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Afin d’interpréter les représentations de la diversité, il convient avant tout temps déchiffrer les sources. La « représentation » peut prendre plusieurs sens : Celui de manifestations perçues par les sens et celui plus courant de « représentation sociale ». Ici, la manifestation, prend une forme matérielle à la fois visuelle et sonore. Derrière cette matérialité, il est possible de reconnaître la représentation sociale, c’est-à-dire la croyance, la manière de percevoir le monde, connue et généralement acceptée par le sens commun des personnes qui constituent la société l’ayant produite.

Une représentation sociale ne peut se comprendre sans une connaissance, ou une prise de conscience, des éléments constitutifs de ce que le paradigme jungien nommerait « inconscient collectif » ou, pour le cadre théorique choisi ici, l’imaginaire collectif.

Ce premier chapitre étudiera donc les origines et composants des deux imaginaires nationaux explorés ici : L’imaginaire français et l’imaginaire britannique. Il s’agira avant tout de clarifier quelques notions ainsi que certaines pistes de réflexion fréquemment abordées dans ce type d’étude, notamment les thèmes de la diversité, de la culture et de l’identité collective.

La suite du chapitre traitera ensuite des principes fondateurs des imaginaires et des identités européens. Enfin, les spécificités et les sources des imaginaires français et britanniques seront présentées.

I. Imaginaires collectifs et lien social

Les champs d’étude concernés par un travail sur les imaginaires peuvent se diviser en trois catégories. Tout d’abord, la manière dont ceux-ci influencent les conduites quotidiennes, notamment les phénomènes de communication (verbale ou non-verbale) interpersonnelle, au sein des groupes ou entre groupes sociaux28. Ensuite, l’influence des imaginaires sociaux sur

28

Cf. LEVI-STRAUSS, Claude, Le cru et le cuit, Plon, Paris, 1964, et L’origine des manières de table, Plon, Paris, 1968 ; MORIN, Edgard, La rumeur d’Orléans, Seuil, Paris, 1982 ; LE BON Gustave, La

les conceptions collectives du monde, entre autres dans la manière de concevoir une histoire ou un récit fondateur commun, en particulier en politique ou dans les domaines religieux et scientifiques29. Enfin, lorsque l’on travaille à l’analyse des fictions et des récits, qu’il s’agisse de comprendre l’imaginaire d’un auteur ou l’imaginaire global d’une société, par exemple dans les études littéraires ou cinématographiques30.

Le présent travail de thèse s’appuie sur le recoupement de ces trois champs d’études des imaginaires collectifs : communication « interculturelle », politiques publiques et fictions télévisuelles, dans le cadre des imaginaires ou récits nationaux sur lesquels elles s’appuient.

Après quelques précisions terminologiques, les interactions entre imaginaire, culture commune et identité collective font être explorées dans les pages qui suivent.

1. Définition et champs d’étude des imaginaires

La notion d'imaginaire peut paraître floue ou excessivement polysémique. L'histoire de la philosophie et des sciences humaines a connu différentes théories de l'imaginaire, ou de questions conjointes. Cette notion a d'ailleurs connu des périodes de « succès », d'autres périodes d'insuccès, voire même de rejet ou simplement d'oubli. Elle est particulièrement riche et s’est révélée centrale chez de nombreux penseurs, philosophes, ou sociologues : de Platon à Spinoza en passant par Aristote ou Descartes, de Gaston Bachelard à Jean-Paul Sartre ou

Imitation, jeu et rêve, image et représentation, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1976 (1945) ;

TODOROV, Tzvetan, La vie commune. Essai d’anthropologie générale, Point, Essais, Paris, 1995. 29

Cf. DURKHEIM Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Le livre de poche, Paris, 1991 (1912) ; ANDERSON, Benedict, L’imaginaire national, La Découverte, Paris, 1996 (1983) ; CAILLOIS Roger, Le mythe et l’homme, Gallimard, Paris, 2002 (1937) ; CASTORIADIS Cornélius, L’institution imaginaire de la société, Seuil, Paris, 1999 (1975) ; HALBWACHS Maurice,

Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994 (1925) ; ELIADE Mircea, La nostalgie des origines, Gallimard, Paris, 1971 ; MONNEYRON Frédéric, L’imaginaire racial, L’Harmattan,

2004 ; GOFFMAN Erving, Stigmate, Minuit, Paris, 1975 (1963) ; XIBERAS Martine, Les théories de

l’exclusion. Pour une construction de l’imaginaire de la déviance, Méridiens-Klincksieck, Paris, 1993 ;

TODOROV, Tzvetan, La peur des barbares : au-delà du choc des civilisations ; Paris, Robert Laffont, 2008.

