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compétition, reproduction et domination

3. Stéréotypes, identité sociale et estime de soi

Le stéréotypage en temps que fonction cognitive pouvait également être un mécanisme facilitant la compréhention du monde et les interactions sociales. Stéréotypes et représentations sociales font en effet partie des outils constituant imaginaire de Soi et imaginaire d’Autrui, identité et altérité. Les représentations sociales jouent ainsi un rôle important dans la cohésion et la solidarité de toutes communautés. Elles constituent, au même titre que les langues, les récits ou les pratiques culturelles, un socle commun entrant dans la composition de l’imaginaire social du groupe. Se reconnaitre dans de telles représentations signifie à la fois se sentir appartenir au collectif, manifester la solidarité aux autres membres, mais aussi son désir de le protéger du changement et des menaces extérieures. Il peut s’agir aussi bien d’une communauté nationale que régionale, culturelle, religieuse, liguistique, politique, sexuelle ou

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MADON S., GUYLL M., ABOUFADEL K., MONTIEL E.,SMITH A., PALUMBO P. et JUSSIM J., « Ethnic and national stereotypes : The Princeton trilogy revisited and revised », Personality and

Social Psychology Bulletin, 27, 2001, pp. 996-1010.

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GILBERT G.M., « Stereotype persistence and changeamong college students », Journal of

Personality and Social Psychology, 46, 1951, pp. 245-254.

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KARLINS M., COFFMAN T.L. et WALTERS G., « On the fading of social stereotypes : Studies in three generations of college students », Journal of Personality and Social Psychology, 13, 1969, pp. 1-16.

professionnelle. Un même individu possède d’ailleurs autant d’identités sociales que d’appartenances. Les imaginaires et identités collectives qui circulent dans ces diverses catégories constituent ainsi les différentes pièce du puzzle que représente l’identité personnelle de chacun.

Lorsque l’individu adhère aux représentations et stéréotypes « dominants » dans son groupe d’appartenance, il renonce à l’exercice de son propre jugement pour les conceptions et modes d’action du groupe dans lequel il veut s’intégrer253

. Le stéréotype peut en ce sens favoriser l’intégration sociale de l’individu. Mais il peut aussi obliger celui-ci à se couler dans le moule, être ce qu’on attend de lui, correspondre aux stéréotypes, pour ne pas perdre sa place au sein de la communauté – nationale par exemple. Si l’on ajoute que cette appartenance est également aux yeux de l’individu ce qui lui permet de se situer et de se définir, on comprendra que le stéréotype intervient nécessairement dans l’élaboration de l’identité sociale et de l’estime de soi. Le stéréotype peut ainsi devenir une véritable prophétie auto-réalisatrice, influencer des vies tout en se reproduisant.

Dans toute interaction sociale – un entretien d’embauche par exemple – l’image que les individus se font au préalable les uns des autres tient une place importante. Elle met en jeu une image de soi, celle que chacun crée pour les autres, ainsi que celle que l’interlocuteur projette sur eux. Ainsi, pour Erving Goffman254 toute rencontre implique nécessairement une « présentation de soi » soumise à une « régulation sociale ». Pour le sociologue il existe donc toute une dramaturgie autour de « l’impression » que l’individu produit dans l’accomplissement de toute activité sociale. Pour chaque activité et appartenance sociale, il doit à proprement parler, jouer un « rôle » : par exemple on peu à la fois « jouer le rôle » de mère de famille, cliente du super marché, chef d’entreprise, musulmane, militante socialiste, patiente de son dentiste, fille de ses parents, etc.

En prolongeant cette réflexion, la fonction identitaire du stéréotype a ainsi été explorée notamment par la communication interculturelle255. En effet, la perception de l’autre, les préjugés à son égard ou l’absence de connaissance des codes culturels de l’autre, peuvent entraver la communication et la compréhention mutuelle. Dans les interactions sociales, les

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FISHMAN Joshua A., « An examination of the process and functions of social stereotyping », The

Journal of Social Psychology, n ° 43, 1956, pp. 27-64.

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GOFFMAN Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1 : La Présentation de soi, Éd. de Minuit, Paris, 1973.

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LICATA Laurent et HEINE Audrey, Introduction à la psychologie interculturelle, De Boeck, Coll. Ouvertures Psychologiques, Louvain-la-Neuve, 2012.

échanges verbaux ou toute situation de contact mettant en jeu deux personnes – ou groupes de personne – issues de millieux sociaux, de communautés ou de pays différents, il peut se produire que les mots, les attitudes corporelles ou les gestes ne soient pas déchiffrer correctement. En situation de contact prolongé, comme c’est le cas des population immigré, la confrontation au stéréotype peut troubler jusqu’à l’image de soi, remettre en question des valeurs morales ou sociales profondes. Cela est vrai pour le nouvel arrivant comme pour la personne qui lui fait face. Les deux vivent une acculturation qui peut mettre leur construction identitaire et leur image de soi en jeu. Mais le stéréotype n’agit pas uniquement lors du premier contact. Toute personne perçue comme issue d’une communauté minorisée, subit la dévalorisation des valeurs et des normes de son groupe social et par extension, de sa propre personne. Il reçoit non seulement les représentations collectives stéréotypées qui menacent son estime de soi, mais aussi, la « mauvaise réputation » d’une communauté qui donne lieu à certaines discriminations au logement ou à l’embauche en particulier. Ce qui redouble l’affaiblissement de la construction identitaire, de la conscience et de l’estime de soi. Cela conduit ainsi à une reproduction sociale, autant que de celle des préjugés et stéréotypes.

Le stéréotype étant un outil de catégorisation, il est la base même de l’expression du « nous » et du « eux ». Il participipe au mécanisme « d’identification collective » – d’un sentiment d’uniformité – en faisant ressortir les grands traits communs et en mettant de côté les particularismes individuels. Quatre conséquences apparaissent alors : correspondre à la « norme commune du nous » renforce le sentiment d’appartenance ; ne pas y correspondre ou ne pas être reconnu comme tel, provoque le sentiment d’exclusion ; valoriser sa communauté rejaillit sur la valeur que l’individu s’attribue à lui-même ; favoriser les personnes que l’on reconnait comme son égal possède le même effet. Ainsi, selon Henri Tajfel256, le simple sentiment d’appartenance suffit pour faire émerger des stéréotypes négatifs de l’autre groupe, même en dehors de véritables divergences d’opinions, d’intérêts ou de compétitions.

L’un des secteurs de l’ethnopsychologie ou psychologie des groupes, appelé imagologie, exécute un travail très proche de ce qui est fait dans cette étude. Ce courant, partant du constat du rôle tenu par les stéréotypes dans la construction des identités collectives et individuelles, analyse le « contenu des représentations qu’un peuple se fait d’un autre

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TAJFEL Henri, « La catégorisation sociale », in MOSCOVICI Serge (Ed.), Introduction à la

(hétéro-images) et de lui-même (auto-images) 257 ». Dans ce processus dynamique, les identités s’élaborent en se confrontant avec d’autres identités. Une place particulière est souvent accordée à l’homogénéité linguistique, culturelle et historique, même lorsqu’elle ne recoupe pas le concept de nation. Les travaux de Ladmiral et Lipiansky en communication interculturelle se fondent sur l’examen de « l’imagerie » franco-allemande, s’agissant pour eux de comprendre les mécanisme du jeu de miroir ambivalent et complexe entre les deux nations.

Dans le cadre des sociétés multiculturelles, ce jeu de miroir est particulièrement co-constructeur mais il peu aussi être destructeur, comme expliqué précédemment.