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B) De la jeunesse à une jeunesse à « problème »

2) Les jeunes des quartiers : une diversité active ?

Avec notamment les « émeutes » des années 1980, 1990 et celles de 2005, « la jeunesse en difficulté » fait facilement référence à la « jeunesse des quartiers », à la « jeunesse des banlieues » et à bien d’autres qualifications et laisse entrevoir des images stéréotypées et englobantes aux yeux de l’opinion publique. Les « émeutes » de l’automne 2005 ont fait rejaillir sur la place publique le « malaise » des banlieues en prenant une place considérable dans les médias français et internationaux. Elles ont replacé la question des quartiers périphériques et de sa jeunesse dans une approche « anxiogène ».

L’utilisation du terme de « banlieue » peut concrétiser l’approche généralisante de la question de la jeunesse150. Est-ce davantage l’image négative du territoire qui prédéfinit ses habitants et notamment sa jeunesse ? Est-ce son traitement institutionnel qui tend à définir indirectement une partie de la jeunesse ?

Cyprien Avenel précise :

« Non seulement les termes utilisés sont vagues, mais ils sont tous négatifs. On ne définit les quartiers que par les problèmes qu’ils posent. Cette question est d’autant plus importante que

les mots ne sont pas neutres et qu’ils assignent aux situations et aux populations une identité et une signification profonde151».

Cette vision péjorative des quartiers « sensibles » renvoie t-elle à une « jeunesse des quartiers » ? à une jeunesse particulière, qui se distinguerait donc des autres par un ensemble de caractéristiques particulières ?

150

C. Avenel, op. cit. p 16.

Une catégorisation difficile

De nombreux travaux montrent la diversité et l’hétérogénéité de la jeunesse des « quartiers ». Par conséquent, la définition de la « jeunesse des quartiers » semble se nourrir de « vide » tant les situations des jeunes sont multiples et variées.

La diversité de la jeunesse des « quartiers » peut s’illustrer en prenant en compte les différentiels significatifs en matière d’origine sociale des parents, du rapport à l’école et des positions personnelles concernant le quartier152.

Si distinction il y aurait, elle semblerait « uniquement » se baser sur le territoire de résidence. La jeunesse « en difficultés » est une construction institutionnelle variant en fonction du rapport qu’elle tisse avec le jeune. Même si elle désigne plus un ensemble de jeunes « potentiellement » en proie aux situations de précarité, elle revêt des profils distincts. C’est ainsi que Dominique Bondu écrit :

« Probablement est-il grand temps de mettre fin à cette dichotomie sur laquelle repose tout l’édifice des politiques publiques concernant la jeunesse. En réalité, il n’est plus aujourd’hui de catégorie homogène, délimitable et parfaitement ciblable de jeunes en difficulté. Ceux que l’on désigne ainsi sont de plus en plus nombreux, ne se distinguent pas forcément des autres,

et n’obéissent à aucune caractéristique homogène153

».

De plus, différentes recherches montrent une différenciation de la jeunesse vivant dans les quartiers « sensibles ». Selon les travaux d’Azouz Begag et de Christian Delorme154, trois catégories de jeunes peuvent être dégagées. La première distingue les jeunes « intégrés » qui gagnent leur vie de façon satisfaisante et sont « économiquement » insérés. Le deuxième « groupe » est constitué par « les précaires » qui « oscillent » entre petits contrats et périodes de chômage. Ces jeunes peuvent être amenés à la petite délinquance. La troisième catégorie rassemble les « rouilleurs » qui sont au chômage et qui éprouvent un sentiment d’exclusion. Ces derniers peuvent « tomber » dans la délinquance régulière.

152

M. Oberti, « Formes et contenu d’une conscience sociale chez les jeunes des « quartiers en difficulté », Actuel Marx, n°26, 1999, p 69-83.

153D. Bondu, Nouvelles pratique de médiation sociale. Jeunes en difficulté et travailleurs sociaux, ESF éditeur, Paris, 1998, p 33.

Dans la même perspective, d’autres travaux semblent rejoindre cette idée de catégorisation de jeunes de « quartier » précédemment mobilisée. En effet, dans une logique d’insertion sociale décroissante, Michel Kokoreff distingue les « scolaires », les « exclus » et les « précaires »155, tandis que d’autres typologies moins territorialisées de jeunesse en « difficulté » sont dégagées de façon plus globale en établissant une différenciation entre « jeunes défavorisés » issus de milieux défavorisés, « jeunes stigmatisés » par leur quartier, « jeunes en échec d’insertion », jeunes en « ruptures familiales, scolaires et institutionnelles » et enfin les jeunes « fragiles » relevant notamment de handicaps156.

