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4 Chapitre 4. Positionnement

2. Un positionnement constructiviste aménagé

2.2 Le statut du chercheur par rapport à son objet de recherche

Pour mener cette réflexion épistémologique qui permet au chercheur de renforcer la densité et la cohérence de son discours en lui donnant une légitimité scientifique et une validité tant au niveau des résultats que de leur formation (Martinet, 1990), nous allons dans un premier temps spécifier la relation circulaire sujet-objet, puis, dans un deuxième temps, spécifier le positionnement constructiviste de cette recherche.

2.2.1. La relation circulaire sujet-objet

Avant de rentrer dans une approche détaillée de notre positionnement épistémologique, il nous a paru nécessaire de réfléchir sur l’impact de notre expérience sur la qualité de notre production de connaissances et sur notre statut de chercheur par rapport à notre objet de recherche. Pour Devereux (1980), il ressort que l’introspection connaît une certaine validité dans certains champs scientifiques en sciences sociales, mais que son utilisation stricte est insuffisante.

J. Piaget (1972) fait l’étude des divers aspects de la relation circulaire sujet-objet :

« Le fait d’être à la fois sujet crée, dans le cas des sciences de l’homme, des difficultés supplémentaires […] La frontière entre le sujet égocentrique et le sujet épistémique est d’autant moins nette que le moi de l’observateur est engagé dans les phénomènes qu’il devrait pouvoir étudier du dehors. […] Dans la mesure même où l’observateur est engagé et attribue des valeurs aux faits qui l’intéressent, il est porté à croire les connaître intuitivement et sent d’autant moins la nécessité de techniques objectives. »

(Piaget, 1977 : 47).

1

Cf. Définition en annexe 1. Pour A. Bandura, les hommes sont peu incités à agir s’ils ne croient pas que leurs actes peuvent produire les effets qu’ils souhaitent. Les individus guideraient ainsi leur existence en se basant sur la croyance en leur efficacité personnelle. « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités. » (Bandura, 2007 : 12)

Le problème de la subjectivité inhérente au chercheur peut-il devenir un « levier du procès de connaissance », pour reprendre une formule de Devereux (1980) ? Pour cela, le chercheur doit essayer en permanence de clarifier la frontière souvent flou entre les connaissances à découvrir et les éléments vécus, afin que l’observation ne soit pas l’occasion d’une réactivation d’événements vécus, source de déformation de l’observation en la colorant d’un ressenti agréable ou désagréable.

La proximité entre notre objet de recherche et le vécu, la personnalité du chercheur peut être source de biais potentiels. L’objet de cette réflexion épistémologique et méthodologique est d’éclairer les sources de déformation susceptibles d’invalider nos résultats.

Nous voulons nous inscrire dans ce que Grinder et Bandler (1979) appellent une

méta-position, qui consiste à sortir de l’observé pour prendre du recul et ne pas donner de valeur à certains éléments de la réalité au détriment d’autres. Sortir de l’intuitif pour se consacrer à

l’observable, en essayant de le déformer le moins possible en développant une pensée auto

critique et auto réflexive (Morin, 1990a ; Schön, 1983).

Le fait d’inscrire ses travaux dans un certain paradigme, en respectant une certaine approche de la réalité et des outils existants pour l’aborder permet au chercheur de partager ses résultats avec une communauté scientifique qui sera plus encline à reconnaitre un certain niveau de scientificité tant au niveau des avancées théoriques que des articulations entre la théorie et les données empiriques du terrain. Cependant, si la recherche d’une reconnaissance de la communauté scientifique est nécessaire, elle ne doit pas nous scléroser dans une démarche méthodologique donnée sous prétexte qu’elle est « admise et reconnue », au risque d’une

« ruine de l’âme1 » pour ceux qui se concentre sur un établissement de l’ordre organisationnel

sans questionnement ni réflexivité, avec la pseudo justification qu’il est « scientifiquement

1« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », cette citation de Rabelais reprise par Martinet (2007) qui refuse de se réfugier derrière des critères qui caractériseraient une prétendue méthode scientifique, valable en tout temps et en tout lieu. Martinet invite à prendre en compte les évolutions épistémologiques considérables intervenues ces dernières décennies et à conjuguer sans relâche la connaissance, l’action et la conscience, en tressant ces trois brins – épistémique, pragmatique et éthique – pour mettre davantage la recherche en management au service de l’homme.

correct ». Nous nous efforcerons de respecter une méthode de recherche rigoureuse tout en gardant à l’esprit la conscience qu’il est possible de concevoir de nouveaux outils articulant mieux les dimensions épistémique, pragmatique et éthique (Martinet, 2007).

Le processus d’accès à la connaissance est co-construit avec les acteurs selon une posture interactive transformative décrit par la figure 30 suivante :

Figure 30 : la posture constructiviste du chercheur (d’après Giordano, 2003 : 24)

Nous pensons avec Dumez (2010 : 13) que « l’élément épistémologique le plus original de la

recherche qualitative ou de l’étude de cas est que l’articulation entre le problème scientifique, le cadre analytique et le matériau empirique (dans leur imbrication) se fait lors de boucles de mise en relation de ces éléments, boucles incluant le recueil des interprétations des acteurs. »

Le processus d’accès à la connaissance dans le paradigme constructiviste passe par la

compréhension du sens que les acteurs donnent à leur réalité : le sensemaking de

Weick (1995a). Il tient compte dans cette démarche de l’environnement nécessairement contingent, avec deux idées guidant le processus :

le chemin de la connaissance n’existe pas a priori mais il se construit au cours du processus.

ce cheminement est fortement lié aux objectifs que s’est fixés le chercheur quant à son projet initial.

