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Politiques audiovisuelles de la diversité en Grande-Bretagne

Déplacement utile à la critique

II. Politiques audiovisuelles de la diversité

2. Politiques audiovisuelles de la diversité en Grande-Bretagne

Si l’État britannique a pu stimuler le développement de projets culturels pour les minorités, cette politique s’est également traduite dans l’espace médiatique (presse écrite, radio, télévision) dans le développement de programmes traitant des minorités, s’adressant à elles, ou directement dans le soutient à la création de médias communautaires – même si ceux-ci ont encore du mal à trouver une pleine légitimité, flirtant parfois avec l’illégalité ou peinant à survivre économiquement.

À partir du milieu des années 1950, la BBC et, plus récemment, Channel4, mettent en œuvre des politiques internes et des initiatives pour mieux prendre en compte la diversité des populations. Au début des années 1960 la représentation des « minorités » dans le paysage audiovisuel reste ambiguë et les portraits de « clowns ethniques » et les faire-valoir côtoient encore ceux de « parasites sociaux » et de « criminels barbares ». II faut attendre la fin de la décennie suivante pour qu‘un comité gouvernemental se penche sur la question. Ainsi, en 1977, est publié le rapport Annan affirmant : « Notre société est désormais multiraciale […]

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les gens adhèrent à différents points de vue quant à la façon dont ils vivent et conçoivent leur vie et s’attendent à ce que leurs propres opinions soient exprimées ».185

Ces préoccupations vont alors se traduire dans les politiques institutionnelles et certains organismes publics auront désormais pour objet de promouvoir les actions agissant pour une meilleure représentation médiatique des minorités. La Commission for Racial Equality (CRE), créée en 1976, conseille le gouvernement, finance les organisations favorisant l’égalité et impulse de nouveaux codes de conduite concernant l’embauche et la représentation des minorités dans les médias. Ces derniers n’ont malheureusement pas l’obligation légale de mettre en application ses avis.

Le rôle des divers médias dans la représentation de la diversité, qu’elle soit culturelle ou sociale, tient une place importante en Grande-Bretagne. Les origines et évolutions des stéréotypes dans la population générale peuvent être repérées dans la presse « populaire » qui a pu désigner les populations fraîchement immigrées simultanément comme des « parasites du système de protection sociale (Welfare Scrouncher) » durant les années 1960, des « agresseurs (Muggers) durant les années 1970, ou encore les « émeutiers (Rioters) » durant les années 1980.186

La publication en 1988 des Versets sataniques de Salman Rushdie, a provoqué un véritable tollé parmi la communauté musulmane britannique. Leur mobilisation fut traduite dans les couvertures médiatiques comme une preuve qu’une société « multiraciale » paisible était un rêve inaccessible et que les communautés « minoritaires » ne partageaient pas les valeurs à la base de la culture britannique. Ce phénomène a été amplifié par l’absence d’un contre-pouvoir au sein des rédactions. Les journalistes « issus des minorités » étaient encore quasiment absents des grands quotidiens nationaux et très peu nombreux à la radio et à la télévision. Quant à la presse « ethnique » en langue anglaise, elle était encore quasi inexistante.

Une étude réalisée à la fin des années 1980, a pu montrer que les communautés minoritaires étaient très faiblement représentées dans l’ensemble des médias. De même, sur les 4000 journalistes travaillant pour la presse nationale seuls 20 d’entre eux appartenaient à une minorité. La radio et la télévision semble alors faire davantage d’efforts pour la formation et le recrutement de journalistes « de couleur », puisque sur 3700 journalistes de rédaction près de 200 étaient issus d’une « minorité »

Les affrontements de 1981 puis de 1985 entre la « jeunesse urbaine » et la police ont encore fait les choux gras des médias les qualifiant comme « nouveau phénomène » en

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« Le Royaume-Uni, un modèle aux résultats contrastés », in FRACHON et SASOON (Dirs.), Médias

et Diversité, de la visibilité aux contenus, Karthala/ Institut Panos, Paris, 2008.

