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3. VERS UNE GESTION INTÉGRÉE DES RESSOURCES EN EAU

3.2. La participation du public, une composante incontournable de la GIRE

Face au constat de la faillite des paradigmes de développements traditionnels, maints États et organisations internationales se sont attachés à repenser les schèmes usuels la planification et de la gestion des ressources en eau. De cette refonte s’exonde la valeur nouvelle accordée aux aspects environnementaux, sociaux et culturels des projets de développements. L’adéquation de ces trois volets apparaît maintenant nécessaire pour un développement durable et harmonieux des sociétés, ce qu’apparaissent favoriser les approches participatives dans les processus de décisions. Aussi, parmi les principes qui se dégagent de ces nouvelles approches, notons l’implication des organisations non gouvernementales (ONG), des individus, des centres de recherche et des autres parties prenantes concernées161.

Au regard du soutien croissant de la part des banques de développement et des bailleurs de fonds, la GIRE peut être déviée par les États ou des intérêts privés pour obtenir des fonds

156 Ibid.

157 OHLSSON (b), op. cit., p. 185. 158 LASSERRE (c), op. cit., p. 235-236. 159 OHLSSON (b), op. cit., p. 190.

160 AFFELTRANGER et LASSERRE, op. cit., p. 4. 161 GLEICK (a), op. cit., p. 131.

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additionnels, redorer leur blason sur les scènes nationales, régionales et internationale ou légitimer leur ligne d’action162. Aussi, la GIRE et sa composante de participation sont parfois victimes de leur

ambiguïté politique et des multiples définitions, parfois contradictoires. De fait, la participation des populations a parfois servi de levier à la réalisation de projets controversés. Dans ces cas, la participation consistait en des consultations où le public, invité à participer, était confiné à un rôle passif d’auditeur. Les voix dissidentes étant réduites au silence, cela pavait la voie à la légitimation des projets présentés. Cette forme de participation fantoche est fréquemment employée dans des projets d’envergures163. A contrario, lorsqu’elle est utilisée à bon escient et initiée dès le début d’un projet, la

participation des parties prenantes « permet d’éviter bien des frustrations et conflits au moment de sa mise en œuvre. Qui plus est, il existe un enjeu moral derrière la question de la participation des acteurs à la prise de décisions qui auront des répercussions notables sur leurs vies »164.

Le piège des discours traditionnels sur la participation, la bonne gouvernance et la décentralisation réside dans le fait qu’y sont trop souvent occultées les questions fondamentales des pouvoirs, des disparités d’accès à la ressource et du droit des individus à infléchir des décisions impactant sur leur vie165. Dès lors, une nouvelle forme de participation ouvrant les sphères

décisionnelles aux communautés est nécessaire, afin de leur permettre d’établir et de hiérarchiser leurs priorités et d’orienter les échanges166. Les bureaucraties sont, de manière générale, mal préparées

à transférer certains de leurs pouvoirs et à planifier des actions incitant les acteurs non étatiques à partager leurs idées et exercer leurs compétences. Pour y arriver, les fonctionnaires devront apprendre à déconstruire leurs interprétations personnelles teintées par leur éducation et leur expérience professionnelle167 et toutes les parties prenantes devront reconnaître le fait que tous les

acteurs ont des connaissances essentielles à apporter, qu’elles soient scientifiques ou traditionnelles168.

162 MOLLE, op. cit., p. 39.

163 Malee Traisawasdichai LANG, «Negotiating for Decision-Making Space in the Mekong Basin: Towards Rights-Based International River Basin Planning », dans Jannick BOESEN et Helle Munk RAVNBORG (dir.), From Water Wars to Water

Riots? – Lessons From Transboundary Water Management Proceedings of the International Conference, December 2003, DIIS, Copenhagen,

Copenhague : Danish Institute for International Studies, Working Paper, no 6, 2004, p. 81.

