• Aucun résultat trouvé

Peu à peu, ces représentations émergeantes sont réintégrées aux nouveaux contenus médiaculturels via les nouvelles générations de créateurs. Stéréotypes et représentations circulent en effet de manière essentiellement pro-cyclique, au sein des médiacultures comme entre celles-ci et l’ensemble des imaginaires collectifs de l’espace social.

« En France, les sciences sociales tardent à s’intéresser aux rapports entre les

médias, l’altérité, l’immigration et les minorités.334

Pourtant, le pays témoigne d’une longue tradition tant en matière d’immigration que de production médiatique. 1881 peut être identifiée comme une date symbole.

C’est l’année du recensement où le cap du million d’immigrants est franchi, entraînant […] des crispations d’ordre sécuritaire proche de celles que connaissent actuellement les pays occidentaux. C’est aussi l’année de l’adoption du texte de loi sur la liberté de la presse qui marque l’entrée dans une nouvelle ère. […] C’est enfin le moment historique où l’État-nation fini de se consolider, celui où Ernest Renan prononce, en 1882 […], sa célèbre conférence Qu’est-ce qu’une nation ?335

La simultanéité de ces événements est importante tant on sait désormais la façon selon laquelle certaines formes de médiation de masse ont joué un rôle

334

BION Reynald, DILLI Sirin, FRACHON Claire, GEORGIOU Myria, HARGREAVES Alec, HUMBLOT Catherine et RIGONI Isabelle, La Représentativité des immigrés au sein des media. Bilan

des connaissances, Fasild-Institut Panos Paris, Paris, 2006.

335

Renan, Ernest, Qu’est-ce qu’une nation ? (suivi de Le judaïsme comme race et comme religion), Flammarion, Champs Classiques, Paris, 2011 [2009].

majeur en imaginant la nation idéale et en facilitant la propagation du modèle de l’État-nation dans le monde colonisé336

.

La presse, le cinéma, la radio et la publicité ont permis la standardisation des

idéologies populaires, ainsi que leur homogénéisation et leur exploitation à des fins de propagande identitaire nationale337. 338»

D’un point de vue général, on peut noter que l’époque semble marquée, du moins si on en croit les discours médiatiques et politiques, par une période de « toutes les crises » mais aussi de tous les « post-…. ».

Les deux principales crises évoquées dans les discours publiques, sont la crise économique (emploi, conflits des générations) et la fameuse crise du multiculturalisme (selon l’expression de David Cameron et prononcée par le Président Chirac de son côté en 2005 par la formule « échec du modèle d’intégration à la française »). Ces discours anxiogènes, créent évidemment des tensions dans les relations et la communication interpersonnelles autant qu’intercommunautaires. Ceux-ci reflètent et nourrissent les imaginaires collectifs et

médiatiques, à la fois vecteurs et symptômes. Ces imaginaires sont également marqués par les représentations qu’ils véhiculent des différents évènements ponctuant l’histoire des rapports interculturels.

L’époque actuelle est postcoloniale, si l’on suit l’expression consacrée née à la suite des

cultural studies. Lorsqu’on observe les discours médiatiques consacrés au « vivre-ensemble »,

à l’« identité nationale » ou aux relations et aux troubles intercommunautaires, force est de constater qu’il existe tout une série de « post » qui ont marqué les imaginaires et servent d’appui aux revendications comme aux stéréotypes, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ce 21ème

siècle est une ère post-esclavage, post-seconde-guerre-mondiale, post-shoah, post-guerre-froide (en particulier en ce qui concerne la géopolitique en Europe de l’Est et au Moyen-Orient), post-Marche-des-beurs, post-Touche pas à mon pote, post-Guerre du Golfe, post-Coupe du Monde 98 (et sa France Black-blanc-beur, bien délavée aujourd’hui), 11 septembre 2001, post-émeutes racistes et attentats de Londres, post-post-émeutes-de 2005 (en France comme en Grande-Bretagne), post-Occupy Wall Street et désormais post-Charlie et post-Bataclan…

336

Appadurai, Arjun, Après le colonialisme. Les Conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris, 2001. Anderson, Benedict, L’Imaginaire national. Reflexions sur l’origine et l’essor du

nationalisme, La Découverte, Paris, 1996.