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associant ces événements avec les « origines ethniques » des émeutiers et une agression dirigée contre la société britannique dans son ensemble. En effet, à cette époque plusieurs politiques d’égalité des chances concernant le recrutement dans les médias avaient été mis en place. En 1988, par exemple, la BBC a mis en place un cours spécifiquement réservé aux journalistes « de couleur », les Blacks Only Courses.

Tout au long des années 1990 l’entrée de représentants des « minorités ethniques » fut un des enjeux majeurs des domaines de l’audiovisuel public et privé, mettant l’accent sur le recrutement de journalistes, présentateurs, animateurs et même producteurs de « couleur ». La BBC souhaitait alors faire monter à 8% la proportion d’emplois occupés par des professionnels « issus des minorités » à l’horizon de l’an 2000, ce qui ne représentait pourtant que 2,5% de leur présence réelle au niveau national. En revanche, malgré une diversité de politiques volontaristes et de la création de Channel 4 – dont le cahier des charges comporte explicitement l’obligation de répondre aux besoins culturels des « minorités ethniques », les évolutions en termes de recrutement et de représentation à l’écran reste limitées et lentes.

En 1996, il n’est plus inscrit, dans la nouvelle Loi sur la régulation et la diffusion

audiovisuelle, que les médias doivent refléter la spécificité multiculturelle de la nation. Selon

un rapport de 1999, du Ministère Britannique de la Culture, des Médias et du Sport, les minorités noires et asiatiques sont moins représentées dans les postes prestigieux des principales chaînes nationales, qu’au début de la décennie. Malgré l’instauration du CDN (Cultural Diversity Network, organe d’autorégulation regroupant les principaux opérateurs audiovisuels) la place occupée par les minorités visibles, à l’écran comme dans les productions, reste encore aujourd’hui limitée.187

En 1998, Didier Lassalle remarque que parmi les 200 responsables de la programmation de la BBC, d’ITV et de Channel 4, il n’y a que quatre personnes « issues d’une minorité ethnique » et encore, deux d’entre eux ne travaillent que pour des programmes destinés aux communautés « minoritaires ». À l’époque de cette étude, seul le chef du service politique de la BBC et celui des questions d’actualité de l’émission London Weekend Television sur ITV, font partie des responsables « de couleur » au sein des productions de programmes généralistes. Ces représentants ont d’ailleurs entamé leur carrière au sein de la réalisation de programmes destinés aux minorités pour le London Weekend Television durant les années 1980.188

Il existe un observatoire de la présence des « minorités » à la télévision, le

Communications Research Group qui dépend de la Commission for Racial Equality. Selon une

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« Le Royaume-Uni, un exemple à ne pas suivre ? » ; in FRACHON et SASOON, Op. Cit.

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étude de 2001, les minorités « Non-blanches » étaient alors encore surreprésentées. Mais ce chiffre est en réalité en grande partie le fait des programmes achetés aux États-Unis. Au moment de cette étude les « Asian people » étaient toujours deux fois moins nombreux que les « Noirs » qui eux-mêmes ne représentent que 4 % des visages à l’écran. Dans les fictions, toutes les minorités sont alors sous-représentées en ce qui concerne les rôles principaux et surreprésentées dans les rôles secondaires ou de figuration. Enfin, il fut alors noté que les minorités demeuraient invisibles dans les « magazines du quotidien » (cuisine, bricolage, etc.)189.

