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II. Le code-switching

2. Les mécanismes de formation du code-switching

2.4. Code-switching et langue de base

La grande question des linguistes travaillant sur le code-switching concerne la langue de base de ce dernier. En effet, le bilingue s’appuie-t-il davantage sur une langue depuis laquelle il code- switche des éléments ? Si c’est le cas, comment déterminer quelle est la langue de base et quelle est la langue intégrée? Nous allons présenter ici, différentes théories s’intéressant à ce problème.

2.4.1. Les facteurs pouvant déterminer la langue de base

Selon certaines théories, le code-switching prendrait place au sein d’une langue de base pour y introduire des éléments d’une autre, ainsi ces derniers se plieraient à la langue de base ; c’est pourquoi pour Nishimura2, la langue de base d’un code-switching peut être déterminée selon

l’ordre des mots de l’énoncé contenant du code-switching. Si l’énoncé respecte l’ordre des mots de L1 malgré une forte présence de mots appartenant à la L2, c’est la L1 qui est la langue de base à partir de laquelle s’élabore le code-switching.

Ainsi, dans les exemples suivants3 donnés par Nishimura, la langue de base est le japonais car les

phrases respectent un ordre Sujet-Objet-Verbe, ce qui correspond à l’ordre basique des mots en japonais, et non celui de l’anglais, langue intégrée à la langue japonaise dans les exemples suivants :

Only small prizes moratta ne (nous ne faisons que de petits prix, vous savez)

What do you call it nihongo de ? (qu’est-ce que tu appelles ‘’japonais’’ ? Qu’entends-tu par japonais ?)

Le sens commun aurait pu amener l’idée que la langue de base d’un code-switching est celle qui apporte le plus d’éléments à l’énoncé code-switché, comme s’il existait un principe de quantité. Les exemples de Nishimura présentent des situations où davantage d’éléments appartienent à l’anglais, cependant la langue de base est le japonais selon son principe.

1 Meuter in Handbook of Bilingualism chapitre 17

2 Nishimura M. Intrasentential code-switching : the case of language assignement (1986) 3 Idem

Un autre principe s’essayant à prédire la langue de base d’un énoncé code-switché est le principe de langue gouvernante, comme énoncé par Romaine : « étant donné qu’il est généralement admis

que le verbe est le chef de la phrase, la présupposition que le verbe détermine la langue de base émane généralement de théorie de la gouvernance. »1

La langue de base d’un énoncé code-switché sera alors celle qui lui donne son verbe principal. Certains avancent que la langue de base de l’énoncé sera celle du premier élément de ce même énoncé2. Ce premier élément constituera la langue matrice et la langue intégrée déterminera si le

code-switching est possible.

Enfin, d’autres3 plaident pour une grammaire convergente des langues du code-switching comme

nous pouvons l’observer avec les constructions mixtes de verbes composés.

Ainsi, il existerait une troisième grammaire où les productions seraient générées par un ensemble de règles qui ne se construiraient pas nécessairement dans la grammaire de chaque langue. Alors, les termes code-switchés ne devraient pas être analysés selon la structure de telle ou telle langue, mais selon sa structure propre.

On voit ici que le code-switching a donc ses propres règles et ses propres contraintes. D’ailleurs, Singh4avait décrit le mélange codique hindi-anglais comme un nouveau code, une nouvelle langue

qui entrait en opposition avec les deux autres langues dont il était issu.

L’hypothèse d’une troisième grammaire est très intéressante d’un point de vue linguistique, cela montre bien la richesse du code-switching. Cependant, nous avons rencontré davantage d’études traitant de l’hypothèse présentée dans cette section selon laquelle le code-switching se construit à partir du système morphosyntaxique d’une des deux langues du bilingue, la langue matrice (LM), à laquelle s’ajoutent des éléments de la langue intégrée (LI).

2.4.2. Construction du code-switching à partir d’une LM

Si on admet que le code-switching alterne des éléments des deux langues du bilingue à partir d’une de ses deux langues érigée au rang de langue matrice, alors cette dernière donne en quelque sorte la direction de la construction du code-switching lui-même.

