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Reconnaissance et appartenance, des besoins fondamentaux

II. Le stéréotype : définitions, théories et effets

Comme vu plus haut, il existe toute une histoire européenne des représentations de l’altérité physique et culturelle, dans lesquels s’ancrent les stéréotypes occidentaux. Tout comme l’identité de l’individu prend sa source dans une histoire personnelle et souvent familiale, les identités collectives des cultures, des nations ou des communautés sont historiquement constituées. Identité et altérité étant fortement liées, la représentation sociale de l’Autre est tout autant une fabrication sans cesse construite et reconstruite dans le temps.

Au 19ème siècle, des termes comme clichage ou stéréotypie traduise les nouvelles techniques de reproduction en masse d’un modèle fixe. Le terme cliché apparaitra ensuite avec la photographie. Il s’agit alors d’un négatif autorisant la production d’un nombre infini d’exemplaire. Puis, par extention analogique, le mot entre dans le langage courant, désignant un expression ou une pensée devenue banale. Pour le dire simplement, le cliché désigne alors l’expression matérielle banalisée, le lieu commun, la bannalité de l’idée qu’il exprime226

. Au-delà de ces termes plutôt employés dans le langage courant, la présente étude se réfère préférentiellement au notions d’imaginaires, de représentations sociales (et

225

TAYLOR Charles, Op. Cit.

226

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Stéréotypes et clichés. Langue, discours,

médiaculturelles) et de stéréotypes – ainsi que leurs effets sur les relations interculturelles et les constructions identitaires. Les études menées en psychologie sociale, afin d’analyser les relations et les interactions sociales, ont retravaillé et précisé un terme passé dans le langage courant, mais provenant de l’étude et de la critique littéraires, le stéréotype. Celui-ci prend alors le sens d’une « image que les membres d’un groupe se font d’eux-mêmes et des

autres227 ».

En ce qui concerne les relations interculturelles, les représentations sociales peuvent se traduirent sous différentes manifestations allant de la simple opinion ou du « cliché » commun, aux « préjugés » et « stéréotypes ». Les conséquences en sont la mise à l’écart ponctuelle ou le rejet (violence psychologique), la discrimination à l’embauche ou au logement par exemple (violence sociale et économique), les idéologies et propos racistes (violence politique et verbale), actes racistes ou xénophobes à l’égard des lieux ou des personnes (violence matérielle et physique), etc.

1. Définitions et théories sur les stéréotypes

et les représentations sociales

Il existe un certains nombre d’idées reçues, de lieux communs (à propos de tout types de sujets, d’individus ou de groupes), pesant sur les relations intercommunautaires. Les

représentations sociales les plus répandues agissent comme des « clichés ». Elles transforment

un réel complexe en le réduisant à quelques éléments mis en avant. Ces « caricatures » qui simplifient la réalité servent ensuite de grilles de lecture ordinaires pour appréhender les individus, les groupes, le social et le monde228. Selon l’étude menée en 1961 par Serge Moscovici229, les représentations sociales sont avant tout construites autour d’un « noyau », ne reflétant que les grandes idées perçues comme centrales et retenues par le plus grand nombre. C’est à partir de ce noyau central que viennent ensuite se greffer d’autres éléments considérés comme secondaires. La seconde caractéristique des représentations, telles qu’examinées par Moscovici, est qu’elles sont marquées par le système de valeurs du groupe qui les a produites. Une fois fixée dans la société ou la culture en question, la représentation remplit alors un rôle de « filtre cognitif ». Tout nouvel élément observé, toute nouvelle information rapportée est

227

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

228

DORTIER Jean-François (Dir.), « Représentation sociale », in Le dictionnaire des sciences

humaines, Éditions Sciences humaines, Paris, 2008.

229

MOSCOVICI Serge, La psychanalyse, son image et son public, PUF, Paris, 2004 [1961] ; et MOSCOVICI Serge (Ed.), Psychologie sociale, PUF, Paris, 1988.

alors compris et interprété à travers ces cadres de compréhention et de jugement de valeur préexistants.

Le point commun entre les effets du stéréotype et ceux de la représentation sociale est de faire coincider la façon dont on perçoit un groupe ou une communauté, avec le « bagage » socioculturel supposé de la personne. Tout deux émergent comme des modes de connaissance et d’appréhention de l’autre, fonctionnant comme des savoirs « de sens commun », à la fois « spontanés » et « naïfs »230. Il s’agit de sorte de « réflexes » de représentation et de pensée du monde, hérités et transmis par différentes institutions : famille, école, associations, lieux de culte, différentes formes de médiacultures, etc. Ceux-ci influencent à la fois la façon dont les individus perçoivent le monde, les autres communautés, autrui, en particulier celui que l’on se représente comme appartenant à un autre groupe, mais aussi sa propre communauté, par conséquent soi-même – incluant évidemment conscience et estime de soi.

La notion de représentation sociale reste floue. Celle de stéréotype est non seulement plus spécifique, mais également plus opérante pour la problématique traitée ici. Dans un ouvrage ou il introduit les théories et les notions fondatrices de la psychosociologie, Jean Maisonneuve231 décrit la représentation sociale comme un simple « univers d’opinions ». Il décrit par contre le mécanisme opéré par la création des stéréotypes comme suit :

Dans cette étude, bien sûr, ce ne sont pas uniquement les « mots » exprimant des stéréotypes qui sont pris en compte, mais également les images, les sons, les unités ou séquences narratives et la manière dont ces différents éléments sont assemblés.