337

Hobsbawm, Eric, Nations et nationalisme depuis 1780, Gallimard, Paris, 1990.

338

Rigoni, Isabelle (dir.), « Introduction », Qui a peur de la télévision en couleurs ? La diversité

Chacun de ces évènements ou bouleversements ont eu des répercussions historiques mais également dans les discours médiatiques et les imaginaires collectifs. Les représentations, les images, les récits, les thématiques dans les discours sur les identités et relations

interculturelles évoluent et accompagnent les changements sociaux, dans les médias et

l’ensemble des médiacultures, que ce soient dans la presse écrite et les journaux télévisés ou dans les fictions et manuels scolaires par exemple, les séries télévisées ne font pas exceptions. En fonction des époques, les imaginaires conçoivent les relations intercommunautaires comme marquées par des relations égalitaires, postracistes, postmulticulturalistes, ou bien par les conflits, le manque de confiance, la peur de l’autre, l’islamophobie.

Ces représentations, peuvent prendre la forme de différents types de stéréotypes, pouvant être positifs, négatifs, de contre-stéréotypes, etc. Pour ceux qui font l’objet de telles représentations, celles-ci peuvent à leur tour impliquer des sentiments d’« appartenance » ou de rejet qui peuvent influencer la construction de leurs identités personnelles.

Selon l’expression consacrée d’Aristote, qui semble avoir depuis trouvé un début de preuve empirique par le biais des neurosciences, « l’Homme est un animal social ». Bien que les différents courants de la psychologie posent quant à eux le primat de la psyché individuelle sur l’appartenance à la psyché collective, il peut être plus intéressant de se ranger du côté de ceux, sociologues, anthropologues ou chercheurs en communication qui ont résolu cette traditionnelle équation en déduisant des expériences et études effectuées que « l’individu » et la

339

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Stéréotypes et clichés. Langue, discours,

société, Armand Colin, coll. 128, Paris, 2011 [1997].

« Les stéréotypes peuvent se propager en dehors de toute base objective. Notamment des haines ou des méfiances en dehors de tout contact avec la population stigmatisée, sur la base de croyance, de méconnaissance et de construction dans et par les imaginaires collectifs. Dans la société contemporaine, les constructions imaginaires […] sont favorisées par les médias, la presse et la littérature de masse. Souvent le public se forge par la télévision ou la publicité une idée d’un groupe national avec lequel il n’a aucun contact. Les enfants et les adolescents prennent connaissance de certaines réalités à travers les séries télévisées, la B.D., mais aussi les livres scolaires. L’impact de ces représentations s’avère puissant dans le cas non seulement des groupes dont on n’a pas une connaissance effective, mais aussi de ceux qu’on côtoie quotidiennement ou auxquels on appartient.339

« société » (pour reprendre les notions classiques) sont tout à la fois complémentaires et « co-constructifs », en un mot, consubstantiels. Pour le dire avec nos propres termes, ceux employés depuis le commencement de ce présent écrit, puisque l’identité ne peut pas se forger sans se confronter à l’altérité, ainsi qu’aux sentiments d’appartenance et de reconnaissance ou de rejet et de crainte, les identités personnelles et collectives ne peuvent se construire indépendamment l’une de l’autre.

Parallèlement, les communautés ne peuvent se forger en dehors de tout contact avec d’autres communautés (grâce auxquelles elles font d’elles-mêmes un premier autoportrait en creux), que celles-ci soient nationales, européenne, occidentale, ou plus étroitement, culturelles, géographiques, linguistiques, religieuses, familiales, etc. Ce sont autant les dissemblances aves l’Autre qui forge une identité, que les points communs avec le semblable. Toute la question se résume parfois à savoir si pour la bonne cohabitation des communautés il est préférable de gommer et ignorer les différences tout en mettant l’accent, voir en créant, des similitudes entre les individus et les groupes, ou bien au contraire accepter, tout le moins tolérer les différences, et chercher de manière active les points communs, ce qui rassemble. C’est bien là finalement que se situe le véritable débat, mis à part les conventions et les a priori d’origine idéologiques, entre universalisme et multiculturalisme.