164 Jeroen WARNER et Eliab SIMPUNGWE, « La participation des usagers dans la gestion de l’eau : Quelles perspectives pour les plateformes multiacteurs en Afrique subsaharienne? », dans Frédéric JULIEN (dir.), La gestion intégrée des ressources en eau en

Afrique subsaharienne : Paradigme occidental, pratiques africaines, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 128.

165 Ibid., p. 82. 166 Loc. cit.

167 WARNER et SIMPUNGWE, op. cit., p. 115.

168 Stéphanie DOS SANTOS, « Le rôle des femmes selon la GIRE : Regard sur le troisième principe de Dublin en Afrique au sud du Sahara », dans Frédéric JULIEN (dir.), La gestion intégrée des ressources en eau en Afrique subsaharienne : Paradigme occidental,

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CONCLUSION

En somme, l’eau est une ressource qui, si répartie de façon inéquitable, peut susciter les convoitises et être instrumentalisée par des groupes défiant l’État ou désirant réparer les injustices et peut, éventuellement, mener à des épisodes de violence. Bien que l’on ne puisse écarter complètement l’hypothèse de guerres de l’eau, celles-ci semblent moins probables que l’éclatement de tensions internes. De surcroît, un conflit hydrique interétatique constitue une solution moins fructueuse que la gestion concertée d’un cours d’eau international, l’eau étant difficile à mobiliser et à transformer rapidement en richesse. Aussi, la GIRE apparaît comme la voie d’avenir que maints États décident d’emprunter, non sans comporter son lot d’embûches :

Reste que créer une communauté de l’eau (c’est-à-dire une communauté d’intérêts par nature contradictoires) ne va pas de soi. Les conflits entre communes riches et communes pauvres, rives droites et rives gauches, amont et aval, perdurent souvent, et ce, gestion par bassin ou pas169.

Afin d’éviter les écueils des paradigmes traditionnels, un grand nombre de spécialistes s’entendent sur le rôle-clé que joue l’implication des populations dans les processus décisionnels et de planification.

Au regard de ces éléments, nous avons jugé à propos d’analyser l’incidence de la gestion participative sur les relations entre communautés riveraines. Pour ce faire, nous avons choisi de nous pencher sur le bassin du fleuve Sénégal, qui, selon Kipping, est l’objet idéal d’une étude de cas sur les conflits et la coopération liés à l’eau, puisque « les deux phénomènes […] ont été extrêmes dans le bassin du fleuve Sénégal »170. En effet, les États de l’OMVS ont « atteint un point d’intégration

extraordinaire quant à la gestion commune du fleuve […] »171 et le conflit sénégalo-mauritanien fut

l’un des plus violents liés à l’eau172. Par ailleurs, selon Magistro, ce conflit est symptomatique d’une

tendance des États modernes à une lutte accrue pour les ressources humaines et naturelles entre différents groupes173. En effet, ce conflit illustre comment des opportunités économiques engendrées

par les investissements dans les secteurs hydroélectrique et agricole ont attisé les tensions liées à la possession foncière et réveillé de vieilles querelles concernant la délimitation entre les deux pays174.

169 Alexandre BRUN, « Les objectifs, principes et éléments de débat », dans Alexandre BRUN et Frédéric LASSERRE (dir.),

Politiques de l’eau : grands principes et réalités locales, Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006, p. 7.

170 Martin KIPPING, « Conflits et coopération liés à l’eau du fleuve Sénégal », Géocarrefour, vol. 80, no 4, 2005, p. 336. 171 Loc. cit.

172 Loc. cit.

173 John V. MAGISTRO, « Crossing Over : Ethnicity and Transboundary Conflict in the Senegal River Valley », Cahiers d'études

africaines, vol. 33, no 130, 1993, p. 205.

174 CLUB DU SAHEL ET DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (OCDE), « Case no 1 : Senegal-Mauritania Conflict », Security

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CHAPITRE II

PRÉSENTATION DE L’OBJET D’ÉTUDE ET DE LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE