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B) Les analyses plus récentes de la disqualification

2) Le stigmate et l’aide sociale

La « disqualification sociale » est construite à travers une stigmatisation institutionnelle pour Jeannine Verdès-Leroux, qui place l’intérêt de l’étude de la pauvreté dans une perspective de définition institutionnalisée. En ce sens, que la pauvreté de l’individu (donc le stigmate) est perçue par la société surtout lorsque les services sociaux (par exemple) « suivent » ce même individu. La pauvreté n’est donc pas placée comme objet d’étude mais plutôt comme un véritable statut social défini et désigné par les institutions.

L’aide sociale jouerait un rôle dans la constitution du stigmate. En effet, toujours en mobilisant l’auteur, le travailleur social semble jouer un rôle actif dans la stigmatisation institutionnelle de la pauvreté. Il est « accusé » de voir les « pauvres » « stigmatisés » en individus « pathologiques270» qui éprouvent des difficultés d’adaptation sociale renvoyant à l’ « étiquetage » et à la catégorisation d’une population « soumise » donnée.

De manière moins radicale, Serge Paugam s’intéresse davantage aux mécanismes et au degré d’adhésion des populations « bénéficiaires » aux « normes » proposées par ce dit travailleur social. En somme, le sociologue présente une relation bénéficiaire-travailleur social d’un point de vue d’échanges matérialisés, concrets. A savoir, l’ouverture des droits sociaux et l’accès à une source de revenus par exemple.

Trois types de relations entretenues avec l’aide sociale sont distingués par Serge Paugam. Cette différenciation permet de dégager des catégories analytiques qui contribuent à améliorer leur compréhension sociologique et pose l’importance des « expériences » de la pauvreté et de ce que celle-ci engendre en terme de construction identitaire et de vécu vis à vis de la précarité, en d’autres termes, du stigmate que peut représenter cette fragilité.

C’est ainsi qu’une première catégorie est dégagée et présentée comme « utilisant » peu l’aide sociale, de manière ponctuelle et orientée dans un aspect budgétaire. Ces bénéficiaires sont touchés par le chômage et le travail intérim, leur offrant peu de place dans la vie économique et sociale. C’est la raison pour laquelle, Serge Paugam les qualifie de « fragiles ».

La disqualification sociale les effleure mais ne constitue pas un aspect pérenne. Cette disqualification peut être vécue par de l’angoisse (fragilité intériorisée) ou plus ou moins maîtrisée (fragilité négociée).

La deuxième catégorie distinguée par Serge Paugam271 vit avec les minima sociaux et leur mode de vie est largement conditionné à l’aide publique. Ils sont qualifiés d’« assistés » par l’auteur dans le sens où ils sont dépendants des aides sociales et adoptent le statut et la « carrière morale » des « assistés ». L’assistance est tantôt qualifiée de «différée », « installée » ou « revendiquée » en fonction du degré de dépendance aux services sociaux. Enfin, les marginaux constituent la troisième catégorie pour l’auteur. Ceux-ci ne bénéficient d’aucune aide sociale particulière et ne voient que le travailleur social dans des situations d’urgence. Ceux-ci sont soit dans une situation d’ « infra-assistance » et n’ont plus d’autres choix que de résister à la stigmatisation en adoptant une marginalité qualifiée de « conjurée » dans le sens où ils subissent ou bien en rationalisant l’exclusion d’un point de vue plus actif (« marginalité organisée »).

Dans le cadre de cette catégorisation des bénéficiaires de l’action sociale, Serge Paugam établit une corrélation avec le statut et le pouvoir social de l’individu. Au plus l’individu est précaire, au moins il a de statut social et de pouvoir social.

Ainsi, la disqualification sociale est axée sur la « nouvelle » pauvreté et se rapproche du concept de stigmate. L’approche « compréhensive » et non « objective », revendiquée par Serge Paugam permet de positionner notre pensée dans une dimension pragmatique, accordant une place importante à l’enquête de terrain. Notre étude s’attache donc à questionner la « disqualification sociale » en tant que « marqueuse » de l’identité de l’individu qui en fait l’expérience et le figeant dans un « statut social particulier ». C’est en ce sens que nous pourrons interroger la place humaine en termes d’expériences (« carrières morales ») dans la construction de la « disqualification sociale » à l’échelle d’un quartier en étudiant la dynamique de construction d’une identité négative des individus et des relations sociales locales.

Si Serge Paugam est identifié comme étant un des meilleurs spécialistes de l’analyse sociologique de l’exclusion en France, nous mobilisons surtout dans notre enquête la relativisation de la notion d’exclusion, revendiquée par l’auteur lui-même. En effet, dans son étude sur la pauvreté, il la pose comme n’étant pas « objective » mais davantage basée sur les interactions et les négociations entre individus (bien qu’il établisse des conditions sociales

« objectives ».) Si nous suivons ses travaux, le travailleur social tiendrait une place importante dans la constitution de la « disqualification sociale » axée sur une dimension de pauvreté. L’étude du stigmate est placée ici non pas comme une situation en soi mais comme un processus laissant une marge de manœuvre aux stigmatisés eux-mêmes en réaction à ce stigmate ; et ceci indépendamment de leurs rapports avec les services sociaux.

Dans cette partie, le concept de stigmate, analysé à partir des travaux d’Erving Goffman, approfondis avec ceux de Howard Becker et de Serge Paugam et ancrés dans la sociologie de la déviance, nous a conduit à mobiliser dans notre réflexion les concepts proches de « disqualification sociale » et du « label ». Pour la suite, nous retiendrons la définition du stigmate comme étant un processus social omniprésent qui contrarie l’identité individuelle au profit d’une identité virtuelle, ayant un poids social plus conséquent que la première. Nous mobilisons également le stigmate comme relevant moins de l’existence d’individus que l’action d’un mécanisme social continu.

Ce mécanisme intègre les capacités des individus à se distancier de ce stigmate.

La mobilisation des travaux de Serge Paugam offre une complémentarité d’analyse au concept de stigmate. En effet, la « disqualification sociale » rappelle comment la « stigmatisation de la pauvreté » est le symbole de l’échec social et de la perte de la « considération sociale ». L’axe d'étude devra prendre en compte la diversité des identités personnelles et des rapports sociaux dans un contexte de discrédit social.

L’analyse du stigmate est enrichie de la théorie de l’« étiquetage » qui étudie la stigmatisation d’un individu « déviant ». De ce point de vue, la déviance est une transgression d’une « norme » à travers le jugement social imposé par cette même « norme », elle-même dictée par les « entrepreneurs de morale » (qui peuvent être des travailleurs sociaux et autres). La déviance peut être aussi l’assistance, dans les raisonnements en termes de disqualification sociale : le qualificatif d’assisté devient alors la sanction, appliquée aux individus au nom des normes de travail autonome.

Le stigmate dans tous les cas apparait comme associé à la délinquance et/ou à la déviance, en ce sens qu’il évoque pour les « non déviants » les conduites « amorales » qu’il ne faudrait absolument pas suivre. Ce présupposé négatif n’est pas sans poser question, quand il s’agit d’individus fragiles, avec des problématiques sociales. Plus que l’idée de stigmate, c’est donc celle de négociation du stigmate (véhiculé par les individus et les groupes non porteurs de ce

stigmate particulier) que nous proposons de retenir, dans la mesure où elle peut permettre de garder une distance avec ce postulat péjoratif.