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3. VERS UNE GESTION INTÉGRÉE DES RESSOURCES EN EAU

3.1. La gestion intégrée par bassin versant : principes et perspectives

La GIRE tente donc de prendre en compte les différents usages de l’eau pour, au final, parvenir à la satisfaction de l’ensemble des usagers141. Pour ce faire, trois éléments doivent être

présents : en premier lieu, la connaissance, qui comprend autant les données scientifiques que les savoirs traditionnels, permet une vision globale et éclairée de la situation; en second lieu, le partenariat vise à réunir « tous ceux qui se sentent touchés par la question afin de créer un véritable mouvement d’appui, à partir de la base »142; finalement, la participation du public « afin d’améliorer

d’abord les processus de planification et de prise de décision, mais surtout d’augmenter la probabilité d’atteinte de résultats durables par les projets et programmes qui seront mis en œuvre dans la collectivité »143. En somme, les principes fondamentaux de la GIRE explicités au chapitre 18 de

l’Agenda 21 pourraient se résumer ainsi :

L'eau est une ressource limitée et vulnérable : Une approche holistique (systémique) et institutionnelle est nécessaire, qui prend en compte la dynamique amont-aval des bassins versants; Une approche participative est nécessaire : Sur la base d'un principe de subsidiarité, la participation des usagers à la prise de décision doit être effective, dans le but d'atteindre un consensus; Les femmes doivent jouer un rôle-clef dans la gestion de l'eau; L'eau est un bien économique : En cas de compétition pour la ressource, le prix détermine les conditions d'accès à l'eau. L'approvisionnement en eau doit être rentabilisé.144

Dans ces principes se retrouvent les trois piliers du développement durable, soit les volets social, économique et écologique. L’approche par bassin versant permet donc l’articulation entre les principes scientifiques du développement durable et les processus décisionnels liés au partage des ressources145.

Nonobstant le fait qu’elle fasse l’objet d’un vaste consensus international en raison de sa promesse de concilier des visées généralement antagonistes146, la GIRE par bassin versant – qui est

140 BOESEN et RAVNBORG, op. cit., p. 154.

141 Bastien AFFELTRANGER et Frédéric LASSERRE, « La gestion par bassin versant : du principe écologique à la contrainte politique – le cas du Mékong », VertigO – La revue en sciences de l'environnement, vol. 4, no 3, décembre 2003, p. 3.

142 BURTON, op. cit., p. 208. 143 Ibid., p. 211.

144 AFFELTRANGER et LASSERRE, op. cit., p. 2. 145 Ibid., p. 3.

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devenue la norme en matière de gestion de l’eau147 – n’est pas chose aisée : bien que d’une manière

générale, ils comprennent et concèdent la valeur intrinsèque du bassin versant comme unité de gestion où sont inextricablement liées les questions relatives aux eaux souterraines et de surface ainsi que quantité et qualité de l’eau, les responsables de la gestion hydrique peinent à instaurer des institutions qui reflètent ces principes148, aussi existe-t-il souvent un décalage entre le discours, les

principes et la mise en œuvre de la GIRE149. Cela s’explique notamment par le fait que l’on « quitte le

cadre exclusif de l'hydrologie ou de l'hydraulique, pour concerner l'ensemble des disciplines mobilisées dans les problématiques d'aménagement »150, ce qui complexifie inévitablement la donne.

De fait, des critiques commencent à s’élever contre ce « paradigme essentiellement occidental »151

flou, et difficile à mettre en œuvre152. Parmi les reproches adressés à la GIRE, notons :

1) son traitement oblique de la nature politique de la GRN; 2) sa propension à être détournée par des groupes d’intérêts cherchant à légitimer leurs pratiques 3) le risque de devenir un cheval de Troie imposant des politiques standardisées et de « bonnes pratiques » prédéfinies sans grande attention au contexte; et 4) la grande difficulté rencontrée dans la mise en place de ces bonnes pratiques, spécialement au Sud et indépendamment de la pertinence de ces mesures153.

La mise en œuvre ardue de la GIRE est également due à une insuffisante prise en compte de l’hétérogénéité et de la complexité des réalités. Ainsi, appliquée sans discrimination à des pays dont les réalités économiques, sociales, environnementales et administratives sont diamétralement opposées aux réalités occidentales dans lesquelles ce paradigme a émergé, la GIRE s’est révélée un cheval de Troie dans maintes réformes154.

En outre, l’espace physique du bassin versant ne correspond généralement pas à une appropriation humaine du territoire homogène : « Cette diversité se traduit notamment par les multiples limites physiques et symboliques qui structurent l'espace physique : frontières nationales, juridictions administratives, terres communautaires. Ces limites, officielles ou perçues, structurent l'espace vécu et peuvent différer d'un acteur à l'autre »155. Ainsi, la gestion intégrée par bassin versant

met en exergue la difficile conciliation entre l’espace physique et l’espace social et politique et voue à

147 JULIEN, op. cit., p. 2. 148 WOLF, op. cit., p. 10.

149 AFFELTRANGER et LASSERRE, op. cit., p. 2. 150 Ibid., p. 3

151 JULIEN, op. cit., p. 2.

152 BISWAS cité dans JULIEN, op. cit., p. 5; MOLLE, op.cit., p. 29. 153 MOLLE, op. cit., p. 36.

154 Ibid., p. 46.

27 l’échec toute approche ayant un cadre institutionnel trop rigide156. De surcroît, le bassin versant

comme unité de gestion n’est pas toujours le choix le plus approprié157 :

Certains bassins versants sont trop vastes pour permettre une gestion efficace, notamment parce que la négociation avec des acteurs locaux et des usagers situés à plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres est compliquée. Aux distances s’ajoute parfois la difficile conciliation d’usages concurrents, voire incompatibles […]. Il faut alors créer des sous- ensembles, avec l’idée que si la gestion d’eau est correctement organisée en amont, elle ne pénalisera pas l’aval.158

Du reste, dans les pays en voie de développement, les écueils de la gestion intégrée par bassin versant s’expliquent également par les exigences administratives lourdes inhérentes à cette approche – les ressources pécuniaires et humaines nécessaires à l’instauration de ce mode de gestion faisant souvent défaut dans ses pays – et par le fait que les nouvelles unités administratives créées peuvent entrer en conflit avec les unités traditionnelles159. Au final, l’aboutissement à la mise en place d’une solution

institutionnelle à la gestion d’un bassin international procède d’une démarche de longue haleine qui s’échelonne souvent sur plusieurs décennies160.