Dans le cadre de ses travaux, relatifs à la fréquentation des missions locales des jeunes et notamment ceux qui présentent des niveaux bas de qualification (qui peuvent à notre sens renvoyer par certaines caractéristiques à cette typologie de public), Aziz Jellab propose « une vision élargie du champ de l’insertion ». Il indique ainsi que cette « catégorie » de jeunes fait l’objet d’un accompagnement en terme d’acquisition d’une « culture pré-professionnelle » institutionnalisée, pouvant être comparée à « une rééducation morale », intégrant les « valeurs dominantes et normatives157 ».

D’autres enquêtes montrent et proposent d’autres typologies de jeunes, rejoignant celles dégagées plus haut. En effet, Claude Trottier158, dans le cadre de son étude concernant le parcours d’insertion professionnelle des jeunes, fait référence à Claude Dubar159

pour dégager trois « types » de jeunes sans qualification, qui peinent à s’insérer socialement et professionnellement.

Des jeunes « victimes » de problèmes familiaux notamment en relation avec le chômage ou des parcours de vie « chaotiques » pouvant entraîner des conduites délinquantes ou d’addictions autour notamment de la consommation de drogues. Cette première typologie renvoie davantage à la notion de « cas sociaux ».

Une deuxième typologie de jeunes est dégagée autour des carences scolaires renvoyant pour l’auteur à l’idée des « cas scolaires ». Cette classification est soit liée à des problèmes de capacités intellectuelles, soit à des besoins de « rattrapage » importants.

155 M. Kokoreff, La force des quartiers, Payot, Paris, 2003.

156 D. Bondu, op.cit. pp 33-34.

157

A. Jellab, « Mission Locale et socialisation des jeunes : Quelles valeurs pour quelle insertion ?, SPIRALE, Revue de Recherches en Education, n°22 (59-71), 1998.

158 C. Trottier, « Questionnement sur l'insertion professionnelle des jeunes », Lien social et Politiques - RIAC, N°43, 2000, pp. 93-101, p.95

Le troisième « type » de jeunes « en difficulté » proposé par l’auteur s’articule autour des problématiques liées à l’insertion professionnelle. Ces jeunes ont davantage besoin d’un « coup de pouce » par le biais d’une formation pour s’insérer professionnellement. Ils sont qualifiés en tant que « cas de formation ou d’insertion professionnelle ».

Des regards plus ciblés sur les jeunes qui « s’en sortent » sont également croisés à l’analyse et avec notamment Pascal Duret160 qui propose la catégorie du « leader positif » illustrant le jeune qui « a réussi » en suivant un cursus scolaire « moyen » et qui s’engage dans le quartier à travers notamment l’animation sociale. Cependant, les limites du spectre d’intervention « cantonnées » au quartier, obligent le plus souvent « le leader positif » à le quitter pour passer au statut « véritable » de professionnel161.

En tout état de cause, les différentes typologies concernant la jeunesse des « quartiers » nous interrogent sur la difficulté à définir et à distinguer cette jeunesse à une « autre ».

Tenter de définir cette jeunesse par le biais d’une approche géographique et territoriale semble « caduque » si nous considérons la difficulté de distinguer un quartier « sensible » d’un quartier « insensible » ou un quartier « chaud » d’un quartier « froid »162. Cette idée renvoie également à Pierre Bourdieu qui postulait que les lieux « difficiles » sont tout d’abord « difficiles à décrire et à penser163 ».

Dans cet angle d’analyse, la « jeunesse des quartiers » ne semble pas pouvoir se définir d’un point de vue territorial ni correspondre à une « classe homogène » d’individus tant la diversité de ces jeunes est observable.

