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3. RÉFLEXION SUR LA GIRE DANS LE BASSIN DU FLEUVE SÉNÉGAL

3.1 Quel avenir pour les CLC?

Pour Ababacar Ndao, il n’est pas question de faire une croix sur les CLC; par conséquent, il importe d’entamer une réflexion afin de rechercher des solutions se basant sur les acquis et qui

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intègrent ces structures, une vision qui semble partagée par plusieurs répondants515. En effet, lors des

entrevues, si l’ensemble des répondants décriait, au minimum, des entraves à la bonne marche des CLC, aucun n’a suggéré de bannir ces structures. Aussi, les suggestions formulées concernaient soit des amendements au statut juridique des CLC ou au fonctionnement concret de ces instances, soit la création de structures de participation complémentaires aux CLC.Pour Tacko Diallo Gueye, les CLC ne souffrent pas tous des mêmes maux, aussi leur redynamisation doit passer par une étude diagnostique individuelle516. Bien que nous abondions dans le même sens que cette intervenante,

quant au fait que chaque CLC a ses spécificités et qu’une réflexion portée par les acteurs locaux est nécessaire, un grand nombre de critiques constructives recueillies nous apparaissent pertinentes sinon pour la totalité, pour une majorité de CLC, ce qui justifie que nous prenions la liberté de présenter un certain nombre d’ajustements comme devant être apportés de manière générale.

En premier lieu, le cadre juridique doit être clairement établi : il importe que le statut juridique des CLC et des associations villageoises soit défini517, que les concepts soient compris et

acceptés par toutes les entités externes (notamment aux niveaux nationaux et régional)518 et que les

règles puissent être approuvées et amendées par les populations afin de coller à leur réalité519. À ce

propos, Madiop Hane ajoute qu’il serait intéressant que les règles soient débattues dans les Assemblées nationales des États membres afin que les députés transmettent les doléances et les vues des communautés qu’ils représentent520. De surcroît, il est primordial de faire en sorte que les

populations puissent mieux accéder à la politique, en vulgarisant les textes juridiques tels que la Charte

des eaux ou la Charte du domaine irrigué (Sénégal) afin qu’elles aient une bonne connaissance de ces

textes et qu’elles les comprennent bien521. Pour Babacar Papa Gueye, la mise en place d’une

institution responsable de l’implémentation de la Charte du domaine irrigué est nécessaire afin qu’elle soit appliquée uniformément et opposable à tous les acteurs.

En second lieu, des efforts doivent être déployés afin de redynamiser les CLC. Pour Mbaye Ababacar Ndiaye, la redynamisation des CLC passe notamment par le biais de sessions de formation de ses membres et administrateurs afin que les personnes prenant des décisions soient bien

515 Notons Ababacar Ndao; Babacar Diop; Dr Adrien Coly; Tacko Diallo Gueye et Dr Amy Kebe Mane 516 Entretien avec Tacko Diallo Gueye, op. cit.

517 Entretien avec Ababacar Ndao, op. cit. 518 Loc. cit.

519 Entretien avec Madiop Hane, op. cit. 520 Loc. cit.

113 informées et que des idées pertinentes soient discutées lors de réunions. Selon lui, il importe également d’accroître la fréquence des réunions afin d’assurer une meilleure continuité, un impératif aussi mentionné par Ousmane Dia522. Pour le Dr Adrien Coly, la bonne marche des CLC est

tributaire d’un redécoupage afin que ces instances représentent un ensemble cohérent de territoires. En d’autres termes, le découpage des CLC, avance Coly, devrait se faire en fonction des espaces géographiques et non des limites administratives523.

En outre, Mbaye Ababacar Ndiaye souligne qu’il faudrait segmenter les CLC par secteur d’activité, ce qui permettrait une efficacité accrue524, mais irait à l’encontre du caractère holiste de la

GIRE. Babacar Papa Gueye partage ce point de vue : selon lui, la création d’espaces de concertation thématiques est nécessaire puisqu’aucune thématique ne fait l’objet de réflexion approfondie. Bien qu’il reconnaisse que plusieurs espaces de concertation existent, il explique que les paysans n’ont souvent pas de plateforme spécifique où aborder un problème précis, tel l’ensablement des cours d’eau525. À cet impératif de segmentation par thèmes s’oppose une vision préconisant la

transversalité. Ainsi, pour Papa Iba Fall et Amadou Diop, il importe de créer une structure fédérative spécifique à la gestion de l’eau permettant le décloisonnement des problématiques et regroupant les acteurs locaux526. Cette structure qui, pour Papa Iba Fall, prendrait la forme d’un Comité local de

l’eau, constituerait une sorte de parlement local de l’eau.

