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Facteurs internes des stéréotypes : cognition et psychologie

Avant tout, le stéréotype possède un pouvoir intrinsèque de reproduction. Plusieures expériences menées dans diverses disciplines ont fait la démonstration d’un mécanisme cognitif qui maintient la conviction dans la véracité de celui-ci. Lorsque un individu rencontre une ou des personne(s) issue(s) d’une communauté allogène, il s’appuie sur ses connaissances préalables, comme il le fait dans toute interaction sociale. Son esprit fait alors le tri parmi les nombreuses informations reçues et retient prioritairement, de façon plus massive, les traits confirmant ce qu’il sait de la « catégorie » dans laquelle il a « classé » son interlocuteur de prime abord.

235

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

236

HARDING John, Encyclopédie internationale des sciences sociales, 1968, p.259, cité dans AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

Certains théoriciens comme Jacques-Phillippe Leyens238 ou Don Operario et Susan Fiske239, ont distingué d’un côté le résultat – le stéréotype lui-même, conçu comme contenu social – et de l’autre le processus cognitif, modelé par le contexte social et ancré en lui, mais restant individuel – appelé « stéréotypage » ou « stéréotypisation », « stereotyping » en anglais. « Le processus de stéréotypisation est, par définition, une généralisation et peut être utile aussi

bien que nuisible en fonction des conditions de son usage.240 » Pour Operario et Fiske les stéréotypes sont des « constellations de croyances concernant les membres de groupes

sociaux », alors que le stéréotypage « n’est qu’une façon de penser ces groupes et un processus inhérent au système cognitif.241 »

Dans le cadre d’une réflexion sur la formation et les facteurs de mutations des stéréotypes, la « psychologie discursive242 » considère que ceux-ci émergent au sein des pratiques discursives, en situation. C’est à la fois en fonction du contexte social des interactions et des objectifs visés par les locuteurs concernés. Les stéréotypes seraient ainsi des

actes de langage visant un effet concret sur le réel : persuasion, blâme, réfutation, domination,

etc. Comme évoqué plus haut, le stéréotype est également conçu par certains chercheurs

237

AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

238

LEYENS Jacques-Philippe, YZERBYT Vincent et SCHADRON Georges, Stéréotypes et cognition

sociale, traduction G. Schadron, Ed. Mardaga, Bruxelles, 1996 [1ère éd. Londres, 1994] ; et LEYENS Jacques-Philippe, Sommes-nous tous racistes ? Psychologie des racismes ordinaires, Ed. Mardaga, Bruxelles, 2012.

239

OPERARIO Don et FISKE Susan T., « Stereotypes : content, structures, processes and context », in BREWER Marylinn B. et HEWSTONE Miles (Eds.), Social Cognition, Blackwell publishing, Oxford, 2004.

240

LEYENS Jacques-Philippe, YZERBYT Vincent et SCHADRON Georges, Op. Cit.

241

OPERARIO Don et FISKE Susan T., Op. Cit., cites in AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

242

EDWARDS D. et POTTERS J., Discursive Psychology, Sage, London, 1992 ; AUGUSTINOS Martha et WALKER Iain, « The construction of stereotypes within social psychology : from social cognition to ideology », Theory Psychology, n ° 8, 1998, p. 629 ; Cf. AMOSSY Ruth et HERSCHBERG PIERROT Anne, Op. Cit.

« Lorsque nous avons en tête une image préétablie qui suscite une certaine attente, nous avons tendance à sélectionner les informations nouvelles qui viennent confirmer cette attente. Elles sont mieux perçues et mémorisées dans la mesure où elles s’assimilent plus aisément aux conceptions stéréotypées préexistantes. La démarche de catégorisation et de schématisation, qui n’exclut en rien la faculté d’individualiser, est indispensable à la cognition.237 »

comme un processus cognitif d’interprétation et d’action sur le monde. Il ne serait donc pas non plus totalement figé. Ce point sera traité avec davantage de précisions plus loin.

D’autres théoriciens ont tenté de chercher les sources psychologiques des stéréotypes, ou encore les raisons pour lesquelles tel ou tel individu y adhère plus facilement. Ce modèle explicatif à d’ailleurs dominé les recherches sur le sujet durant les décennies 1940 et 1950. A l’époque, la motivation était de rendre intelligibles les évènements et crimes qui avaient eu lieu durant la Seconde Guerre Mondiale. Les travaux de Theodor W. Adorno et de ses collaborateurs sur La personnalité autoritaire243 sont resté emblématiques. Ils cherchaient alors à identifier les mécanismes psychiques en jeu chez les individus particulièrement enclins à adhérer aveuglément, non seulement aux stéréotypes et aux préjugés, mais encore à accomplir des actes barbares de type raciste. L’équipe d’Adorno isole ainsi le « syndrome autoritaire » comme principal facteur déclenchant du fascisme et de l’antisémitisme. Certains individus possèderaient ainsi une propension quasi inné, en tout cas dès l’enfance, au fascisme. Ces individus auraient été soumis très jeune à une autorité écrasante – le plus souvent paternelle – qui leur aurait de plus inculqué des valeurs rigides, sans aucune possibilité de remise en question ou de choix personnel. Une fois adulte, ils seraient sujets à un véritable culte de l’autorité les poussant à adopter passivement les valeurs inculquées. Leur mode de pensée serait à la fois simpliste et dichotomique – tout noir ou tout blanc. Ce terrain serait ainsi propice non seulement à l’assimilation des stéréotypes, mais aussi à une obéissance aveugle à tout manipulateur doté de charisme. De plus, cette forte autorité subit dès le plus jeune âge, inhiberait toute possibilité de sentiment d’hostilité contre le proche entourage. Issue d’un fort sentiment de frustration, la colère ressentie et accumulée ne pourraient donc s’exprimer, n’être défoulée, que contre des individus appartenant à un groupe extérieur. C’est ce qu’on appelle, la théorie du bouc émissaire244.

Ce lien automatique entre personnalité autoritaire et fascisme a été remise en cause. D’une part d’autre facteurs entrent en jeu dans les phénomènes du fascisme comme du fanatisme aveugle. D’autre part, l’autoritarisme n’est en rien l’appanage de l’extrême droite, il sévit en effet dans tout les cercles politiques et sociaux, y compris à gauche.

243

ADORNO T.W., FENKEL-BRUNSWIK E., LEVINSON D.J. et NEVITT SANFORD R., The

Authoritarian Personality, Harper & Row, New York, 1950.

244

NDOBO André, Les nouveaux visages de la discrimination, De Boeck, Coll. Ouvertures Psychologiques, Bruxelles, 2010, p.70.