Il devient alors « tentant », face à ces difficultés « d’homogénéisation » des comportements des habitants et notamment de sa jeunesse, de les percevoir à travers leur traitement institutionnel. Cyprien Avenel écrit :

« La situation des quartiers s’impose comme une réalité problématique qui semble sans cesse échapper à l’analyse. Dès lors qu’une définition paraît s’imposer, elle se trouve infirmée par

d’autres observations : on peut toujours développer une hypothèse et son contraire. Le constat est alors celui d’une sorte de décalage entre les idées et les faits, entre les images

160 P. Duret, Anthropologie de la fraternité dans les cités, PUF, Paris 1996.

161 A. Jazouli, Une saison en banlieue, Plon, Paris, 1995.

162

A. Begag, C. Delorme, Quartiers sensibles, seuil, Point Virgule, Paris, 1994.

généralisantes et la particularité des situations locales. Doit-on alors chercher un principe de définition tant il apparaît que les concepts sont bousculés par l’observation empirique ?164

».

La dimension ethnique

La sociologie générale semble converger à montrer combien la jeunesse des quartiers de nos jours est également perçue à travers une filtre « ethnique » et inscrite dans une vision française de l’immigration associée à la crise économique. En effet, tout comme la « banlieue », l’immigration récente était une solution pour « compléter » la main d’œuvre manquante des années d’après guerre.

Comme l’évoque Dominique Schnapper, la France était une nation amnésique qui refusait de se considérer comme une « terre d’immigration », occultant ainsi la proportion des étrangers dans sa population165.

C’est avec la crise économique et notamment le choc pétrolier de 1973 qui aurait fait prendre conscience à la nation le caractère « définitif » de l’arrivée des immigrés qui ne quitteraient plus le territoire national. Comme François Dubet166 le mentionne, c’est rapidement la figure de l’immigré « synonyme » de « problème social » qui s’installe et s’oriente principalement sur le « jeune immigré » pourtant « installé et né » en France.

Paradoxalement, c’est lorsque la France stoppe son immigration économique que l’opinion française voit l’immigration.

Ainsi, l’évolution du regard de l’opinion française vis-à-vis de ses immigrés semble se stéréotyper, glissant vers la perception d’un véritable « problème » de notre société et qui plus est, localisé dans des territoires bien définis qui représentent en eux-mêmes l’archétype du « mal vivre » : les banlieues françaises.

Ralph Schor note :

« La montée du chômage, la visibilité de certains étrangers, les heurts de la vie quotidienne ont réveillé des préventions contre les immigrés, souvent exacerbé le sentiment de différence

éprouvé par le français et accrédité l’idée que le pays est envahi167

».

164 C. Avenel, op.cit. p 17.

165 D. Schnapper, « Un pays d’immigration qui s’ignore », Le Genre humain, 1989.

166

F. Dubet, Immigration : Qu’en savons-nous ? Un bilan des connaissances, 1989.

De plus, dans ce contexte, le basculement d’utilisation des termes « immigrés » en faveur d’autres vocables tels que « arabes », « beurs », ou « blacks » est souligné par Simone Bonnafous168qui marque que ces termes sont directement associés à une jeunesse « spécifique ». L’utilisation de ces mots n’est pas neutre car elle démontre la démarche ethnicisante de cette jeunesse.

Cette observation rejoint également l’analyse de Robert Castel selon laquelle l’expression « jeunes des banlieues » renvoie à une double référence pour l’opinion : à la fois à la « classe et à la race ». Il note :

« (…) Ils sont presque toujours d’origine populaire et très souvent d’une origine ethnique différente de celle des « français de souche » (…)169.

Il semble que ce soit au tournant des années 1980-1990 que la peur du monde arabe s’est accrue et de ce fait, les représentations « islamiques » dans les quartiers périphériques s’en sont trouvées mal perçues. Jocelyne Cesari, notamment, dégage trois évènements majeurs : « l’affaire du voile islamique » dans les médias, l’apparition au grand jour des « émeutes urbaines » et la guerre du Golfe170.

Pourtant, ancrée dans une symbolique largement islamique, la particularité de la notion de l’ethnicité est liée à la définition de Cyprien Avenel, en opposition à la notion de « race ».Elle ne contredit en aucun cas, l’intégration et ne conduit pas à la constitution de groupes communautaristes.