Le statut de la connaissance est en conséquence fondamentalement intentionnel. Les acteurs

construisent volontairement leur monde par les attitudes, leurs croyances, leurs

comportements, et les chercheurs proposent des dispositifs pour leur permettre de construire et de vivre des situations de gestion et de travail avec plus d’efficacité et de bien-être.

2.2.2. Un positionnement constructiviste aménagé

Le clivage traditionnel entre tenants du positivisme et défenseurs du constructivisme semble s’être complexifié pour laisser émerger des aménagements épistémologiques et leurs corollaires méthodologiques dont les aspects pluriels, souvent moins radicaux permettent

d’enrichir la recherche (Clénet, 2007). De même, Martineau et al. (2001 : 12) parlent de

continuum entre subjectivisme et objectivisme1 et invitent le chercheur à se placer entre ces deux points qui ressembleraient à des extrêmes méthodologiques difficilement mobilisables. Le tableau 8 suivant représente les critères de la connaissance selon les deux paradigmes positiviste et constructiviste.

1 « L’objectivisme et le subjectivisme – pris au pied de la lettre – expliquent de manière erronée la relation entre le chercheur et l’acteur. L’objectivisme oublie trop souvent l’acteur pour ne donner du poids qu’au discours du chercheur. Par contre, le subjectivisme n’en a que pour l’acteur, oubliant l’originalité de la position du chercheur. Dans un sens, les deux paradigmes nient le dialogue possible entre « savant » et « praticien » ; dans chaque cas un des protagonistes doit se taire car son discours (…) est perçu comme sans valeur ou de valeur moindre. » (Martineau, Noel, Sammut, Senicourt, 2001 : 12)

Paradigme positiviste

(dominant)

Paradigme constructiviste

(émergent) Influence des sciences dites « dures »

(Descartes, Comte)

Influence des sciences humaines (Piaget, Von Glasarsfeld)

Réalité donnée à voir Réalité se construisant

Modélisation analytique d’une réalité compliquée Modélisation projective de l’action complexe dans un environnement complexe Hypothèse déterministe

Pas (ou très peu) d’interaction sujet/objet

Hypothèse intentionnaliste Forte interaction sujet/objet

Grand échantillons, sujets interchangeables Etudes de cas cliniques. Analyse longitudinales Validation « large » Validation « étroite », fonction du contexte « Vérité » (réfutabilité) Logique du plausible et de l’enseignable Tableau 8 : des critères de la connaissance scientifique (d’après Daval, 2000 : 230)

Dans la positionnement constructiviste que nous revendiquons, la réalité n’est pas donnée si bien que le chercheur doit la construire : la connaissance ne reflète plus une réalité

ontologique « objective » mais résulte de la mise en ordre de l’organisation d’un monde forgé

par notre propre expérience (Von Glaserfield, 1988). La connaissance adopte dès lors pour le chercheur un caractère opératoire, éminemment compatible avec les sciences de gestion.

L’objectif n’est plus d’expliquer pour prévoir, mais d’expliquer pour proposer des formes qui permettront aux acteurs de construire des dispositifs et des outils de gestion plus respectueux de la santé et du bien-être des personnes.

En guise de synthèse des différentes positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste nous proposons le tableau de synthèse 9 de la page suivante (adapté de Girod-Séville, Perret, 1999 et Giordano, 2003).

Le positivisme L’interprétativisme Le constructivisme

La nature de la réalité (Ontologie)

La réalité est une donnée objective indépendante des

sujets qui l’observent Hypothèse déterministe

La réalité est perçue/interprétée par des

sujets connaissants et sensibles

La réalité est une construction de sujets connaissants et sensibles qui expérimentent le monde Co-construction de sujets en interaction

Quel est le statut de la connaissance ?

Hypothèse réaliste Il existe une essence propre

à l’objet de la connaissance

Hypothèse relativiste L’essence de l’objet ne

peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme)

Hypothèse constructiviste L’essence de l’objet ne

peut être atteinte voir n’existe pas (constructivisme radical) Relation chercheur/objet de la recherche (épistémologie) Indépendance : le chercheur n’agit pas sur la

réalité observé

Empathie : le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font qui,

eux-mêmes, interprètent l’objet de la recherche

Interaction : le chercheur co-construit des interprétations et/ou des

projets avec les acteurs

Comment la connaissance est-elle engendrée ?

Chemin de la connaissance scientifique

La découverte

Recherche formulée en termes de « pour quelles

causes… »

Statut privilégié de l’explication

L’interprétation

Recherche formulée en termes de « pour quelles

motivations des acteurs… » Statut privilégié de la compréhension La construction Recherche formulée en termes de « pour quelles

finalités… »

Statut privilégié de la construction

Projet de connaissance Décrire, Expliquer, Confirmer

Comprendre Construire

Quelle est la valeur de la connaissance ? Les critères de validité

Vérifiabilité Confirmabilité

Réfutabilité

Idiographie Empathie (révélatrice de l’expérience vécue par les

acteurs)

Adéquation Enseignabilité

Tableau 9 : Positions épistémologiques des trois paradigmes de recherche positiviste, interprétatitviste, constructiviste

(d’après Seville et Perret, 1999 : 15, M’bengué et al. 2000 : 281, Giordano, 2003 : 25)

Les paradigmes

Les questions épistémologiques