30

Cf. MORIN Edgar, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Minuit, Paris, 1982 (1956) et L’esprit

du temps, Armand Colin et INA, Paris, 2008 (1961-1975) ; BAUDRILLARD Jean, Le système des objets, Denoël-Gonthier, Paris, 1976 (1968) ; DURAND Gilbert, Beaux-arts et archétypes, Puf, Paris,

1989 ; FLICHY Patrice, L’imaginaire d’Internet, La Découverte, Paris, 2001 ; JEUDY Henri-Pierre, La

peur et les médias, PUF, Paris, 1979 ; SAÏD, Edward W. ; L’orientalisme. L’Orient créé par l’occident ; Parsi, Seuil, 2005 (5ème

Ed.) ; DELTOMBE, Thomas, L’islam imaginaire. La construction

médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, La Découverte, Paris, 2007 (2005) ; MACE, Éric ; As seen on television. Les Imaginaires Médiatiques ; Une sociologie Postcritique des Médias ; Editions

Amsterdam, Paris, 2006 ; SPENCE, Jonathan D., La Chine imaginaire. Les Chinois vus par les

Occidentaux de Marco Polo à nos jours, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal,

encore Jacques Lacan31. Les fondateurs et les grands auteurs de l’imaginaire en sociologie et en anthropologie, sont par exemple Marx et Engels à propos des métaphores de l’histoire, Alexis Tocqueville sur l’ordonnancement du monde, Gustave Le Bon et Gabriel tarde sur « la psychologie des foules », Vilfredo Pareto et son travail sur l’influence des mythes, Durkheim et les représentations collectives, Weber et l’idéal social, Simmel et l’influence de l’imaginaire sur les quotidiens32, ou encore Lévi-Strauss et sa quête des invariants de la « pensée sauvage » et bien entendue Benedict Anderson et son analyse des « imaginaires nationaux ».

Dans son ouvrage L’imaginaire Jean-Jacques Wunenburger définit ainsi ce concept :

Le philosophe cartographie également les champs d’études des imaginaires par le biais d’autres termes contigus mais souvent plus abstraits :

- La mentalité d’une société ou d’une époque historique « à travers les attitudes

psychosociales de populations et leurs effets sur les comportements et les institutions ».

- La mythologie comme « ensemble de récits, qui constituent un patrimoine de fiction

dans les cultures traditionnelles » notamment à travers les personnages représentant « de manière symbolique et anthropomorphique des croyances sur l’origine la nature et la fin de phénomènes cosmologiques, psychologiques historiques ».

- L’idéologie, un terme qui a pris un tournant péjoratif au cours du XXe siècle, désignant « une interprétation globale et dogmatique (un prêt-à-penser) d’un domaine de la

vie humaine, qui impose une série d’explications stéréotypées, non argumentées mais

31

Cf. VÉDRINE, Hélène, Les grandes conceptions de l’imaginaire. De Platon à Sartre et Lacan, Le livre de poche, Paris, 1990, 160 pp.

32

Cf. LEGROS Patrick, MONNEYRON Frédéric, RENARD Jean-Bruno, TACUSSEL Patrick,

Sociologie de l’imaginaire, Armand Colin, Cursus, Paris, 2006, 236 pp.

33

WUNENBURGER Jean-Jacques, L’imaginaire, PUF, Que sais-je ?, Paris, 2003, p.5-17.

« Dans les usages courants du vocabulaire des lettres et des sciences humaines, le terme d’imaginaires, en tant que substantif, renvoie un ensemble assez hétéroclite de composantes. Fantasme, souvenirs, rêverie, rêve, croyance invérifiable, mythe, roman, fictions sont autant d’expressions, mentales et parfois extériorisées dans des œuvres, de l’imaginaire d’un homme ou d’une culture. On peut parler de l’imaginaire d’un individu mais aussi d’un peuple, à travers l’ensemble de ses œuvres et croyances. Font partie de l’imaginaire les conceptions préscientifiques, les croyances religieuses, les mythologies politiques, les stéréotypes et préjugés sociaux, les productions artistiques, la science-fiction, qui invente d’autres images de la réalité.33 »

auxquelles on adhère par la médiation d’images-forces ». L’idéologie peut être politique

comme le marxisme, mais peut aussi être opposé à l’idée de théorie, dans le sens ou l’idéologie est close sur elle-même afin de ne laisser aucune place ni à la critique, ni à la réflexion personnelle des individus. Parmi les idées-forces qu’elle utilise l’idéologie emprunte souvent à la mythologie.

- La fiction désignant couramment « des inventions auxquelles ne correspond aucune

réalité. Mais tout ce qui est fictif ne l’est généralement que relativement, et un certain moment.

» Pour cette étude concernant les séries télévisées, le terme de fiction prend un sens pragmatique, en désignant tout univers créé dans le cadre d’un récit audiovisuel. Dans ce cadre, la fiction entretient un lien étroit à la fois avec l’imaginaire et avec la réalité, puisqu’elle empreinte à ces deux sphères.