Ecrit-il :

« On ne doit pas se tromper sur le sens de la notion « d’ethnicité ». Celle-ci ne renvoie à aucune particularité raciale au sens biologique, à aucun trait de nature. C’est une construction sociale, un processus et non pas un état, qui apparaît dans les rapports entre les

différents groupes de la population. Elle ne désigne pas l’existence de groupes « ethniques » mais désigne la mise en avant de cette catégorie dans la perception de soi et le rapport aux

168 S. Bonnafous, « Où sont passés les « immigrés » ? », Mots et Migrations, octobre 1996.

169 R. Castel, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, Seuil, coll. La République des idées, 2007, p 8.

autres, sachant que les frontières ne sont pas immanentes mais flottantes, affirmées sur le tard, reconstruites selon les situations, et même abandonnées selon les contextes171 ».

L’auteur partage la thèse de Philippe Poutignat et de Jocelyne Streiff-Penart172

qui placent « l’ethnicité » « dénudée » de dimension ethnique ; à savoir qu’elle ne renvoie pas directement à la culture d’origine, indépendamment de la construction « d’un sentiment d’une identité différente basée sur l’affichage de termes « ethniques173

».

Pour d’autres, la dimension ethnique de la jeunesse est un « rafistolage identitaire », notamment avec l’exemple de la « culture beur » construite en réaction aux difficultés liées à la stigmatisation. Mais elle peut être aussi basée sur des « enjeux stratégiques de mise en scène « ethnique », comme le souligne Olivier Roy orientés sur des questions de retournement du stigmate et de volonté de créations de craintes des pouvoirs publics174.

Pour d’autres chercheurs, l’approche ethnique de la « jeunesse des quartiers » est à interroger dans la négociation de « conformité » avec l’ensemble de la population dans un contexte de « fragmentation culturelle ». La jeunesse serait donc dans une quête d’une identité basée sur son origine culturelle pour parvenir à atteindre la société moderne, de laquelle la plupart est éloignée de par le chômage et la discrimination.

L’importance de la culture dans l’analyse sociologique du changement et du fonctionnement social175est positionnée par Michel Wieviorka, qui ajoute que le mécanisme de « fragmentation culturelle » est intimement lié à la précarité des situations de vie dans l’urbain et qu’il peut s’avérer être constitutif d’une « étape de reconstitution d’une société civile » et également constituer « sa reconstruction sur un mode conflictuel, dans la mesure où les acteurs sont susceptibles de penser et de vouloir l’articulation d’une identité ouverte, capable de pénétrer le système institutionnel et d’obtenir le traitement publique de leurs attentes et demandes, avec une identité défensive, nourrie avant tout de misère, de mépris et de discrimination subis176 ».

171 C. Avenel, op.cit. p 57.

172 P. Poutignat, J. Streiff-Penart, Théories de l’ethnicité, PUF, Paris, 1995.

173

C. Avenel, op.cit. p 57.

174 O. Roy, « Les immigrés dans la ville », in Ville, exclusion et citoyenneté, Editions Esprit, Paris, 1993.

175 M. Wieviorka, « Racisme, racialisation et ethnicisation », Hommes et Migrations, n°1195, 1996, p33.

176

M. Wieviorka, « Culture, société et démocratie », in M. Wieviorka, Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, 1996, p 16.

La dimension « ethnique » de la jeunesse des quartiers s’appuierait-elle par conséquent sur ce mépris social qui l’oblige parfois à connoter une valeur identitaire ?

Dans la même perspective, Alain Touraine insiste sur le paradoxe existant entre une jeunesse socialement exclue et culturellement intégrée mais cherchant une identité « structurante ». Ecrit-il, plaçant l’ethnicité comme réponse à une double exclusion :

« L’ethnicité peut être et est souvent le seul principe de construction de soi, pour ceux qui, surtout quand ils sont immigrés, ne peuvent pas se définir par ce qu’ils font, car ils sont

chômeurs ou enfermés dans des activités inférieures ou marginales177 ».

L’ethnicté comme retournement d’un discrédit social subi par les jeunes des « quartiers » est aussi la thèse de Robert Castel qui insiste sur le fait que les « banlieues » ne sont pas « encore » des territoires « ethniques » mais qu’ils « s’ethnicisent » de plus en plus pour faire face à une carence d’intégration dans la société française. Il note :

« Actuellement les banlieues ne sont pas encore des territoires ethniques mais elles s’ethnicisent de plus en plus. Car, (…) la propension à traiter comme des problématiques ethniques, par la discrimination négative, les problèmes sociaux lorsqu’ils sont portés par des

minorités ethniques est très répandue. D’où la tentation pour ces populations stigmatisées de retourner le stigmate, de s’affirmer arabes ou noirs, à défaut de pouvoir être reconnues comme membres à part entière de la nation française, tentation qui illustre bien les apories

du « droit à la différence » et les ambiguïtés des discours sur l’altérité. (…) les banlieues pourraient de plus en plus ressembler à des enclaves ethniques, ce qu’elles ne sont pas encore

aujourd’hui178

».

