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À l’échelle interétatique, pour le Dr Adrien Coly, l’on assiste à une période de pacification réelle dans le bassin : les tensions entre les deux rives ont nettement diminué et l’ambiance est à la camaraderie lors des réunions des instances de l’OMVS470. Un certain nombre d’intervenants

rencontrés affirment que le peuple du fleuve n’en est qu’un. Souvent unis par des liens de parenté471,

il est difficile pour bien des riverains de concevoir que le fleuve est une frontière472. Pour Herim

Habiboullah, la variable identitaire n’affecte en rien le degré de tension ou de coopération quant à la gestion de l’eau, les riverains ayant des contacts quotidiens avec les habitants de la rive opposée et étant unis par l’islam473. Abderrahmane Ndiaye observe également que les relations entre les deux

rives sont harmonieuses, et souligne le fait qu’au sein de l’OMVS, les équipes des deux rives travaillent ensemble474. De fait, pour Tamsir Ndiaye, mis à part quelques « querelles de voisinage […]

les problèmes sont plutôt entre politiciens »475. Babacar Papa Gueye note, quant à lui, des risques de

conflits latents entre le Sénégal et la Mauritanie en ce qui concerne la répartition et la gestion des eaux. Ainsi, pour Gueye, si le Sénégal décidait d’aller de l’avant avec la revitalisation des vallées fossiles, les relations interétatiques risqueraient de s’envenimer476.

Pour Papa Iba Fall, les conflits dans le bassin ne sont pas en termes d’opposition rive gauche- rive droite, mais plutôt entre usagers aux intérêts divergents477, ce qui porte à croire que la récente

Charte des Eaux qui alloue les ressources en fonction des usages et des priorités prend toute sa

pertinence. Aux abords du fleuve, le Dr Adrien Coly a également remarqué des potentialités conflictuelles entre éleveurs et agriculteurs, plus précisément, en Mauritanie entre Haratins et Beydanes. Il explique ce phénomène par une pression exercée par le Nord berbère sur le Sud du pays en raison d’une importante densité des troupeaux. Selon Coly, le Sénégal et l’OMVS ont joué et continuent de jouer un rôle positif dans l’apaisement de ces tensions478. Babacar Papa Gueye perçoit

470 Entretien avec le Dr Adrien Coly, op. cit. 471 Entretien avec Papa Iba Fall, op. cit. 472 Entretien avec Tamsir Ndiaye; , op. cit. 473 Entretien avec Herim Habiboullah, op. cit. 474 Entretien avec Abderrahmane Ndiaye, op. cit. 475 Entretien avec Tamsir Ndiaye, op. cit. 476 Entretien avec Babacar Papa Gueye, op. cit. 477 Entretien avec Papa Iba Fall, op. cit. 478 Entretien avec le Dr Adrien Coly, op. cit.

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également des ferments de conflits entre éleveurs et agriculteurs dans le Delta du fleuve. Il explique ces tensions latentes par le fait que les aménagements agricoles obstruent bien souvent le passage des troupeaux vers les plans d’eau. Ainsi, pour Gueye, les tensions existantes ou potentielles prennent davantage naissance entre protagonistes issus de classes socioprofessionnelles différentes que de nationalités ou d’ethnies distinctes479. Mbaye Ababacar Ndiaye soutient également que le Sénégal

« n’a pas les problèmes socioethniques de la Mauritanie » et que, s’il y a conflit, ce sont différents groupes socioprofessionnels qui s’affrontent480, ce que Madiop Hane et Tacko Diallo Gueye

corroborent en expliquant que les désaccords les plus fréquents opposent agriculteurs et éleveurs et concernent l’accès à l’eau et, selon Gueye, dans une moindre mesure, des pêcheurs aux agriculteurs. À l’instar de plusieurs répondants, elle dénote néanmoins une diminution des tensions qu’elle lie à l’approche participative481.

En Mauritanie, les habitants de R’Kiz ont affirmé ne jamais avoir été témoins de conflits d’intérêts entre agriculteurs et pêcheurs, mais qu’il n’est pas rare que des agriculteurs s’opposent à des éleveurs étant donné leurs intérêts fortement contradictoires. Ils ont dénoncé le fait que certains éleveurs gâtent les grillages des périmètres sécurisés pour faire paître leur troupeau dans les champs de paysans. À leur connaissance, il n’existe pas de corridors pour les troupeaux transhumants et sont toujours à la recherche d’une solution pour régler la situation482. Au Sénégal, les personnes

rencontrées à Ndombo et Thiagar ont affirmé que les rares conflits concernaient généralement les éleveurs et les agriculteurs. À Ndombo, la situation s’est résorbée puisque des sorties sont désormais prévues pour l’abreuvement et le passage des troupeaux483. À Thiagar, les habitants ont observé une

diminution des conflits au cours des dernières années, qu’ils expliquent une meilleure formation des acteurs et un changement dans les mentalités.

Malgré le fait que les tensions mises de l’avant lors des enquêtes soient entre groupes socioprofessionnels, il importe de ne pas simplifier la situation en brossant le portrait d’une simple opposition entre agriculteurs et éleveurs pour expliquer l’état des relations dans le bassin. Aussi, à l’exception de rares tensions entre groupes socioprofessionnels, les enquêtes en villages ont mis en exergue une bonne entente généralisée. À Birette, Gouelit et Ross-Béthio, les personnes rencontrées

479 Entretien avec Babacar Gueye, op. cit.

480 Entretien avec Mnaye Ababacar Ndiaye, op. cit.

481 Entretien avec Madiop Hane, op. cit. ; Entretien avec Tacko Diallo Gueye, op. cit. 482 Enquêtes à R’Kiz, op. cit.

105 ont spécifié ne pas vivre de tensions en lien avec l’eau. À Ndiago, le chef du village a fait mention de tensions mineures entre les villages ayant accès à l’eau potable et ceux qui n’en ont pas, mais spécifie que ce n’est rien de grave484. À Thiagar également, les seules tensions évoquées par les femmes

rencontrées concernent des rivalités entre villages voisins. Ainsi, si un village possède un excellent système d’adduction en eau potable, il arrive que les habitants de ce village narguent les hameaux voisins485. À Khor, les villageois ont indiqué que lorsque l’eau est abondante, il n’y a ni conflits, ni

tensions, ce qui était le cas lors de la visite. Ils ont spécifié que lorsque des tensions émergent, elles sont mineures, généralement dues à l’ensablement du chenal et sont apaisées par la planification de tours de pompage486.