Les habitants de Ndombo, qui sont d’avis que les AdU ne sont pas assez consultées et qu’elles ne bénéficient pas encore de la reconnaissance nécessaire par les autres parties prenantes pour pouvoir mener des activités efficaces et harmonisées avec celles des autres acteurs, préconisent également la création d’un cadre de concertation local de l’eau, qui rassemblerait les industries et populations. Cette plateforme permettrait aux différentes parties prenantes de discuter des problèmes rencontrés et de travailler de concert à la recherche de solutions consensuelles527. Pour Dr Amy

Kebe, cette structure fédératrice est incarnée par le Comité de bassin, une suprastructure déjà créée par l’OMVS, mais non opérationnelle pour le moment, qui permettra de fédérer toutes les instances et regrouper tous les acteurs : scientifiques, paysans et la société civile. Si ces dernières suggestions semblent se contredire, nous croyons qu’elles ne sont pas complètement irréconciliables. En effet, de

522 Entretien avec Mbaye Ababacar Ndiaye, op. cit.; Entretien avec Ousmane Dia, op. cit. 523 Entretien avec le Dr Adrien Coly, op. cit.

524 Entretien avec Mbaye Ababacar Ndiaye, op. cit. 525 Entretien avec Bababar Papa Gueye, op. cit.

526 Entretien avec Papa Iba Fall; Entretien avec Amadou Diop, op. cit. 527 Enquêtes à Ndombo, op. cit.

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l’ensemble des témoignages ressortent deux impératifs : le premier étant un décloisonnement des structures afin de permettre des initiatives transversales et d’éviter un dédoublement des actions; le second voulant la désignation d’espaces thématiques où adresser des problématiques précises. Il nous apparaît possible de répondre à ces deux requêtes par une (re)définition précise du rôle des espaces de participation existants et par la complétude du schéma institutionnel en instaurant les institutions permettant de combler les chaînons manquants.

Enfin, pour assurer un bon fonctionnement des CLC, plusieurs spécialistes rencontrés ont fait état de l’importance d’instaurer une collaboration entre les CLC et des instances de participation complémentaires qui permettraient d’assurer une meilleure implication à la base528. En effet, les CLC

couvrent le niveau départemental, mais l’on retrouve plusieurs autres entités au-dessous, comme la communauté rurale. Or, bien que des représentants des communautés rurales siègent au sein des CLC, plusieurs posent la question légitime : est-ce suffisant?529 Pour Madiop Hane, le schéma de

représentativité devra être repensé afin que les propositions faites reflètent les préoccupations émanant de la base530. Ababacar Ndao, quant à lui, soutient que la mise en place des Unions

villageoises de développement durable (UVDD) est souhaitable, car celles-ci permettront d’agir à une échelle encore plus locale. Le rôle des UVDD demeure pour le moment plutôt flou, et sera à préciser, mais Ndao soutient que celles-ci constitueront le concept qu’en feront les populations. Les UVDD, comme l’explique Tamsir Ndiaye, ont pour but de créer des espaces de développement endogène et structurer le développement du bassin autour d’axes nodaux autour desquels s’articuleront des activités économiques durables531. Au demeurant, selon Ndao un optimum devra

être trouvé, car lorsque les structures s’atomisent trop, il y a perte d’efficacité532.

Somme toute, plutôt qu’une refonte institutionnelle complète, il nous apparaît prioritaire de redéfinir les rôles de chaque instance et des personnes qui y siègent et d’attribuer (juridiquement et politiquement) aux collectivités et aux associations concernées les compétences nécessaires pour l’exercice de leurs droits et devoirs. Or, puisqu’il existe une dynamique différente dans chaque pays, la représentation et les cadres règlementaires devront préférablement se construire au niveau national, comme l’affirme Babacar Diop533. Pour ce faire, appuyé par l’OMVS, et en tenant compte

528 Parmi ceux-ci notons Papa Iba Fall; Ababacar Ndao et le Dr Amy Kebe Mane.

529 Entretien avec Ababacar Ndao, op. cit.; Entretien avec Babacar Diop, op. cit.; Entretien avec Tacko Diallo Gueye, op. cit. 530 Entretien avec Madiop Hane, op. cit.

531 Entretien avec Tamsir Ndiaye, op. cit. 532 Entretien avec Ababacar Ndao, op. cit. 533 Entretien avec Babacar Diop, op. cit.

115 des réalités locales, chaque État membre devra procéder à une harmonisation de ses lois avec les impératifs découlant de ces transferts de responsabilités et d’une implication accrue du public à divers niveaux. Les suggestions recensées dans les sections suivantes indiquent certains points identifiés comme prioritaires par les répondants sur lesquels devront travailler de pair l’OMVS, les autorités nationales et locales des États membres, les intervenants sur le terrain et les populations elles-mêmes.