La question de l’ethnicité peut ainsi se trouver dans une forme de revendication collective et de mouvement social, ancrée dans le « changement d’historicité », cher à Alain Touraine. Pour ce dernier, nous sommes passés d’une période industrielle construite autour des conflits de classes à une époque postindustrielle (née selon l’auteur dans les années 1960179) guidée par des mécanismes d’exclusion, une précarité de l’emploi et un chômage de masse. L’auteur

177 A. Touraine, « Faux et vrais problèmes », in M. Wieviorka, Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, 1996, p 306.

178

R. Castel, op.cit. pp 57-58.

évoque le passage de la société verticale (des gens en haut et des gens en bas) à une hiérarchisation horizontale. C’est ainsi qu’il note :

« L’affaire n’est plus aujourd’hui d’être « up or down » mais « in or out » : ceux qui ne sont pas « in » veulent l’être, autrement ils sont dans le vide social180».

Dans ces conditions, la problématique « ethnique » des jeunes des « quartiers » peut se poser comme une revendication sociale collective, impliquant une revendication « politique » à la société française. Alain Touraine parle de « grand retournement181 » qui consiste à dire que les cultures et les identités diverses peuvent être assimilées dans « un même ensemble » dans les sociétés modernes.

La revendication identitaire devient alors une dynamique et une créativité œuvrant à « renverser une logique qui enferme certaines catégories dans la marginalité, l’exclusion, l’anomie, et pour faire de la victime aliénée un acteur182

». La revendication identitaire de certains « jeunes des quartiers » correspond-t-elle à ce basculement ?

Dans cette perspective également, l’étude d’Adil Jalouzi183

montre comment les parcours d’exclusions des jeunes maghrébins notamment avec le système scolaire contribuent à développer une action collective basée sur la lutte contre les discriminations et l’égalité des droits. Néanmoins, selon l’auteur, cette action collective se trouve dans une impasse car il n’y a aucune réponse politique autonome inscrite dans un « conflit central » qui les rendrait « acteurs » au sens d’Alain Touraine184.

Adil Jalouzi écrit-il :

« Les principes d’action, les acteurs, les enjeux et les oppositions qui ont fait la société industrielle tendent à disparaître et nous ne voyons pas encore se former de manière

significative les termes d’un nouveau système d’action historique185

».

180 A. Touraine, « Face à l’exclusion », Esprit, n°169, 1991, p8.

181

A. Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie, 1984, p 167.

182 A. Touraine, op.cit. 1996, p 306.

183 A. Jalouzi, L’Action collective des jeunes Maghrébins de France, 1986.

184

A. Touraine, op.cit, 1984, p 178.

Cette « hyper assimilation » culturelle serait à rapprocher, selon Didier Lapeyronnie, de l’impossibilité politique du mouvement des jeunes des « cités ». Pour cet auteur, « la jeunesse des quartiers », sous entendue ici « immigrée » ne peut plus s’appuyer sur sa « spécificité culturelle » du fait d’une trop grande assimilation française. Par conséquent, le mouvement en devient davantage social qu’ethnique ; à savoir, un mouvement « ethnique » de par l’origine de ses « membres » mais ayant un but social, celui des « laissés pour compte » des quartiers des grands ensembles.

L’auteur en conclut :

« Ainsi déchiré et ne parvenant pas à contrôler ses deux faces, le mouvement perd toute capacité d’action et disparaît dans des luttes dures mais marginales, sans perspective politique, et des actions très institutionnalisées et dépendantes menées par une élite qui n’a

plus d’enracinement social186

».

En ce sens, l’aspect « ethnique » de cette jeunesse pourrait conduire certains jeunes à adopter des stratégies « infra-sociales » repliées sur le quartier. Dans cet angle d’analyse, « l’ethnicité » renvoie plus à un processus de réactions face à un ensemble de discriminations qui permet finalement aux individus de retrouver une dimension culturelle qui illustre