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Les jeunes des « quartiers » : De l’attachement à la revendication territoriale

C) Une jeunesse qui « est » le territoire ?

2) Les jeunes des « quartiers » : De l’attachement à la revendication territoriale

2) Les jeunes des « quartiers » : De l’attachement à la revendication territoriale

Un attachement « visible » au quartier

Les jeunes tiennent une place importante, voire essentielle dans la vie du quartier. Cet aspect « ostentatoire » de la jeunesse nous interroge sur les raisons qui poussent certains jeunes à conduire des comportements qualifiés de « revendicatifs ».

La revendication territoriale peut se percevoir selon l’analyse de Pierre Bourdieu qui, appliquée à notre sujet, consisterait à dire que les quartiers sensibles peuvent être revendiqués par une certaine attitude « visible » et parfois même violente en réponse à « la violence économique et symbolique »205.

Les nombreuses études portant sur la jeunesse vivant dans les quartiers « sensibles » montrent un attachement assez vif à son territoire. Compensant pour certains le « rejet extérieur », les jeunes perçoivent en leur lieu de résidence un aspect familial et le quartier a tendance à être assimilé à « une projection extérieure de nid familial206 ». Pour d’autres, la pratique « affective » du quartier par les jeunes est à questionner dans un axe revendicatif ; comme si la « citadinité » territoriale était leur « dernière » identité207.

L’attachement de la population (surtout les jeunes ici) à ces territoires souvent décrits comme « risqués » est également mis en avant par Cyprien Avenel208, Azouz Begag et Christian Delorme209. La jeunesse développe une sociabilité accrue et perçoit son quartier à travers un réseau amical et affectif développé. Cyprien Avenel expose :

204 J.F. Laé , N. Murard, L’argent des pauvres, Seuil, Paris, 1985

205 P. Bourdieu, La misère du monde, Seuil, Paris, 1993.

206 M..J. Bertrand, La pratique de la ville, Masson, Paris, 1978, p 16.

207 Nous faisons ici référence à A.Begag, Les Dérouillours, Mille et une nuits, Paris, 2002.

208 C. Avenel , 2004, op.cit. p 61.

« Même si le quartier est le lieu du stigmate et de la ségrégation, il fait l’objet d’un très vif attachement et d’une sociabilité si dense-celle des « copains d’en bas »- qu’elle offre un

contre point à la désorganisation et à l’exclusion210

».

De plus, d’après les auteurs L. Bonelli211 et L. Muchielli212, la place des jeunes dans la vie du quartier est « travestie » par un certain discours policier qui a pris de l’importance dans le débat sociétal. Les différentes qualifications et le traitement policier ont favorisé d’après ces auteurs, la focalisation de la société sur des espaces et micro territoires qui deviennent comme d’un commun accord, des lieux de déviance sociale, de délinquance et de violences « scientifiquement enregistrés » et orientés vers la jeunesse. A ce sujet, Laurent Mucchielli (2001) rappelle que l’appropriation (et notamment revendicative) ne débouche pas nécessairement dans la délinquance et ne peut être réduit à la constitution des bandes.

L’espace public des quartiers est investi par les jeunes, à travers leur présence « accrue » dans la rue. Les jeunes prennent possession de l’espace urbain en « subjectivant l’espace du dehors » et peuvent s’investir dans l’urbain en s’appropriant l’espace via une « urbanité ludique », c'est-à-dire en ayant une pratique « active » de l’environnement, le plaçant comme un « terrain de jeu »213. Dans la même idée, d’autres travaux montrent qu’ils font partie de ceux qui « donnent sens à cet espace214». Autrement dit, ils s’approprient l’espace public et notamment dans l’enquête en question l’espace de la rue du quartier, non pas dans un dessein allant à l’encontre de la société mais plutôt pour s’y intégrer. L’espace public est alors synonyme de liberté, d’ouverture du « champ des possibles » pour le jeune. Jeanne-Abigaïl Denzler parle de la « rue des jeunes » comme un « contre pouvoir215 ».

La visibilité des jeunes dans les quartiers tiendrait alors de la volonté de cette jeunesse de participer à la « cité » au sens grec du terme ?

