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III. Aphasie, bilinguisme et code-switching

4. La rééducation du bilingue aphasique ; les enjeux du transfert

4.2. Les facteurs influençant la généralisation des transferts

S. Kiran et P. M. Roberts, dans leur étude portant sur l’analyse du traitement sémantique de bilingues aphasiques anglais-espagnol et français-espagnol4, énoncent les différents facteurs ayant

une influence sur l’ampleur de la généralisation du transfert des données rééduquées dans une langue à la langue non rééduquée.

Il s’agit en partie des mêmes facteurs que ceux pouvant influencer un mode de récupération particulier chez le bilingue aphasique.

1 Galvez & Hinckley (2003) cités par Roberts & Kiran Assessment and treatment of bilingual aphasia and

bilingual anomia (2007)

2 Mazau x & co ll. Aphasies et aphasiques (2007)

3 Hameau in rééducation orthophonique N.253 (mars 2013)

4 Kiran & Roberts Semantic feature analysis treatment in Spanish–English and French–English bilingual

4.2.1. La validité des auto-évaluations

Le premier problème qui se pose est de déterminer la compétence pré-morbide du patient bilingue aphasique. Ce dernier peut être amené à remplir un questionnaire d’auto-évaluation ; or la validité des réponses du patient ne peut être assurée à 100%.

Ainsi, la relative subjectivité qui intervient à ce niveau ne permet pas de tirer des conclusions objectives quant à la corrélation entre certaines données concernant les compétences pré-morbides du patient, les résultats de la rééducation et de son transfert à la langue non rééduquée.

4.2.2. La compétence pré-morbide du bilingue aphasique

Ce facteur ne figure pas dans l’étude de Kiran et Roberts, mais nous avons voulu l’inclure dans cette partie car, il s’agit malgré tout d’un facteur non négligeable.

En effet, Faroqi-Shah & coll.1 ont remarqué au cours de leurs recherches qu’il y a un transfert de

la langue rééduquée à la langue non rééduquée quand cette première était la langue la plus faible du patient avant son aphasie.

Ceci s’explique par le fait que la langue la plus faible dépend le plus souvent d’emprunts à l’autre langue. Ainsi, rééduquer la langue la plus faible qui s’appuyait sur l’autre permettrait de rétablir les liens préexistants à l’aphasie, et donc de généraliser les items rééduqués !

De plus, Edmonds & Kiran estiment que le transfert de la L1 à la L2, en rééduquant l’une des deux langues, est influencé par le niveau de compétence pré-morbide du patient.

En effet, si ce dernier avait un bilinguisme de haut niveau pour ses deux langues, le transfert serait plus facilement opéré.2

4.2.3. La sévérité de l’aphasie

Si l’aphasie du bilingue est importante, sa rééducation est plus difficile ; alors le transfert de la rééducation à la langue non rééduquée serait conséquemment bien plus difficile.

4.2.4. La localisation de la lésion et son étendue

Selon les zones corticales touchées, la parole, le langage et les facultés de communication du patient sont plus ou moins touchées.

Par exemple, si le lobe frontal est lésé, le patient pourrait voir l’une des deux langues (ou les deux) très inhibée, ou au contraire, être face à un mélange des langues, faute de contrôle.

1 Faroqi-Shah, Fry mark, Mullen &Wang Effects of treatment for bilingual individuals with aphasia : A

systematic review of the evidence (2010)

2 Ed monds & Kiran Effect of Semantic Naming Treatment on Crosslinguistic Generalization in Bilingual

La localisation de la liaison aurait donc un lien direct avec les chances de transfert des items rééduqués à la langue non rééduquée. Si la langue non rééduquée est totalement inhibée, il serait alors très difficile que le transfert opère ; du moins qu’il soit objectivable !

L’étendue de la lésion aurait également son incidence, car plus la lésion affecte des territoires vastes, plus elle a de risque de léser les deux langues du patient mais également leurs connexions. Le transfert ne serait donc pas aisé en cas de rupture des connexions inter-langues, par exemple.

4.2.5. Le degré de déficience dans chacune des langues

Suite à l’aphasie, le bilingue peut voir l’une des langues bien plus atteinte que l’autre, or cette donnée serait un facteur de la plus ou moins bonne généralisation des items récupérés à la langue non rééduquée. En effet, plus la langue non rééduquée est atteinte, plus le transfert des items rééduqués à cette langue serait difficile.

4.2.6. Les domaines où chaque langue intervient

Comme nous l’avions vu dans notre première partie traitant du bilinguisme, le bilingue n’emploie pas les langues pour chacun des domaines de sa vie, ainsi son lexique n’est pas forcément équivalent d’une langue à l’autre. Le transfert serait donc plus facile quand le contenu de la rééducation comprend des aspects partagés par les deux langues du patient1.

Alors, un bilingue aphasique qui bénéficierait d’une rééducation dans l’une des langues portant sur l’accès au lexique dans un domaine particulier, ne verrait peut-être pas un transfert s’opérer dans la langue non rééduquée. En effet, s’il ne possédait pas ce lexique dans cette deuxième langue avant son aphasie, il est alors évident que ce dernier ne pourra pas être récupéré par transfert d’une langue à l’autre !

4.2.7. L’âge d’acquisition de la L2

Si la langue rééduquée est la L1 du patient, le transfert des items rééduqués à la L2 pourrait être entaché par l’âge d’acquisition de cette langue.

En effet, l’âge d’acquisition d’une langue influe sur la procéduralisation de la grammaire, sur la conscience méta-linguistique que le bilingue en a, par exemple.

Ainsi, la différence qui peut résider en ce lieu entre les deux langues du patient crée un écart entre celles-ci et pourrait entraver le transfert de la rééducation d’items à la langue non rééduquée.

4.2.8. Les particularités linguistiques liées au bilinguisme

Le transfert des items rééduqués d’une langue à l’autre peut être facteur de la proximité structurelle et typologique des langues du bilingue aphasique. Il y aurait plus d’éléments transférables quand les langues du bilingue aphasique sont de typologies proches.1

Ainsi, Kiran et Roberts2 expliquent, suite à leur étude, que le transfert plus important chez leurs

patients parlant français et espagnol est lié la proximité des deux langues qui ont la même racine. La diversité des facteurs entrant en compte pour le transfert de la rééducation d’une langue à l’autre nous laisse entrevoir la difficulté à objectiver la réussite de telles rééducations. En effet, s’il y a échec du transfert, il est alors difficile de déterminer la part de responsabilité de cet échec à la rééducation en elle-même ou aux facteurs énoncés précédemment.

Malgré des résultats discutables pour ce type de rééducation, il nous semblait intéressant de présenter ce type de rééducation et le matériel linguistique sur lequel il se base. Deux effets sont particulièrement étudiés : l’effet du traitement sémantique et l’effet des mots cognats.

4.3. Traitement sémantique, mots cognats et transfert à la langue non