En effet, la LM a un rôle dominant par rapport à la LI dans la structuration de la proposition, elle est en quelque sorte constamment ‘’activée’’.5

Le fait d’une activation permanente –à des degrés plus ou moins élevés- a une incidence sur les items appartenant à la LI. C’est ainsi que ces derniers se plient au système morpho-syntaxique de la LM, quand bien même il s’agit d’éléments pleins (mots, verbes, phrases propositionnelles…). Ceci est une hypothèse avancée par Carole Myers-Scotton, qu’elle appuie par des éléments cliniques. Elle avance que si la LM est une langue où les articles n’existent pas, contrairement à la

1 Ro maine Bilingualism (notre traduction)

2 Joshi Processing of sentences with intra-sentential code-switching (1985) 3 Ro maine Bilingualism

4 Singh Grammatical contraints on code-switching : Evidence from Hindi-English (1985) 5 Myers-Scotton in Handbook of bilingualism

LI, les mots émanant de cette dernière verront alors leurs articles supprimés. Dans l’exemple suivant, nous pouvons observer que les verbes de LI reçoivent les flexions de la LM : « Ukikaa

huk Baringo, unachange… unaanza kubehave kama watu wa huko » (= si tu restes ici à Baringo, tu changeras… tu commenceras à te comporter comme les gens d’ici).1

Cet exemple est tiré d’un enregistrement d’une conversation de deux femmes Kenyanes, parlant swahili et anglais (les mots anglais sont en gras dans l’exemple). Comme le veut l’hypothèse de l’auteur énoncée précédemment, la LI qui peut fournir des mots pleins ; ici change et behave, subissent l’influence de la LM puisque les flexions verbales du swahili sont appliquées à ces items, qui ne fléchissent pas selon la morphologie anglaise !

Cependant, on remarque qu’il est parfois difficile de démêler dans un item ce qui appartient à une langue ou à une autre –car ces dernières sont mélangées- il est alors difficile de dire laquelle est la LM et laquelle est la LI ! Il est parfois difficile de déterminer le début et la fin d’un code- switching, c’est-à-dire, à partir de quel moment y a-t-il eu un mélange des langues ? Et il est également difficile de déterminer s’il s’agit de code-switching ou d’un emprunt par exemple…

2.4.3. Les difficultés de la distinction codique

Nous avions défini dans notre première partie concernant le code-switching, les différents phénomènes linguistiques résultant du contact des langues. Même si ces phénomènes se sont vu attribuer des critères qui les distinguent, il est parfois difficile de les identifier clairement au sein d’un discours bilingue.

En effet, selon Haugen2 les phénomènes bilingues s’inscrivent dans un continuum de distinction

codique où le code-switching correspond à un degré élevé de distinction, l’emprunt représente le niveau maximal de distinction et l’interférence fait référence au chevauchement des deux langues. Tous les linguistes ne s’accordent pas sur les critères différenciant le code-switching de l’emprunt, car même si pour beaucoup l’intégration morphologique est un bon critère, de nombreuses formes nominales seules attestent d’une intégration morphologique, ce qui signifie que des items empruntés ou code-switchés peuvent tous deux être intégrés morphologiquement…3

Par ailleurs, au-delà du problème de distinction entre les différents phénomènes linguistiques résultant du contact des langues, il est également difficile d’établir les lieux du code-switching dans des énoncés bilingues. En effet, ces derniers ne sont pas toujours établis d’un point de vue phonologique surtout pour des langues proches…4Ainsi, nous pouvons constater ce phénomène

dans les exemples suivants issus de l’anglais, de l’allemand et le néerlandais :

Meestal hier at the local shops en in Doncaster (= principalement ici dans les commerces de proximité et à Doncaster)

Es war Mr Fred Berger, der wohnte da in Gnadenthal and he went there one day (= c’était M. Fred Berger, il vivait ici à Gnadenthal et il vint ici un jour).

1 Idem p.330

2 Haugen Bilingualism in the Americas : A bibliography and research guide (1956) 3 Scotton Code-switching and types of multilingual communities (1988)

Dans ces exemples nous avons mis en gras la préposition in car il s’agit d’un terme existant dans les trois langues, ayant la même signification et la même phonologie ; il est impossible de déterminer si dans les exemples donnés plus haut, il s’agit d’un code-switching en anglais, en allemand ou en hollandais. Ces termes ambigus sont appelés ‘’diamorphes homophones’’ par Clyne1 et illustrent la problématique de la délimitation du code-switching… Ceci est d’ailleurs

davantage complexifié par les formes déviantes qui peuvent apparaître.

En effet, la complexité de la construction du code-switching, le respect des contraintes qu’il impose, mais aussi la diversité des langues qui peuvent être en jeu, nous font apercevoir les limites de ce phénomène.