L’attachement au quartier et le « sentiment d’appartenance » qui en découle peuvent être basés sur une histoire commune (souvent difficile) des jeunes des « quartiers » fortement nourrie de la « communauté d’expérience » vécue par ces mêmes jeunes. C’est cette

210 C. Avenel, op.cit. p 61.

211 L. Bonelli, « des populations en ‘danger’ aux populations ‘dangereuses’ », La machine à punir, L’esprit Frappeur, 2000, p.25.

212 L. Muchielli, Violences et insécurité, La découverte, 2001.

213

A. Hammouche, op.cit. p 119.

214 J-A. Denzler, Journée de l’Ecole doctorale de Sciences sociales sous la direction d’Alain Bertho et Hervé Vieillard-Baron, 13 mai 2006, p 2. Disponible sur Internet : http//berthoalain ;wordpress.com/2007/04/20/jeunes-des-quartiers-popualires-et-espaces-du-dehors/

« adéquation du vécu » qui lie les habitants à leur quartier216. Nous pouvons également parler de l’effet « aimant » du quartier, dans le sens où, même partis de leur territoire, certains jeunes éprouvent encore de « l’affection » pour celui-ci et un « besoin de reconnaissance » par celui-ci, qui se concrétisent par de nombreuses « visites » à leurs amis ou autres « copains ».

« (…) Ces « construits pratico-heuristiques » ne sont pas des normes sociales généralisées qui seraient produites par les contraintes de l’indétermination sociale et de la ségrégation urbaine, mais des pratiques qui se lient, qui font sens et qui génèrent de l’altérité vis-à-vis de

l’extérieur217

».

Le phénomène de « bandes » et la revendication territoriale

Indépendamment de l’augmentation de vols et autres cambriolages qui constituent le vecteur « hausse » des « infractions », un focal sur les jeunes des quartiers s’opère autour de leurs « incivilités », perturbant la tranquillité des territoires en général, comme le montre Sébastian Roché218. En ce sens, la perception des groupes de jeunes des « quartiers » se fait via un filtre de délinquance.

Hugues Lagrange propose deux types de délinquance, différenciant la délinquance « expressive » de la délinquance « d’appropriation »219. La première ne concrétise pas un bénéfice matériel au sens où elle exprime davantage une « émotivité réactive » face à un évènement donné. Les affrontements et différents heurts avec notamment la police illustrent l’exemple le plus remarquable. C’est celle-ci qui représente pour l’auteur la hausse la plus significative. La délinquance « appropriative » renvoie quant à elle à l’octroi d’un profit lucratif (vols, trafics…).

C’est justement dans les « quartiers pauvres de la périphérie » que la délinquance « expressive » se concentre. Cyprien Avenel écrit :

« (…) et ce sont les jeunes qui en sont les principaux acteurs mais aussi les principales victimes. On observe un durcissement de la violence physique entre les jeunes des cité

eux-mêmes220 ».

216 S. Aquatias, Jeunes de banlieue, entre communauté et société,. Une approche socio-anthropologique du lien

social, n°2, Communauté et/ou Ensemble populationnel, 1997, pp 4-5. Consultable sur Internet : http://socio-anthropologie.revues.org/index34.html

217

S. Aquatias, ibid, p 4.

218 S. Roché, La délinquance des jeunes, Seuil, Paris, 2001.

219 H. Lagrange, De l’affrontement à l’esquive. Violences, délinquances, et usages de drogues, Syros, Paris, 2001.

L’auteur rappelle néanmoins que les agressions physiques sont encore des « exceptions » dans la société française. A ce sujet, pour le psychanalyste Serge Lesourd, les formes de violence ne sont pas spécifiques aux jeunes adolescents des « banlieues » mais sont davantage inscrits dans les « besoins » liés à l’âge. Il écrit :

« (…) essayer de comprendre la violence collective des jeunes, qu’elle soit légitime ou illégitime, ne peut se faire sans le détour par l’agressivité individuelle de toute

adolescence221 ».

« (…) Le dehors, réel ou imaginaire, apparaît à cette époque de la vie comme sécurisant. Les jeunes vont donc, massivement et de tous temps, investir les espaces publics222 ».

La bande de jeunes est également positionnée dans une stratégie spatiale conscientisée. Elle occupe les espaces stratégiques du quartier dans un souci de contrôle et de revendication « identitaire » liée à la stigmatisation. Maryse Esterle-Hedibel écrit :

« La bande occupe les espaces de communication et de consommation du quartier : gares, centres commerciaux, et les espaces interstitiels : entrées d’immeubles, sous-sols, parkings.

