• Aucun résultat trouvé

Déplacement utile à la critique

III. Rétrospective historique des représentations de la diversité dans les séries télévisées

1. Stéréotypes et diversité dans les séries françaises

Longtemps les séries françaises ne consacrent qu’une place très limitée aux personnages perçus comme issus de la diversité. Rôles secondaires, silhouettes ou simples figurants, les représentations restent encore stéréotypées, les confinant essentiellement aux rôles de victimes ou de voyous. En 1964 apparait dans la série « à marionnettes » Bonne nuit

les petits (1962-1973, 1995-1997) Cornichon le petit gitan. La France des séries reste alors

essentiellement « blanche ». Les minorités, encore à la marge de la société française, restent également à la marge (quantitativement et symboliquement) des fictions télévisées.

Dans La société et son double ; Une journée ordinaire de télévision199 Éric Macé remarque à quel point les héros de fictions télévisées sont stéréotypés voir normés : l’homme blanc de classe moyenne y est surreprésenté et les protagonistes qui ne se conforment pas à ce modèle y sont toujours minoritaires.

En 1988 commence Navarro (TF1, 1988-2007), série policière avec Roger Hanin, pendant dix-neuf ans, records d’audience. Parmi les membres de l’équipe, les « mulets », Bain-Marie, premier « flic noir » de l’histoire des séries françaises. Toutefois, ses origines ne sont

199

MACE Éric ; La société et son double ; Une journée ordinaire de télévision ; Armand Colin, Col. Médiacultures, Paris, 2006, 320 pp.

pas problématisées, n’influence pas sa vision des enquêtes, ni ses rapports avec ses collègues. On n’ose pas mettre le doigt sur la question, hormis pour souligner à l’occasion qu’il est Antillais, donc il a beaucoup d’enfants. On peut également noter qu’il est en partie isolé de l’équipe : ses deux collègues Blancs fonctionnent en tandem, lui, n’apparait généralement que pour les séquences où l’équipe entière est présente. Puis Julie Lescaut (TF1, depuis 1992) qui elle aussi est accompagnée de son « traditionnel » subalterne noir, Mouss Diouf.

La présence, dans Le Miel et les Abeilles (TF1, 1992-1997), remarquée à l’époque et bien vite oubliée du grand public, de Giant Cocoo, une « personne de petite taille », noir et ancien acteur de porno, qui endosse ici le rôle du clown lubrique, avec un arrière-goût d’attraction de foire.

Plus tard, Seconde B, relatant les aventures d’une classe multiethnique avec une jeune algérienne et Kader le comique de service, tout droit sorti de sa banlieue. Même s’il subsiste quelques clichés (il s’agit d’un lycée technologique) la série aura l’avantage de montrer un groupe d’amis ou les différences d’origine n’empêchent pas des sentiments amoureux et amicaux très forts. Sur M6, Classe mannequin propose un couple de sœurs renouvelé plus tard dans Léa Parker : Vanessa Demouy, ex-mannequin JP Gautier, blonde, a une petite sœur, personnage récurrent de la série, interprétée par Séverine Ferrère, créole réunionnaise.

« Fruits et Légumes », en 1994, raconte la vie quotidienne d'une famille de commerçants d'origine maghrébine, tenant une épicerie. Les séries françaises des années 1990 mettent le plus souvent en scène des héros récurrents. France2 diffuse par exemple L’Instit (1992 -2004), Gérard Klein, instituteur remplaçant, parcourt la France pour, à chaque épisode, « sauver un enfant» de problèmes divers. Tous ces « héros récurrents » ou « ambulants » croisent fréquemment des membres « des minorités », soit malheureux, soit désorientés. Des extraits retranscrits par Marie-France Malonga démontrent cette réalité, notamment les cas de Moussa, un jeune Africain, ou de l’épisode Le Rêve du tigre ou l’épisode Le Trésor de l’anse

du bout, se déroulant à la Martinique. Ces épisodes reflètent certains stéréotypes comme par

exemple le fait que les Noirs sauraient naturellement danser, contrairement aux Blancs. En effet, comme elle le souligne dans son article, s’accordant ici avec la pensée de Stuart Hall : les noirs sont bien souvent, dans la plupart des séries françaises, caricaturés, ou lorsqu’ils ne le sont pas ou moins, on souligne en permanence leurs différences physiques ou culturelles, au cœur des dialogues et des choix scénaristiques. Parmi ces héros ambulants on peut signaler