En dehors du concept de représentation sociale, il existe d’autres notions connexes, telles que le « cliché », le « prototype » ou le « topoï », utilisées en communication ou en études littéraires, mais aussi au sein des théories linguistiques, psycholinguistiques,

230

MOSCOVICI Serge (Ed.), Psychologie sociale, PUF, Paris, 1988.

231

MAISONNEUVE Jean, Introduction à la psychosociologie, PUF, Paris, 1989.

232

MAISONNEUVE Jean, Op. Cit., p.141, cité in AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

« Le propre de la stéréotypie, c’est d’être grossière, brutale, rigide et de reposer sur une sorte d’essentialisme simpliste où la généralisation porte à la fois :

– sur l’extension : attribution des mêmes traits à tous êtres ou objets désignables par un même mot […]

– sur la compréhension : par simplification extrême des traits exprimables par des mots.232 »

sémantiques, pragmatiques ou rhétoriques. Le « cliché » s’exprime avant tout sous la forme d’une image ou d’un mot symbolique dont la signification profonde prend appui sur une convention sociale ou culturelle. Cette convention demande une (re)connaisance par le recepteur de la norme sociale et culturelle existante. Le topoï, « lui », s’appuie sur une « sagesse populaire » qui fait autorité car sensée être « la voix des anciens », mais non identifiable, ce qui rend impossible la contraction directe. Il s’agit de la voix du « on dit que », celle de la communauté linguistique et culturelle à laquelle appartient le « je » qui parle à travers lui. Le topoï, fait de phrases et d’idées toutes faites et connues de tous, de proverbes et de citations, est particulièrement apprécié par le milieu politique. Sa force argumentative provient de l’autorité du nombre – plus on est nombreux à connaitre la formule, plus elle devient évidente et perçue comme vraie –, de la norme sociale et d’une culture hégémonique.

Les origines des stéréotypes ont été recherchées sur deux fronts principaux : les facteurs psychologiques – les motivations individuelles – d’un côté, les facteurs sociaux et collectifs de l’autre. Les diverses investigations en sciences humaines et sociales concernant le stéréotype233

considère tantôt son versant positif – réflexion sur l’identité sociale ou cognition sociale –, tantôt son versant négatif – en lien avec les phénomènes de préjugé, de discrimination et de tensions intercommunautaires. On trouve ainsi des travaux étudiant son action sur l’image de soi et de l’autre ou les interactions sociales, de la sociocritique, des théories littéraires ou cinématographiques, aux théories de la lecture, ou encore en analyse du discours, qu’il s’agisse du domaine politique, publicitaire ou des contenus médiatiques. Ces différentes disciplines ont en commun avec le présent travail en sciences de l’information et de la communication, leur approche discursive du stéréotype, se penchant avant tout sur des corpus écrits ou audiovisuels.

Dans les années 20, le premier à employer la notion de stéréotype a été un écrivain et journaliste américain, Walter Lippmann234. Pour celui-ci, la perception que les individus ont du réel est « nécessairement filtrée par des images et des représentations culturelles

préexistentes ». Pour Lippmann, ces images sont en réalité nécessaires à la vie en société, une

idée qui reviendra sur le devant de la scène scientifique quelques décennies plus tard. Selon lui, sans ces cadres de la pensée, l’individu se retrouverait « plongé dans le flux et le reflux de la

sensation pure ; il lui serait impossible de comprendre le réel, de le catégoriser ou d’agir sur

233

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit. ; et LÉGAL Jean-Baptiste et DELOUVÉE Sylvain, Stéréotypes, préjugés et discrimination, Dunod, Paris, 2008.

234

lui.235 » Parce qu’il est impossible de connaitre tout le monde intimement, le recours au stéréotype intériorisé (l’ouvrier, la femme de ménage, le Noir) serait donc un automatisme permettant de combler les « blancs » tout en ne retenant qu’un seul trait saillant de la personnalité ou du physique de la personne. Les stéréotypes sont en réalité des images, des

petites fictions, produites et « piochées » par les individus dans les imaginaires collectifs.

Toutefois, le stéréotype est plus généralement porteur d’effets néfastes sur le lien social et le bien être de ceux qu’il est censé figurer. Les premiers psychologues sociaux américains à travailler sur le sujet, reprenant le terme de Lippmann, contrediront en revanche ses conclusions, insistant sur le caratère réducteur et nocif des stéréotypes. Parce qu’il opère un double mouvement de catégorisation et de généralisation, simplifiant et éliminant une partie du réel, ce processus diffuse une image déformée et schématisée de l’autre. Ce mécanisme facilite de plus l’émergence et la transmission des préjugés. Outre sa simplification de la réalité, le stéréotype n’est pas sans aucun lien avec la réalité, sans être totalement en adéquation avec elle. On le décrit enfin comme « acquis de seconde main236» et non par une connaissance empirique, c’est-à-dire par le contact direct avec le groupe social concerné. Même s’il arrive qu’un nouveau stéréotype dominant prenne la place d’un autre, ceux-ci sont figés et inflexibles, perméables à la critique et le plus souvent à la démonstration de leur caractère infondé. Ce phénomène reste de l’ordre d’une croyance, d’une opinion, non d’un savoir issu de l’expérimentation ou du raisonnement logique.

Facteurs internes des stéréotypes :