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II. Le code-switching

3. Les fonctions du code-switching

3.4. La fonction conative du code-switching

L’utilisation du code-switching, au-delà de l’effet stylistique et didactique qu’il peut apporter, peut exercer une influence sur l’interlocuteur qui code-switche. En effet, la rupture linguistique peut déjà signifier une implication plus ou moins personnelle par rapport aux thèmes évoqués, surtout le code-switching permet de signifier à un groupe linguistique que l’on s’adresse à lui.

1 Gu mperz Discourse Strategies (1982) p.79 2 Timm Code-switching in War and Peace (1978)

3.4.1. Le code-switching comme marqueur de l’implication de l’émetteur du message

Il est très intéressant de souligner un comportement particulier en code-switching, dépeint par Gumperz dans l’exemple qui suit1. Gumperz note en effet que la bilingue s’adressant à son

médecin par rapport à son addiction au tabac, code-switche de l’anglais à l’espagnol sur des items n’ayant pas la même signification ni le même poids pour le locuteur…

Ce code-switching est marqué par la circonscription de la description de son problème en langue anglaise, alors que l’expression de son problème et de ses retombées sur sa vie sont décrits en espagnol. Gumperz avance alors que la différence de langues, donc l’usage du code-switching, symbolise des degrés variés de l’implication du locuteur dans son message. Ici l’espagnol reflète des aspects plus personnels et l’anglais installe plus de distance.

A :… I’d smoke the rest of the pack myself in the other two weeks. B :That’s all you smoke.

A :That’s all I smoked. B : And how about now ?

A : Estos… me los halle… estos Pall Malls me los hallaron. No, I mean that’s all the cigarettes… that’s all. There’s the one I buy.

Later :

A : they tell me ‘How did you quit, Mary ?’ I don’t quit I… I just stopped. I mean it wasn’t an effort that I made que voy a dejar de fumar por que me hace dano o this or that uh-uh. It’s just that I used to pull butts out the waste paper basket yeah. I used to go look in the… se me acaban

los cigarros en la noche. I’d get desparate y ahi voy al basarero a buscar, a sacar, you know.

(A :… j’ai fumé le reste du paquet les deux dernières semaines. B : C’est tout ce que vous avez fumé.

A : C’est tout ce que j’ai fumé. B : Et que diriez-vous maintenant ?

A : Celles-ci… j’ai trouvé ces Pall Mall (marque de cigarettes)… elles étaient là pour moi. Non, je veux dire que ce sont les seules cigarettes que j’ai fumé… c’est tout. Ce sont celles que j’ai acheté.

Plus tard :

A : ils me demandaient ‘Comment t’es-tu sevrée Mary ?’ je ne suis pas sevrée je… j’ai juste arrêté. Je veux dire que je n’ai pas pris la peine d’arrêter de fumer parce que c’est nocif pour

moi ou bien ceci ou cela hmm. C’est juste que j’avais l’habitude de récupérer les mégots dans la

poubelle ouais. J’avais l’habitude de regarder à l’intérieur de… mes cigarettes me rendaient

folle la nuit. J’en devenais désespérée et puis j’allais à la benne à ordure pour en chercher, pour en trouver, vous savez.)

Cet exemple illustre donc l’une des fonctions du code-switching, qui est de refléter le degré d’implication du locuteur pour le message transmis.

Par ailleurs, cet aspect est également visible dans l’exemple suivant de code-switching du slovène à l’allemand –en gras dans le texte- où les deux interlocuteurs discutent de la provenance d’un type de blé :

A : Vigele ma ye ameirce. (le ‘wigele’ vient d’Amérique) B :Kanada pridee. (Il vient du Canada).

A : Kanada mus i sogn nit. (Je ne dirais pas qu’il vient du Canada).

Dans cet exemple, le code-switching final vers l’allemand a pour but d’asseoir davantage d’autorité au refus de la proposition de B, selon l’interprétation de Gumperz. Ici il s’agit d’utiliser le code-switching pour distinguer l’opinion personnelle d’une connaissance avérée, et plus particulièrement ici, pour apporter l’autorité d’un fait connu.