- La thématique, terme issu de la littérature comparée qui étudie « thèmes » et « motifs » afin de « dégager la matière et les formes expressives des œuvres ». Dans la sémiotique du récit proposé ici, thèmes et thématiques relèvent de leur sens ordinaire. « La thématique permet

bien d’accéder à l’imaginaire d’un texte, mais sans en retenir toutes les dimensions. »

Enfin, il convient de s’interroger sur la genèse des imaginaires. Là encore, on peut distinguer deux catégories explicatives : les processus à la source des imaginaires individuels et les mécanismes à l’origine des imaginaires collectifs.

Alors que « l’imaginaire collectif de l’humanité » va essentiellement concerner la sphère spirituelle (c’est-à-dire à « des représentations dépassant la réalité auxquelles on accorde croyances, parce que ces entités imaginaires viennent combler des désirs, des

« L’imaginaire désigne tout ce qui dans une conscience ne relève ni de la perception réaliste de ce qui est, ni de la conception intellectuelle opérant sous le contrôle du jugement et du raisonnement. On peut présumer que, très tôt, l’enfant ne maîtrise pas encore, du fait de son immaturité physico-psychique, ni la perception objective qui nécessite le langage, ni évidemment la pensée abstraite. Son psychisme se doterait donc d’un imaginaire dès lors que ses vécus sensori-moteurs primitifs laissent la place à des représentations sensibles qui se détachent de la présence du réel. On peut dire que l’imaginaire apparaît comme « fonction symbolique », qui substitue à ce qui est présent une représentation concrète de ce qui est absent, de ce qui n’est plus où n’est pas encore. »

angoisses, ou des interrogations essentielles »), les imaginaires collectifs des groupes et des

nations s’enracinent dans des éléments plus précis. La base de ces imaginaires collectifs ne

permet pas uniquement de partager une représentation commune du monde, elles offrent aussi la possibilité de communiquer en limitant les biais d’incompréhension. Ces éléments constitutifs concernent généralement l’origine et l’identité du collectif et, de ce fait, ont pour effet de les différencier des autres groupes, qu’il s’agisse de nations, de milieux sociaux, de quartiers ou de communautés imaginées.

L’anthropologue Benedict Anderson examinant l’ancrage des imaginaires nationaux donne les éléments suivants : des racines culturelles, spirituelles et linguistiques, perçues comme à la fois communes et fondatrices ; la conscience nationale au sens de sentiment éprouvé par des individus s’identifiant à leurs concitoyens, à leur patrie, ainsi qu’aux idéaux, normes, valeurs de leur pays ; des pionniers et des ancêtres servant à la fois d’exemple et de référent commun ; les discours politiques et historiques officiels ; la géographie et le territoire matériel ; les lieux de mémoire tel que musées, villages ou monuments historiques ; les artistes et les œuvres de la culture « officielle » ; les personnages fictifs ou historiques peuplant ses œuvres. On pourrait ajouter les traditions culinaires et vestimentaires, les fiertés scientifiques ou technologiques, etc.

L’imaginaire collectif étant constitutif de l’identité collective, et vice versa, il convient de s’interroger sur la construction de la frontière entre altérité et diversité interne au collectif. Pour ce faire, quelques précisions terminologiques s’imposent…

2. Imaginaire et culture commune

La notion de culture est complexe en premier lieu par sa polysémie. Elle peut désigner l’ensemble des récits, normes comportementales et valeurs d’un groupe d’humains (culture nationale, culture régionale, culture de classe, culture d’entreprise etc.). Elle peut également faire référence aux pratiques, expressions et politiques se rapportant aux activités artistiques, médiatiques, traditionnelles, linguistiques, architecturales, voire culinaires, vestimentaires, sportives…

Il est donc difficile de définir ce qu’est une culture où la culture. Dans les imaginaires on distingue notamment la haute culture de la culture populaire, de la culture « de masse » ou des contre-cultures et la culture nationale des cultures régionales ou mondialisées. De nombreux débats émergent de ces distinctions pourtant construites. La distinction entre haute

culture et culture populaire, par exemple, est une « construction » dans le sens où les frontières entre elles sont difficilement localisables. De plus elles n’ont rien d’immuable ou d’éternelle. On donne très fréquemment en exemple le cas du jazz ou du cinéma américain des années 50 60 perçus à l’époque comme populaire voire vulgaire et qui appartiennent pourtant désormais tous deux à ce qui est communément reconnu comme de la haute culture. Sans rejoindre tout à fait la notion d’habitus de classe développée par Pierre Bourdieu, on ne peut nier que ces représentations de la valeur intrinsèque et la hiérarchisation des cultures induit nécessairement une hiérarchisation des groupes sociaux censés y avoir recours. En réalité chaque groupe social ou communauté imaginée pioche dans des catalogues très diversifiés de culture, devenant ainsi un « braconnier omnivore ». Une même personne ou un même groupe peut apprécier à la fois la musique classique, le métal, les sorties au musée comme les repas au McDonald, ainsi que toutes sortes de genres cinématographiques et tout type de séries télévisées…

Langue commune versus régionalismes