Elle utilise et défend son territoire dans une logique de réassurance indispensable à sa continuité, contre d’autres bandes sur le même quartier ou les adultes qui les entourent 223

».

Il n’est cependant pas évident de qualifier la nature des groupes constitués par certains jeunes des « quartiers » tant leur « réalité » est « mouvante et fluctuante dans l’espace et dans le temps224 ». Pour Didier Lapeyronnie, c’est le « ghetto » qui explique la « bande » et non l’inverse. L’auteur rappelle le « décalage » existant entre l’utilisation de ce terme par la presse et certains habitants (« extérieurs » à son quartier « d’étude ») et l’absence d'emploi de ce vocable par les jeunes « soupçonnés » de se regrouper en fameuses « bandes », même si ces derniers se regroupent très régulièrement et surtout lorsqu’ils se déplacent à l’extérieur du territoire et peuvent « s’associer en nombre important à l’occasion de tel ou tel évènement, de telle ou telle embrouille 225». Pour le sociologue, le groupe fait office à la fois de protection,

221 S. Lesourd, Adolescence, rencontre du féminin, Eres, 2002.

222 S. Lesourd, La jeunesse et la rue, sous la direction d’Alain Vulbeau et Jean-Yves Barrèyre, Desclée de Brower, 1994.

223 M. Esterle-Hedibel, Virées, incendies et vols de voitures: motivations aux vols et aux dégradations de voitures dans les bandes de jeunes de milieu populaire, Déviance et société, Vol. 20, N°20-2, pp.119-139, p 124.

Consultable sur Internet :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_1996_num_20_2_1600

224

D. Lapeyronnie, 2008, op.cit. p 461.

de soutien et de reconnaissance, offrant aux jeunes un « statut » « fragile » et toujours « menacé » dans la « bande » en perpétuelle compétition et réellement visible depuis l’extérieur.

Didier Lapeyronnie écrit :

« Pour beaucoup, le groupe finit par procurer une sécurité affective : il protège du monde extérieur et offre une forme de soutien affectif et moral…(…) Le groupe est aussi un lieu de reconnaissance pour l’individu. Il existe dans son groupe alors qu’il n’y parvient pas dans la

famille et dans la société. Dans le groupe, l’individu parle de lui et obtient une forme de déférence : il y occupe un statut. (…) Autrement dit, la personnalité de chacun est à la fois

validée et confortée par le groupe. Sa personnalité de jeune homme est donc étroitement dépendante du regard des autres mais aussi des échanges de paroles…(…) il lui faut sans

cesse pouvoir affirmer son statut et la légitimité de ce statut. (…). Le groupe n’est pas coopératif. Il est au contraire vécu comme un lieu d’affirmation de l’individualité et donc

fonctionne sur une compétition interne assez forte. (…) Dans le groupe, les jeunes s’affrontent les uns contre les autres, voire s’invectivent ou se menacent. (…) Le statut de chacun à l’intérieur du groupe dépend très étroitement de sa capacité à le maintenir, de la réputation qu’il a acquisse et qu’il sait garder. (…) Le groupe n’est pas un moyen d’action ou

le vecteur d’une action collective. Il est à la fois un espace de protection et d’affirmation de soi. Il en résulte une assez faible solidarité réelle malgré le fort attachement au groupe et une

certaine identification au quartier. Le groupe se cristallise véritablement que face à l’extérieur226

».

Si la « bande de jeunes » n’est pas automatiquement liée à la délinquance pour Didier Lapeyronnie, elle constitue tout de même une sorte d’emprise sur le jeune individu qui ne peut que difficilement s’en extraire. L’auteur parle de conservatisme de groupe227

.

Cette approche « passive et peu structurée » de la « bande de jeunes » des « quartiers sensibles » semble s’éloigner des résultats des travaux entrepris par les sociologues américains autour des mécanismes de « gangs ». A ce sujet, même si les « bandes » peuvent basculer dans une violence « occasionnelle », elle ne constitue pas en elles-mêmes des « gangs » au sens américain du terme pour une majorité des chercheurs français.

226

D. Lapeyronnie (2008), op.cit. pp 464-465.

3) Des bandes délinquantes à la française ? Du mécanisme du gang à l’idée du jeune en