Pour mieux illustrer cette fonction du code-switching, Romaine reprenant les travaux de Gumperz, résumait ainsi ce rôle attribué à ce phénomène linguistique : « Finalement, Gumperz

énonce une catégorie de code-switching qui a pour fonction de marquer la subjectivité versus l’objectivité. (…) Gumperz disait que ce contraste repose sur des éléments tels que : la distinction entre parler d’une action et parler pour induire une action ; le degré d’implication du locuteur dans son message ou sa distance par rapport à ce dernier ; si une assertion reflète une opinion personnelle ou une connaissance ; et si cela fait référence à des cas spécifiques ou si cela détient l’autorité des faits universellement connus. »

Cette citation résume ce qui se joue lors du code-switching, quand le locuteur cherche à montrer son implication dans son message, mais également quand il cherche à impliquer son interlocuteur et à exercer une influence sur ce dernier, avec le concours –entre autres- du code-switching. Ainsi, nous allons maintenant voir comment le code-switching peut amener les interlocuteurs du bilingue à se sentir concernés, et également comment dans ce cadre, le code-switching peut être utilisé pour exercer une influence sur ses destinataires.

3.4.2. Le code-switching et ses destinataires

Le fait de s’adresser dans une langue donnée, et de poursuivre son discours dans une autre, ou d’y insérer des éléments entraîne une rupture dans la forme du message, qui peut alors attirer davantage l’attention des interlocuteurs du bilingue.

En effet, cette rupture stimule le système attentionnel des interlocuteurs, qui s’était programmé pour une tâche attentionnelle de routine, sauf que l’alternance des langues enclenche un degré de vigilance supérieur, si bien que l’attention donnée au message est alors plus importante.

On comprend alors, que le code-switching peut être utilisé afin d’interpeller le destinataire de manière plus appuyée que par un discours en mode monolingue. Par exemple, les publicitaires emploient des formulations choc, à base d’impératifs entre autres, or le code-switching peut faire partie des techniques commerciales pour attirer davantage l’attention du public.

Ainsi, Melissa Bishop et Mark Peterson1 ont étudié les effets du code-switching sur la population

américano-mexicaine des Etats-Unis dans les affiches publicitaires. Ils ont relevé que l’introduction d’un code-switching vers l’espagnol au sein d’une publicité rédigée majoritairement en anglais apportait un effet plus positif que lorsqu’il s’agissait d’un code- switching vers l’anglais au sein d’une publicité employant l’espagnol. L’effet positif consistait en un sentiment d’implication plus important pour la publicité en question, c’est-à-dire que le public se sentant davantage concerné, aurait plus de chance d’acheter le produit vanté par la réclame. Gumperz2 avait décrit cette fonction que pouvait avoir le code-switching ; celle de signifier par la

forme que le bilingue adresse son message à un destinataire précis. Ce type de code-switching permet d’attirer l’attention du destinataire et de l’inviter alors à participer à l’échange.

Nous pouvons illustrer cette fonction par l’exemple3 suivant : « Where ‘nother knife ? Walima

pocket knife karrwa-rnana ? » (Où est l’autre couteau ? Personne n’aurait un canif ?)

Dans cet exemple, le bilingue alterne le kriol –créole australien- qui est la langue comprise de tous ; il s’agit alors d’une question adressée à tous. Puis, il alterne avec le gurindji pour spécifier sa demande à un sous-groupe d’interlocuteurs qui sont des coparticipants de l’activité en cours. Ainsi, le code-switching indique, sans que le bilingue ne doive le préciser verbalement, une adresse à un destinataire particulier.

Nous avons donc vu que le code-switching est un phénomène linguistique à part entière qui émane du contact entre les langues, c’est pourquoi il faut le différencier d’autres phénomènes linguistiques proches. Sa définition n’est pas aisée, surtout quand il s’agit de comprendre les mécanismes de construction de celui-ci.

Nous avons vu que le code-switching présente une grande complexité, mais malgré les difficultés que le bilingue doit surmonter pour le produire -et donc, malgré les déviations qui peuvent alors résulter de ses mécanismes de construction- le code-switching est un outil très intéressant pour la communication du bilingue.

Remplissant à la fois des fonctions sociale, stylistique, didactique et conative ; le code-switching n’est pas le signe d’un manque lexical4, mais au contraire, d’une grande richesse

communicationnelle. Evidemment, ceci concerne le sujet sain, nous allons donc nous intéresser maintenant au bilingue aphasique, ainsi qu’à la place et au rôle du code-switching dans les troubles phasiques de ce dernier.