Toutefois, après septembre 2001, la philosophie multiculturelle britannique opère un déplacement vers une politique volontariste d’intégration et d’effacement des particularismes communautaires. La création, en 2003, de l’OFCOM (Office of Communication, organisme indépendant de régulation de la concurrence dans la communication et l’audiovisuel) traduit cette évolution dans le secteur des communications et de l’audiovisuel, tout en privilégiant l’autorégulation. On observe alors le déclin de l’approche législative, alors même que les politiques d’« action positive » – basées sur des objectifs quantitatifs – n’ont pas encore pu produire de résultats satisfaisants. L’OFCOM possède tout de même un droit de regard sur la manière dont les médias présentent la diversité nationale. Il évalue, en quantité et en qualité, la diffusion par le service public de programmes concernant les diverses communautés.

Selon un rapport de l’OFCOM publié en 2006, le volume horaire total des programmes multiculturels, toutes chaînes confondues, représentait en 2002 une moyenne de 2H50 par semaine, soit une baisse de plus de 20 % depuis 1998. Pour les cinq des principales chaînes (BBC1, BBC2, ITV1, Channel4, Five), 2002 correspond à une « production multiculturelle » de 2H00 par semaine, soit une baisse de plus de 40% depuis 1998. Même à Channel 4 (chaîne conçue pour la promotion de la diversité nationale) la diffusion hebdomadaire de programmes multiculturels a baissé d’un tiers dans cette même période. La baisse actuelle des financements pour ce type de programmes trouve une réponse dans les pratiques de diverses minorités qui se tournent aujourd’hui vers les chaînes étrangères ou les médias communautaires.

Les castings d’acteurs « non-blancs » dans les fictions restent limités mais indiquent toutefois que les chaînes portent leur attention sur les questions de diversité. Toutefois, il n’existe toujours pas de norme précise et commune à l’ensemble des industries médiatiques pour mesurer la représentation des minorités à l’écran. Toute statistique doit être considérée prudemment. Ainsi, à la suite des attaques terroristes de juillet 2005 on a pu par exemple

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MACÉ Éric, « Comment mesurer les discriminations ethnoraciales à la télévision ? Une comparaison internationale », Op. Cit.

observer une brusque augmentation des reportages liés au terrorisme, mettant en avant un nombre accru de musulmans indiens. Lorsque les «noirs» sont mentionnés dans les programmes d’information, ils sont toujours reliés aux thèmes d’immigration, ou de criminalité. Le volontarisme en matière d’équité et de visibilité, ne produit pas tous les effets qu’on pourrait en espérer. Pourtant, la Grande-Bretagne possède l’avantage de disposer d’indicateurs de mesure des discriminations à la fois dans les pratiques sociales et dans les représentations, ainsi que de nombreux instruments d’intervention sur les organisations.

On peut également observer une certaine « ghettoïsation » du côté des journalistes et des producteurs. Aujourd’hui encore, rares sont les sociétés qui comptent des « non-blancs » à des postes de production ou de direction éditoriale, la plupart n’en ont aucun. Pourtant, plus des deux tiers des programmes britanniques sont réalisés à Londres, l’une des villes les plus cosmopolites au monde. De plus, comme le souligne la productrice-réalisatrice britannique Mukti Jain Campion, « avoir une peau foncée » ne signifie pas que l’on est nécessairement plus disposé à réaliser des programmes sur une communauté minorisée. Non seulement parce qu’un «noir», par exemple, n’est pas mieux placé qu’un « Blanc » pour parler de la communauté indo-pakistanaise, mais de plus, parce que bon nombre de professionnels issus des minorités pratiquent encore l’autocensure (lorsqu’ils ne la subissent pas), dissimulant leur différence, de peur qu’elle ne devienne un handicap pour leur carrière.190

La CRE a cessé d’exister en 2007, remplacée par une nouvelle commission aux responsabilités plus vastes, l’Equality and Human Rights Commission, marquant un nouveau changement d’orientation des politiques britanniques. La création en 2006 de la Commission of

Integration and Social Cohesion allait déjà dans ce sens. Pour la première fois l’intégration et

la cohésion sociale, traditionnellement opposées aux conceptions multiculturelles, deviennent des éléments centraux des politiques en Grande-Bretagne.