Conclusion du Chapitre 2
Chapitre 3. Le management du bien-être à travers les espaces
3. Les effets des espaces de discussion sur le bien-être et l’efficacité bien-être et l’efficacité
3.3. Proposition d’un modèle heuristique de management du bien-être à travers les espaces de discussion bien-être à travers les espaces de discussion
Maintenant que nous avons spécifié une représentation collective de l’espace de discussion, nous pouvons proposer un premier modèle heuristique de management du bien-être à travers les espaces de discussion.
3.3.1 Proposition d’un modèle heuristique du bien-être
Au terme de cette discussion, nous proposons une ébauche de modèle heuristique d’un management du bien-être au travail reposant sur le triptyque suivant (cf. figure 23) :
Un niveau minimal ex ante de confiance, une proximité physique et fonctionnelle
au sien de l’organisation et une volonté affichée de consacrer du temps à une « réflexion en cours d’action » (Schön, 1983).
La construction effective d’espaces de discussion centrés sur l’expérience de
travail, permettant une pratique réflexive sur l’activité dans le but d’une préservation des ressources (Hobfoll, 1989).
La (re)constitution de collectifs de travail vivants et investis par les acteurs en tant
que garant collectif des règles de métier et des genres professionnels, seuls véritable
assurance de conserver, voir de développer un pouvoir d’agir, lui-même premier
L’hypothèse que nous formulons au terme de cette étude des espaces de
discussion est la suivante : c’est le langage, la « mise en mots des maux du
travail » au sein d’espaces de discussion qui marque la frontière entre dynamique pathogénique et dynamique salutogénique au travail.
3.3.2 La dynamique pathogénique se trouve en deçà de la « ligne du langage »
L’expérience chaotique du travail, les émotions de plaisirs et de souffrance sont perçues par l’individu comme une énergie puissante mais intraduisible en mots, et donc comme une
masse émotionnelle indifférenciée qui ne peut être dite ni pensée, encore moins interrogée.
Par exemple, la culpabilité, la honte, la colère, jointes à l’incapacité de les reconnaitre ou d’en parler peuvent se somatiser en une douleur physique.
La douleur physique - par exemple les trouble musculo-squelettiques (TMS), les maux de dos chroniques… - : à ce niveau l’individu ressent dans son corps les tensions que lui inflige l’intensité de l’expérience de travail. Par exemple, il parle d’un poids sur la poitrine
Espace de discussion Réflexivité et préservation des ressources Confiance, proximité, temps Conditions d’émergence Collectif de travail
Pouvoir d’agir et qualité du travail
Bien-être au travail
sans reconnaitre l’angoisse sous-jacente, une démangeaison sans voir le stress intense qui la provoque, un nœud dans l’estomac, des éclairs de douleur… ou toute autre sensation souvent liée à la somatisation d’une émotion déniée ou refoulée.
La souffrance psychique –par exemple le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout, quand la dépression survient avec ses symptômes de perte d’élan vital, d’absence
de plaisir, de repli sur soi et d’absence de projection. Quand c’est la psyché qui craque
littéralement d’avoir été trop investi de rapports de pouvoir, de domination et d’emprise psychologique (Chateauraynaud, 2006).
Enfin l’insensibilité émotionnelle –quand la personne est claquemurée dans ses
mécanismes de défense et devient incapable de ressentir quoi que ce soit qu’elle puisse étiqueter comme sentiments, alors même que souvent elle est sous l’emprise d’émotions puissantes – mais refoulées -, que des observateurs empathiques peuvent détecter à partir du visage ou de l’attitude physique. Souvent, si on demande à la personne ce qu’elle ressent, elle peut se sentir déroutée, voir agressée, et répondre qu’elle ne ressent rien que de l’insensibilité et de la froideur. Les émotions, littéralement gelées ou desséchées, sont inaccessibles à sa conscience. Le risque devient alors celui d’un passage à l’acte violent : prise abusive d’alcool, de drogue ou tentative de suicide (Dejours, 2009 ; Karam, 2011).
3.3.3 La dynamique salutogénique se trouve au-delà de la « ligne du langage »
Par l’expression « au-delà de la ligne du langage », nous entendons que l’individu
a la capacité d’échanger des informations avec autrui sur son vécu positif ou négatif au travail. Ce qui lui ouvre la possibilité de développer une réflexivité sur son activité professionnelle (Schön, 1983) et une conscience des émotions ainsi qu’une finesse à leur propos (Goleman, 1998 ; Steiner, 1996). Pour franchir cette ligne linguistique, il nous faut pouvoir compter sur des échanges transactionnels qui ont lieu dans des espaces de
discussion ad hoc, où l’individu peut parler de son vécu subjectif de l’expérience de
travail, de ses sentiments positifs ou négatifs et être accueilli avec respect et ouverture.
