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II. Le code-switching

3. Les fonctions du code-switching

3.1. Statut social et code-switching

3.1.1. Le code-switching comme outil de la neutralité sociale

Nous avions décrit précédemment les contraintes sociales que subissait le code-switching selon que le locuteur bilingue cherchait à adopter un discours correspondant au niveau hiérarchique de son interlocuteur. Maintenant, nous allons voir que le code-swiching, de par son emploi, peut établir une certaine neutralité sociale de son utilisateur.

En effet, pour Scotton et Ury1, le code-switching est une extension du locuteur qui peut par

exemple redéfinir l’interaction de façon appropriée à une zone sociale, ou justement, ne la définir à aucune zone sociale en code-switchant de façon permanente !

Le code-switching est alors souvent une stratégie de neutralité sociale ou permet au bilingue qui l’emploie de voir quelle est la langue la mieux appropriée au vu des réactions de son interlocuteur.

« Scotton (1986 : 406) note que dans de telles situations le code-switching lui-même n’a pas de signification sociale spécifique. C’est l’échantillon global de l’usage de deux langues qui amène la signification sociale. »2

Ce qui signifie donc qu’il faut remettre le code-switching en contexte ; une langue aura un statut différent selon la culture, l’origine et les autres langues de son utilisateur et de ses interlocuteurs. Ainsi, faire du code-switching de l’anglais vers l’espagnol n’aura pas la même signification sociale en Espagne qu’aux Etas-Unis. Dans le premier cas, le code-switching sera sûrement perçu positivement, alors qu’aux Etats-Unis les populations hispanophones ne sont pas toujours rattachées à des représentations sociales positives.

MacConvell propose alors un modèle définissant les différentes zones sociales où peuvent se situer, non pas tous les bilingues qui code-switchent, mais les Gurindjis -qui constituent une ethnie aborigène d’Australie-. Ainsi, son modèle3 n’a pas vocation d’universalité mais reste

pertinent pour illustrer notre propos.

1 Scotton & Ury Bilingual strategies : the social functions of code-switching (1977) 2 Ro maine faisant référence à Scotton, in Bilingualism p.152 (notre traduction) 3

Figure 8. Schéma des zones sociales gurindji et leurs comportements linguistiques associés Ici on observe quatre cercles concentriques, où celui au centre définit l’origine à l’ethnie via une langue propre à cette ethnie ; le wannyjira, ensuite on évolue vers la sphère sociale de la communauté régionale avec l’emploi du gurindji, vient ensuite le kriol –qui est l’appellation du créole australien- et enfin l’anglais qui est attribué aux Australiens blancs, qui délimite une autre sphère sociale. Ainsi un polyglotte maîtrisant ces langues a la possibilité de s’inscrire dans ces différentes zones sociales en fonction du code-switching qu’il effectuera. Il peut décider de s’inscrire dans une zone sociale spécifique ou au contraire, en code-switchant sans cesse d’une langue à l’autre, de ne s’inscrire dans aucune zone, et d’établir une certaine neutralité sociale. Le code-switching a pour rôle ici de briser les règles sociales, comme il brise les règles linguistiques de chacune des langues, prises isolément !

3.1.2. Le code-switching et la fonction d’attribution à un groupe social

Le code-switching peut aussi avoir pour fonction de marquer l’appartenance d’un bilingue à un groupe social déterminé, alors il ne s’agit plus de neutralité sociale mais d’appartenance sociale. Giles1, dans sa théorie de l’adaptation des paroles, évoquait la différenciation intergroupe du

bilingue employant le code-switching dans certaines situations et d’une certaine manière.

En effet, le code-switching peut être délibérément employé par le locuteur bilingue afin de se démarquer en tant que membre d’un groupe linguistique et/ou culturel ; il aura recours à des

1 Giles & Smith Accomodation theory : optimal levels of convergence- Langage and social psychology

marqueurs linguistiques comme un accent plus marqué, des expressions idiomatiques, et il code- switchera davantage vers la langue faisant référence au groupe dans lequel il cherche à s’inscrire. Dans ce cas le code-switching joue le rôle d’affirmation culturelle et linguistique du bilingue et signe également le ressenti négatif vis-à-vis de son interlocuteur n’appartenant pas à la même sphère que lui-même. Il s’agit ici d’un comportement d’adaptation divergente, qui fragilise la fonction communicationnelle du code-switching.