Chaque individu et chaque communauté, pour exister est donc contraint « par nature », à procéder à un « bricolage identitaire » pour résoudre les équations « existence = existence pour soi + existence par rapport aux «autres» » et « identité propre = convergences avec les pairs + divergences par rapport aux «autres» ». La question se complique alors car personne ne peut appartenir à une unique communauté et une communauté peut appartenir elle-même à plusieurs communautés plus larges qui de plus peuvent être plus ou moins en conflit.

Du fait qu’il existe un réel inconfort à se retrouver, non pas « entre deux cultures », tel qu’on voudrait parfois le faire penser ou que certains peuvent le ressentir, mais bien appartenir à deux communautés en confrontation partielle. C’est ainsi que cette dissonance interne est souvent résolue soit par la fuite (réelle ou symbolique), soit par le « bricolage identitaire »340. Si Roger Bastide341 parlait de « bricolage intellectuel » pour parler d’un phénomène de syncrétisme religieux dans le cadre des complexes mythico-rituels afro-brésiliens, il est

340

BOULDOIRES Alain (Dir.), Construction des identités et pratiques médiatiques. Étude d’une crise

de la transmission. (Rapport Scientifique), Région Aquitaine – Laboratoire MICA – Université

Bordeaux 3 – Université de Bordeaux, novembre 2010.

341

Cf. Bastide, Roger ; « Mémoire collective et sociologie du bricolage », Année Sociologique ; Vol.21, Paris, 1970, pp. 65-108.

possible ici de parler de « syncrétisme communautaire ». Pour David Le Breton342, « Chaque

acteur est aujourd’hui amené à une production de sa propre identité à travers un bricolage dont la mondialisation culturelle […] multiplie les matériaux possibles. ». « Les cultures deviennent ainsi des stocks d’options disponibles dans lesquels l’individu puise des biens matériels et symboliques pour se construire une représentation de soi », complète le

sociologue Pierre Chaumier343 dans un article traitant de la complexité du concept d’identité.

De fait, de tels bricolages se forment à partir de modèles (au sens de cadres

interprétatifs) proposés par les imaginaires collectifs et nationaux. Parallèlement, ces derniers

sont, entre autres transmis via les imaginaires médiatiques ou plus largement médiaculturels, et plus particulièrement télévisuels et fictionnels pour le cas traiter dans cette étude. L’objectif est donc ici de déchiffrer les représentations et les différents modes de monstrations, plus ou moins stéréotypées, permettant d’accéder et d’analyser les imaginaires collectifs, et la façon dont elles peuvent donc influencer, refléter ou transmettre les processus de bricolage

identitaire et de ce fait également une partie des relations intercommunautaires.

Resterait à savoir comment fonctionne et quels sont les impacts de la réception des stéréotypes… En amont, dans le « codage » des contenus médiaculturels, on trouve évidemment le « double effet de cadrage » de l’agenda et des catégories cognitives d’appréhension du monde. Au moment de la réception, « l’activité interprétative » des publics leur permet d’opérer sur les représentations (pour la grille de lecture) et les stéréotypes (pour l’agenda politique et médiatique) un double travail de « décodage » et de « recadrage ».

Ce regard critique serait différent pour chacun et permettrait : - Soit de ne pas du tout repérer le stéréotype, y être aveugle,

342

Cf. Le Breton, David ; Signes d’identité : tatouages, piercings et autres marques corporelles ; Paris, Métaillé, 2002.

343

Cf. Chaumier, Pierre ; « L’identité, un concept embarrassant, constitutif de l’idée de musée » ;

Culture & Musées, n°6, Actes Sud/Université d’Avignon, Arles, (juillet-décembre) 2005, pp. 21-42.

344

LÉGAL Jean-Baptiste et DELOUVÉE Sylvain, Stéréotypes, préjugés et discrimination, Dunod, Paris, 2008.

« Les médias constituent une source de diffusion mais aussi de renforcement et de maintien des stéréotypes. Ainsi, l’exposition répétée aux paroles des chansons, aux clips vidéo, aux publicités ou encore aux couvertures des magazines favorise la persistance des stéréotypes. De par leur répétition, les stéréotypes trouvent une certaine légitimité et finissent dans certains cas par constituer la normalité.344 »