le concept du « labelling » en référence à Howard Becker256. Cet auteur traite des procédures qui aboutissent à l’« étiquetage » et d’autre part, il renvoie aux questionnements sur les conséquences du stigmate sur l’identité et la « carrière » des personnes ainsi « étiquetées ».

Howard Becker part de l’idée que les « normes » sont la résultante de certains groupes d’individus, qu’il appelle « entrepreneurs de morale 257

», épris par la légitimité de leurs convictions pour « le bien de tous ». Par conséquent, le sociologue pose l’hypothèse qu’il existe une relation tripartite étroite ; à savoir, entre la constitution des normes par les « entrepreneurs de morale », les opérations d’« étiquetage » et ses conséquences sur l’identité des individus ainsi « étiquetés ». Ecrit-il :

« (…) Dans les chapitres précédents, nous avons étudié certaines caractéristiques générales des déviants ainsi que le processus par lequel ils sont désignés comme étrangers à la société et en viennent eux-mêmes à se considérer comme tels (…) Il est temps maintenant d’envisager

l’autre terme de la relation, c'est-à-dire les gens qui élaborent et font appliquer les normes auxquelles ces déviants ne se conforment pas258 »

255 E. Goffman, op.cit. p 91.

256 H. Becker, Outsiders (1963), Métailié, Paris, 1985.

257

Ibid. p 145

La « théorie de l’étiquetage » (Labelling Theory), se « distancie » des thèses classiques traitant de la déviance (dans le sens de non-conformité à la « norme ».) et s éloigne ainsi de l’idée de Bernard Valade259

qui définit la norme comme désignant « les règles qui régissent les conduites des gens260 ». Au contraire, la thèse de Howard Becker place les normes comme définissant des situations et de modes du comportement appropriés à ces dernières. C’est ainsi que les normes peuvent influencer les hommes dans des situations de la vie, conduisant les groupes d’individus à élaborer leurs normes « spécifiques » qui soient les plus favorables et les plus adaptées à leurs existences « locales ». C’est en ce sens que les individus et groupes d’individus ne partagent pas les mêmes « normes ». C’est la raison pour laquelle un groupe d’individus peut avoir intériorisé « sa » norme de façon différenciée à celle d’un autre.

D’une certaine manière, selon Howard Becker la norme engendre la situation et peut se comparer à une « jurisprudence » qui pourrait s’appliquer dans la vie quotidienne et pose les sanctions applicables aux personnes qui la transgressent.

L’intérêt ici du concept de l’« étiquetage » réside dans le fait qu’il nous conduit à nous interroger sur la réception du « stigmate » par des groupes d’individus « étiquetés ». Il permet ainsi de réintroduire la complexité de l’application et d’acceptation de ces normes (au sens de Becker). Les normes revêtiraient ainsi une hétérogénéité en fonction de la classe sociale, du groupe, de la catégorie socioprofessionnelle ; hétérogénéité en termes d’émission par les « entrepreneurs de morale » et aussi en termes de réception différenciée par les habitants. De plus, selon Becker, les habitants ne se ressemblent pas et tissent un spectre de diversité significatif. C’est pourquoi, nous pouvons nous questionner sur le stigmate et les autres concepts proches (disqualification sociale et étiquetage) en tant que générateurs de réactions et d’adaptabilité de la part des habitants. Les processus de stigmatisation ne construisent-ils pas des spécificités, des caractéristiques propres dans les modes de vie des individus vivant sur un territoire donné?

En outre, les travaux de Howard Becker nous permettent de poursuivre notre réflexion sur l’impact du processus de stigmatisation via le concept de l’« étiquetage ». Comme nous l’avons vu, l’« étiquetage » est étroitement lié à la perception sociale de la déviance selon l’auteur et entraîne des procédures de catégorisation négative en s’appuyant sur une déviance définie par « la norme » (des « entrepreneurs de morale »). C’est par conséquent à partir de la

259

B. Valade, Dictionnaire de la sociologie, Larousse, Paris, 1989.

perception « normalisée » de cette déviance que l’extérieur définit l’acte déviant et ainsi l’identité de l’acteur, alors qu’il n’y a pas forcément une correspondance entre la définition externe et l’identité de l’individu.

Au final, le concept de l’« étiquetage » peut être positionné comme une rupture de confiance de la part des personnes « normées ». Celui-ci favorise d’après Howard Becker le développement d’une suspicion continue qui tend à entretenir l’image de la mauvaise réputation. C’est ainsi que l’individu « étiqueté » aura tendance à être constamment observé avec un parti pris péjoratif. Le postulat ainsi dégagé contribue donc à la confirmation des « autres » d’une identité déviante de l’individu « étiqueté ».

Cette théorie de l’« étiquetage » nous intéresse en terme de répercussions et d’impacts sur le développement de la personne dans sa relation à autrui.

La théorie de « l’étiquetage » s’inscrit dans l’idée qu’aucun acte de délinquance et de déviance est intrinsèquement délictueux. En ce sens, Anthony Giddens261 relève t-il, que dans un contexte de conflits entre nations :

« (…) tuer des ennemis est considéré comme un acte positif 262».

L’acte déviant, ici le crime de « guerre » est perçu alors comme « bénéfique » pour la patrie ; contrairement à une période de paix, durant laquelle tout acte de mise à mort par des

individus, est in fine « déviant ».

Néanmoins, d’autres chercheurs apportent quelques réserves. En effet, si la réflexion d’Howard Becker prend en compte l’influence importante de l’« étiquetage » et de ses conséquences en termes de stigmatisation, d’autres travaux ont nuancé cette « seule » explication plausible des mécanismes de « construction » de la déviance. C’est ainsi que certains sociologues mettent à mal cette vision en argumentant qu’un « déviant » violent n’est pas « agresseur » parce qu’il est « étiqueté » en tant que tel. Ainsi, l’étiquetage pour Anthony Giddens n’est pas une donnée unique dans l’explication de la déviance. Pour l’auteur, il faut prendre en compte les sociabilités et les attitudes multiples qui s’articulent et influencent les

261

A. Giddens, Sociologia, Alianza, Madrid, 2006.

mécanismes de « l’étiquetage ». Dans cette idée, il note que les modes de socialisation exercent un rôle significatif :

« (…) dans le niveau de participation des personnes en comportements susceptibles d’être étiquetés comme déviants263 ».

De ce fait, les recherches de Howard Becker axées sur l’« ethnométhode » centrent l’intérêt de l’enquête sur les mécanismes complexes qui créent la déviance. En somme, l’idée que la déviance est une construction sociale et que la dénomination du « déviant » est régulièrement la résultante d’un ensemble de mécanismes complexes qui appelle et mobilise des compétences spécifiques d’un groupe d’individus qui n’ont pas toujours la même valeur et le même « vécu » de la norme.

La typologie proposée par Howard Becker permet de comprendre pour notre étude les processus résultants d’une des formes de stigmatisation. Cependant, il existe d’autres formes selon Wes Sharrock264, qui tout en acceptant largement la théorie de l’«étiquetage », apporte une nuance réflexive en considérant les limites de la notion de « conformité » (en référence à la fameuse « norme ») car tout individu, au moins une fois dans sa vie, commet une transgression des lois, des règles de sécurité, des consignes diverses… ce qui fait de lui un « hors-la-norme » « furtif ».