Toujours dans cette fonction sociale du code-switching, ce dernier peut signer une distinction symbolique entre deux groupes différenciés -du moins, dont on cherche à marquer la différence-. En effet, Gumperz1 a déterminé différentes fonctions que le code-switching pouvait avoir d’un

point de vue métaphorique, et l’une d’entre elles était la distinction symbolique entre ‘’nous’’ et ‘’eux’’ ; incarnée par le choix de la langue. Romaine développe ces notions ainsi : « La tendance

générale attribue le ‘’nous’’ à la langue de la minorité et le ‘’eux’’ à la langue de la majorité. La langue du ‘’nous’’ signifie typiquement l’appartenance au groupe et à des activités informelles, personnelles… alors que la langue du ‘’eux’’marque la non-appartenance au groupe et des relations plus formelles. »2

Gumperz estime donc que le choix de la langue employée dans le discours, appuie symboliquement cette distinction comme dans l’exemple suivant : « Wsi ingrezi sikhi e te why

can’t they learn ? »

Cette phrase se traduit littéralement : nous apprenons l’anglais, alors pourquoi n’apprennent-ils

pas (les langues asiatiques) ? Cependant, l’utilisation du code-switching à ces lieux de la phrase

apporte une emphase que l’on pourrait retranscrire ainsi : nous, on apprend l’anglais alors

pourquoi eux n’apprennent-ils pas (les langues asiatiques) ?

Ainsi, dans ce code-switching, l’utilisation du panjabi sert à signifier l’appartenance au groupe des bilingues panjabi/anglais et l’emploi de l’anglais désigne la non-appartenance à ce groupe. Même si le code-switching peut avoir pour fonction de circonscrire des groupes sociaux à des langues -et donc, de marquer leurs différences- le bilingue peut décider d’utiliser sa compétence linguistique au service de la compréhension de son interlocuteur.

3.1.3. Le foreigner talk

Le foreigner talk désigne le comportement linguistique consistant à adapter son discours aux compétences linguistiques de son interlocuteur. Faire du foreigner talk, c’est maintenir l’interaction sociopsychologique entre les locuteurs.

En effet, les bilingues maîtrisant deux langues peuvent se retrouver face à un interlocuteur ne maîtrisant que l’une de leurs deux langues, et donc dans une situation qui peut limiter l’échange. Il pourra faire le choix de code-switcher et de maintenir la langue maîtrisée par cet interlocuteur.

1 Gu mperz Discourse Strategies (1982)

Par ailleurs, dans le cas où l’interlocuteur ne maîtrise peu ou aucune des langues du bilingue, ce dernier pourra remanier ses langues, afin de se faire comprendre. Un monolingue peut avoir recours au même comportement et donc aux mêmes stratégies, cependant le bilingue sera plus efficace de par son habitude plus ou moins marquée de code-switcher. Le bilingue est plus enclin à s’adapter à son interlocuteur, car il est souvent confronté à ce type de situation dans son discours bilingue. Ses connaissances linguistiques le rendent plus performant pour ce type de tâche.

Les stratégies pouvant alors être adoptées sont les suivantes :

 Simplification linguistique, c’est-à-dire que le bilingue emploiera les tournures de phrase et le vocabulaire qui lui semblent les plus transparents pour son interlocuteur.

 Explication ; le bilingue fera beaucoup de paraphrases afin que les termes de son discours soient bien interprétés.

 Ralentissement du débit, qui aboutit à une articulation plus claire, et donc à une meilleure saisie de la chaîne phonologique émise par le bilingue pour son interlocuteur.

 Emploi d’une langue correcte ; le bilingue s’efforcera de ne pas produire de fautes afin de ne pas interférer dans la bonne compréhension du message par son interlocuteur.  Utilisation de procédés expressifs ; il s’agit ici de tout ce qui appartient au paralangage

(intonation, gestes, regard, …).

 Emploi de termes connus de la langue de l’interlocuteur, c’est-à-dire des termes transparents comme guitarra en espagnol et guitar en anglais.

Il est également possible, toujours dans le même but, que le locuteur propose des productions langagières représentant approximativement le système linguistique de la langue-cible, qui donne lieu alors à des simplifications, à la réduction de la production en général, à la surgénéralisation, à des interférences et à des emprunts non officiels. Ce phénomène est appelé ‘’interlangue’’.

Cependant, le code-switching est plus qu’un outil de communication au sein de relations sociales, il joue également un rôle stylistique.