Ceci lui permet de progresser dans le sens de la différenciation, de l’empathie et de
La différenciation est une étape à la fois vers la reconnaissance des diverses émotions au travail, de leur intensité et de leur causes, et vers l’apprentissage de la communication à leur sujet. L’individu se trouve à présent capable d’extraire du
chaos émotionnel de l’expérience et de la vie au travail les émotions spécifiques qui en étaient les constituants (colère, honte, haine, rancœur, excitation, peur, etc.) et de
réaliser que, peut-être, « le sentiment principal est l’amour entrelacé avec une
honte ou une haine puissantes, mêlées à une peur tout aussi intense » (Steiner, 1996 : 36).
La causalité : Au fur et à mesure que l’individu comprend l’exacte composition de ses sentiments, il parvient aussi à mieux prendre conscience des raisons qui l’y amènent : pourquoi une telle angoisse, pourquoi tant de haine, d’où vient cette honte ? C’est à ce niveau qu’on prend conscience du caractère inévitable des connexions émotionnelles entre les personnes, du fait qu’en dépit des affirmations contraires, nous pouvons induire des sentiments chez les autres et réciproquement (Goleman, 1995). L’individu découvre les entrelacs de ses tendances à réagir de telle ou telle manière avec l’impact qu’ont sur lui les actions des autres. Finalement, à ce stade, l’individu devient capable d’explorer et, dans la plupart des cas, de comprendre ce qu’il ressent au travail et pourquoi.
L’empathie : Lorsque l’individu apprend à différencier les émotions, l’intensité avec laquelle il les ressent ainsi que les causes qui l’y amènent, et que sa
conscience se fait de plus en plus fine, alors son intuition commence à percevoir
celle de son entourage professionnel avec une finesse comparable. A ce niveau de conscience émotionnelle, il perçoit intuitivement les sentiments d’autrui et, s’il se trouve dans un contexte de coopération, il peut valider ses intuitions en les vérifiant. Ce processus améliore grandement la précision des perceptions empathiques. De cette manière, chaque individu a tendance a être conscient des émotions d’autrui et de leurs causes tout aussi clairement que des siennes.
Pour E. Berne (1971) et T. Kahler (1988), l’individu reçoit les signaux émotionnels
d’autrui sur un « canal émotionnel intuitif » qui est en connexion directe avec sa
conscience. Dans l’empathie, il ne calcule pas, il ne doit ni voir ni entendre les
ressent les siennes. Il en résulte, entre autres, « une incapacité à ignorer les sentiments de douleur d’autrui ou à en abuser, ce qui comporte des conséquences éthiques et sociales importantes » (Steiner, 1996 : 37).
L’interactivité : les émotions sont loin d’être des phénomènes statiques : « elles sont chimiques, fluides et protoplasmiques, alors que les pensées sont plutôt électriques, à contour définis, et limités par leur contenant » (Steiner, 1996 : 37). Les émotions se mélangent, disparaissent par gradations insensibles ou au contraire croissent en présence d’autres émotions ou au cours du temps. De ce fait, la conscience de leur manière d’interagir entre elles, à l’intérieur des personnes comme entre les personnes différentes, augmente encore le degré d’intelligibilité que nous pouvons avoir des dynamiques qui agissent à l’intérieur des espaces de discussion (par ex : K. Lewin, 1946, 1959).
A noter que le continuum de conscience émotionnel (figure 24) a pour visée de clarifier les
concepts de dynamiques pathogénique et salutogénique plutôt que d’établir une échelle
chiffrée avec des scores clairement définis. Nous avons ajouté, au-delà d’interactivité, le
stade de la Présence (Scharmer, 2009 ; Brown, Ryan, 2003) avec des points d’interrogation
pour indiquer que nous ignorons quelles possibilités de développements ultérieurs ces recherches en cours peuvent nous ouvrir dans la progression de la dynamique salutogénique.
In sen sib ilit é E m o tio n n elle So u ff ran ce p sy ch iq u e Do u leu r p h y siq u e E x p ér ien ce ch ao tiq u e Dif fér en -ciatio n C au salité E m p ath ie in ter ac tiv ité P résen ce ?
Figure 24 : Dynamiques pathogénique et salutogénique dans le continuum de conscience émotionnelle
En résumé, nous dirions que l’investissement des acteurs dans des espaces de discussion centrés sur le travail permet d’engager une dynamique salutogénique qui rend possible le bien-être et la santé au travail.
Ainsi nous défendons la thèse que ces espaces de discussion contribuent à rétablir et cultiver un bien-être au travail qui passe par le maintien d’un « bien-faire » son travail tout en préservant ses ressources personnelles. L’un des enjeux de la (re)construction de ces espaces de discussion est de restaurer un espace-temps pour « prendre soin du travail ».
Dynamique salutogénique
Ligne du langage
Dynamique pathogénique
Investissement des espaces de discussion Mécanismes de défense
Isolement