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2. OBSTACLES À LA GESTION PARTICIPATIVE

2.2. Statut social et jeux d’intérêts

Lorsque ces sillons culturels sont outrepassés pour tendre vers une gestion participative, le poids de la culture du statut social vient souvent brider la participation des masses. En effet, l’un des pièges de l’implication accrue des populations réside dans un phénomène de captation des pouvoirs : souvent, les personnes qui occuperont les postes-clés dans les différents comités et AdU sont des gens appartenant aux hautes sphères hiérarchiques. Ainsi, dans plusieurs des villages visités, on a vu des chefs de village sinon occuper un poste-clé, placer des membres de leur famille à un tel poste. Sans condamner cette pratique, puisque les chefs de village ont souvent un charisme et une notoriété qui incitent au rassemblement et peuvent, conséquemment, favoriser la mobilisation des villageois, nous croyons qu’il importe de souligner l’omniprésence de cette pratique étant donné son incidence potentielle sur le déroulement des activités et au regard du frein qu’elle peut constituer à une représentation dite effective. En effet, il y a de fortes chances pour que les habitants d’un village où le représentant s’est autoproclamé en raison de son statut social, ou a été élu par l’oligarchie locale, ne se sentent pas représentés, la base villageoise n’ayant pas explicitement mandaté quelqu’un pour la représenter auprès de l’OMVS. De surcroît, ce sont souvent les mêmes qui sont nommés, ce qui fait en sorte que seule une petite grappe détient l’information et le privilège de porter les requêtes de la communauté. Nous l’avons vu plus tôt, ces situations peuvent avoir un impact sur la mobilisation des acteurs de la base qui ne se sentiront pas écoutés, voire cela peut rendre caduques les requêtes portées par un mandant qui ne représente pas véritablement la communauté dont il est issu.

Abdoulkhader Hama explique qu’il est difficile de rencontrer les critères de choix des responsables d’associations en raison des pesanteurs sociales qui font en sorte qu’encore souvent, ce

95 sera le chef du village, l’imam ou un grand commerçant qui dirigera l’association434. Le Dr Serigne

Modou Fall dénonce également cette préséance du statut social qui « dispense » les élus de consulter ceux-là mêmes qu’ils devraient représenter435. Madiop Hane dénonce, quant à lui, la primauté du

réseautage qui fait en sorte que ce ne sont pas toujours les personnes les plus qualifiées et qui connaissent le mieux les réalités de la localité et de l’établissement qui seront choisies pour coordonner les projets de développement. Ayant été témoin de cette situation dernièrement à Ross- Béthio, Hane déplore le manque d’efficacité qui découle de ces choix. De plus, force est de constater que les candidats qui sont ainsi promus sont généralement moins motivés, moins présents physiquement, puisqu’ils retournent régulièrement dans leur région d’origine, et repartiront souvent à la première occasion, ce qui nuit à la continuité des projets.

Une autre situation qui découle de l’utilisation des opportunités nouvelles qu’entraîne la gestion participative comme levier de pouvoir est la tentative de certaines personnes qui ont reçu une formation de monnayer celle-ci. Par exemple, dans le cadre d’un projet de Gestion intégrée des pesticides pour le Projet d’appui à la filière riz, Babacar Papa Gueye atteste qu’il a vu plusieurs personnes ayant reçu la formation donnée dans le cadre de ce projet tenter de se positionner comme conseillers sur certains projets ou comités436. Ainsi, plutôt que d’être mis à la disposition du bien-être

collectif, ce savoir devient un instrument d’avancement individuel. Selon Abderrahame Ndiaye, antérieurement, lorsque l’on impliquait les populations dans la gestion des ressources ou dans les différents projets de développement, cela se transformait souvent en gestion personnelle437, c’est-à-

dire qu’une partie des fonds était détournée au détriment du bien-être collectif. Notons toutefois qu’aux yeux de Ndiaye, cette situation semble s’être résorbée.

À l’échelle intervillageoise, d’autres jeux de pouvoir sont également dénotés par exemple lors de l’acquisition de matériel lourd, généralement partagé entre un certain nombre de collectivités, des tensions sont souvent perceptibles lorsqu’il devient question de savoir quel village aura la garde permanente du matériel ou pour planifier l’échéancier d’utilisation. Papa Iba Fall parle d’une « lutte de préséance » entre les AdU pour établir leur prééminence. Pour illustrer ses propos, il donne l’exemple d’un villageois désigné comme responsable du matériel par une assemblée intervillageoise qui a failli être évincé de son poste lors de l’arrivée dudit matériel, puisque les habitants des autres

434 Entretien avec Abdoulkhader Hama, op. cit. 435 Entretien avec le Dr Serigne Modou Fall, op. cit. 436 Entretien avec Babacar Papa Gueye, op. cit. 437 Entretien avec Abderrahmane Ndiaye, op. cit.

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villages désiraient mettre la main sur celui-ci. Fall explique qu’« heureusement, le SEMIS a pu apporter un arbitrage afin que les rôles restent équilibrés »438. Pour le Dr Mouhamadou Mawloud

Diakhaté, les communautés sont effectivement en compétition : elles se doivent de présenter leur commune sous son meilleur jour afin d’attirer les investissements. En dépit de cette compétition, il remarque qu’un embryon de politique intercommunale se met tranquillement en place : selon lui, une volonté de mutualisation des ressources – par exemple pour le partage d’équipement – se précise chez les présidents de conseils, et ce, dans le but de permettre à la collectivité d’en avoir davantage439.

Pour atténuer les différentes situations conflictuelles pouvant résulter des jeux de pouvoir, Papa Iba Fall explique que l’équipe du SEMIS a pris soin d’élire dans chaque village où elle intervient « une personne morale, une sorte de modérateur suivant sa sagesse et sa notoriété [jouera] souvent le rôle de médiateur [pour] aplanir les problèmes et leurs interventions sont souvent écoutées »440. El

Hadji Seydou Nourou Sy, qui dénonce également les jeux d’intérêts, mais principalement entre les villages, explique que pour la mise en place des AdU, un comité directeur a été élu par une assemblée générale et celui-ci a choisi un bureau exécutif selon des quotas de délégués établis. Ces quotas visaient à s’assurer que des représentants de chacun des villages concernés y siègent et à équilibrer du mieux possible la représentation par village441. Pour Abdoulkhader Hama, « il est difficile de faire

changer les mentalités, cela doit être sur une longue période » 442. Néanmoins, il note une

amélioration dans certains villages où des associations ont accepté de prendre à leur tête des gens issus d’une classe sociale plus humble, mais qui entretiennent de bonnes relations avec tous443.