Fabien Cosma, médecin itinérant et métis, mais sa couleur de peau n’est quasiment jamais

Le premier héro « de couleur » à intégrer un poste à responsabilité dans une série française est un profiler, dans Crimes en série. Thomas Berthier, interprété par l’ex-Inconnu Pascal Légitimus. MF Malonga pointe du doigt la série pour souligner l’insistance des scénaristes à mettre en avant la couleur de peau, et donc « l’étrangeté » du personnage principal. Un baby-sitter, alors que notre héros lui ouvre la porte, ne peut cacher sa surprise. Cette insistance sur la couleur de peau est pour MF Malonga en rapport avec la représentation classique des Noirs qui les réduit à un corps les associant à ce qui tourne autour de la performance musculaire et corporelle, le sport, la musique (récent scandale autour des footballeurs) par opposition aux activités liées à l’intellect. Il n’est pas rare que les comédiens noirs soient associés à la musique, à la danse, ou au sport.

Au même moment, H se déroulant à l’hôpital de Trappes usant de ressorts comiques classiques (vaudeville, quiproquos, etc.), fait entrer un nouveau type de « régime de stéréotype » dans la tradition audiovisuelle française. Il s’agit de la première série dont les personnages principaux sont interprétés essentiellement par des membres des « minorités visibles », sens aigu de la vanne, un jeu permanent avec la langue française (influence de Jamel) et des blagues absurdes digne d’un « non-sens » britannique (influence d’Éric et Ramzy).

À partir de 2002, dans Sous le soleil, Zacharie, jeune garçon noir ramené d’une mission humanitaire en Afrique, adopté. Celui-ci présente une tendance à la révolte ainsi qu’à la délinquance. « Heureusement » il est « sauvé » par sa passion pour la musique, se tourne naturellement vers le rap. À la fin, tout se termine bien puisqu’il se marie et devient père, très jeune…

Mélange savant de soap et de thèmes de société (sans-papiers, homosexualité, sida, SDF, travailleurs précaires, couples mixtes, religion, femmes battues…), Plus belle la vie donne enfin une image contemporaine, multiculturelle et tolérante de la France, avec des Noirs, des Arabes, des métis, des Asiatiques (même si cette dernière «catégorie » reste stéréotypée), dans des rôles loin des clichés habituels (avocat, flic, contrôleur des impôts, étudiant en médecine). Malik, Samia et Djamila Nassri, Mirta et Rudy, Hubert Kundé, Samia, Commissaire Douala, Jin Kan, héros d’une nouvelle génération de téléspectateurs français.

Scènes de ménages : avec un couple mixte érigé en modèle du couple moderne.

Web séries : Kaïra Shopping, Addicts, Zimlo le daron du rap, Plan Biz, Nous ne

sommes pas des Saints, Les voisins du dessus, Dark Elevator, Paris d’amis, Inside Jamel Comedy Club, Islam School Welkoum. Peut-être l’acculturation plus consciente de ces

réflexivités télévisuelles. Satiriques, formules courtes, critique des travers de chacun, politiquement incorrect, semblent revenir à la télévision. Semble le prouver le démarrage, sur Comédie+, de la réflexive et postraciste série United Colors of Jean-Luc, créée par Patrice Éboué. Ce n’est pas un hasard si un « non-blanc » est à la plume et derrière la caméra, semblant confirmer qu’une des voies à explorer est la mixité culturelle et sociale, au sein des productions et des pools de scénaristes. Inside Jamel comédie Club, Platane ou Kaboul Kitchen relèvent du même humour anti-stéréotypique200.