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1.3 État de l’art et objectifs de la thèse

2.1.2 Spectrométrie infrarouge

Spectrométrie infrarouge

La découverte du rayonnement infrarouge est attribuée à William Herschel, qui, en 1800, décomposa la lumière du Soleil à l’aide d’un prisme. Employant un

ther-momètre pour mesurer la chaleur propre à chaque couleur, Herschel mit en évidence un transport de chaleur dans la région au-delà du rouge où aucune lumière appa-rente n’était visible. Le domaine de l’infrarouge recouvre les fréquences du rayonne-ment électromagnétique situées entre les domaines du visible et des micro-ondes. Ce large domaine est lui-même couramment divisé en plusieurs régions aux frontières arbitraires. Les études spectroscopiques menées au LPG-Nantes sont destinées à l’infrarouge proche et moyen, couvrant approximativement la gamme de longueur d’onde de 0.8 microns (haute fréquence, haute énergie) à 5 microns (basse fréquence). Cette dernière limite est instrumentale, mais la gamme couverte est suffisante pour répondre aux thématiques du laboratoire.

La spectroscopie du domaine de l’infrarouge proche et moyen est une spectro-scopie d’absorption. Dans ce domaine de longueurs d’onde, le rayonnement élec-tromagnétique d’énergie E = hν est caractérisé par des fréquences ν proches des fréquences de résonance des modes fondamentaux et harmoniques des molécules. Lorsque l’énergie d’un rayonnement incident correspond à l’énergie permettant à la molécule de passer de son état actuel (mode fondamental ou harmonique) à un état excité supérieur, ce rayonnement est alors absorbé ; au contraire, un rayonne-ment d’énergie (de fréquence) proche interagira de façon élastique avec la molécule et sera simplement diffusé (figures 2.2a et 2.2b, page 63). Lorsqu’une molécule est observée sur une large gamme de fréquences, la carte de ses absorptions (ou spectre infrarouge) est caractéristique de la molécule (figure 2.2c). Cette région du spectre électromagnétique offre donc une méthode privilégiée pour déterminer les espèces présentes dans un échantillon et pour caractériser plus précisément l’état et l’envi-ronnement de ces molécules.

Toutes les transitions ne sont pas observables en spectroscopie infrarouge ; seuls les modes entraînant une variation du moment dipolaire de la molécule sont ainsi ac-tifs. De tels moments dipolaires sont une conséquence d’une répartition asymétrique des charges positives et négatives au sein des molécules. Les modes de déforma-tion asymétriques des molécules, à l’origine d’une perturbadéforma-tion de la répartidéforma-tion des charges, sont ainsi actifs en infrarouge. Cette règle de sélection importante implique que certaines molécules simples, telles les molécules diatomiques formées d’une seule espèce (e.g. N2, O2), ne peuvent pas être observées avec cette technique. Pour les mêmes raisons, la spectroscopie infrarouge est par contre sensible à l’environnement des molécules, telles que les liaisons ioniques.

Spectromètre FT-IR Nicolet 5700

Pour caractériser la fraction du signal absorbée par des échantillons à des lon-gueurs d’onde du domaine proche infrarouge, le LPG-Nantes est équipé d’un spectro-mètre infrarouge à transformée de Fourier Nicolet 5700 FT-IR de Thermo Electron Corporation (banc principal) et d’un microscope associé, le Nicolet Continuum. Un cryostat Oxford Instruments refroidit à l’azote liquide permet l’étude de matériaux glacés sous vide en conditions contrôlées (P = 10−5 bar ; 77 K < T < 400 K) avec les deux instruments. L’utilisation du banc principal, sans grossissement, permet l’ob-servation d’échantillons macroscopiques pluri-millimétriques ; dans cette

configura-E0 = h.υ0 E2 = h.υ2 E0 E2 E0 E1 = h.υ1 E2 m n niv. fond. niv. exc. éner gie des états vibr ationnels E1 = h.υ1 T ra ns mis sio n 0 1 Fréquence υ1 absorption à υ = υ1 a. Absorption infrarouge

b. Niveaux d’énergie régissant l’absorption

c. Spectre infrarouge

absorption IR

Figure 2.2 – Principe de la spectroscopie d’absorption infrarouge (d’après Schrader (1995) et Rull (2012)). En spectroscopie infrarouge, l’absorption d’un rayonnement par une molécule ne se produit qu’à des fréquences spécifiques (a). Les fréquences de ces rayonnements correspondent aux fréquences de résonance des modes vibrationnels des molécules et aux niveaux d’énergie discrets de celles-ci (b). L’ensemble de ces niveaux d’énergie, ou l’ensemble des fréquences auxquelles ont lieu une absorption (intensité incidente < intensité réfléchie ou transmise) constitue une carte d’identité de l’espèce chimique. L’observation des absorptions sur toute une gamme de fréquences, ou spectre (c), permet ainsi, grâce à des bases de données de référence, d’identifier les espèces constituant un échantillon. La morphologie des bandes d’absorption permet également de caractériser l’état physique (granulométrie, température...) des surfaces analysées.

tion, le cryostat peut être équipé d’un support échantillon présentant une surface de 8 mm de diamètre couverte par les analyses. Le microscope, équipé d’un objectif 15X Reflachromat, permet des analyses à une résolution spatiale bien plus élevée (plus petite région observable de 100 × 100 microns).

Le spectromètre au LPG-Nantes peut couvrir des domaines spectraux variés à des résolutions plus ou moins fines en fonction des configurations adoptées pour les expériences (types de détecteurs, de séparatrices, de sources...). Les différentes expé-riences complémentaires à la thèse furent conduites entre 1 et 5 microns ; en consé-quence, le spectromètre était équipé d’une séparatrice CaF2 (adaptés aux études entre 1 et 8 microns) et d’un détecteur InSb (utilisable entre 1 et 5 microns) refroi-dit à l’azote liquide. Avec ces équipements et les paramètres d’acquisition typiques, la résolution spectrale était de 0.2 nm vers 1 micron et de 5 nm vers 5 microns, pour un temps d’acquisition de quelques minutes pour 200 accumulations.

Travaux complémentaires à la thèse

La spectrométrie infrarouge constitue un outil fondamental en planétologie en raison de son aptitude à discriminer la composition chimique et l’état physique des surfaces planétaires de l’échelle pluri-kilométrique (données orbitales) à l’échelle microscopique. Depuis le programme américain Voyager, des spectromètres proche infrarouges ont été embarqués dans chaque mission à destination du système solaire externe. En conséquence, la constitution de bases de données spectrales aux condi-tions de pression, température et composition représentatives de la surface des lunes de glace est un enjeu important. Ce point mis à part, la spectroscopie infrarouge constitue une technique complémentaire de la spectroscopie Raman et aurait pu à ce titre être exploitée comme outil de diagnostique lors de la thèse. Cependant, les cellules à enclumes du LPG-Nantes n’étant pas de dimensions adaptées à une uti-lisation avec le spectromètre infrarouge, cette technique ne put être utilisée lors de l’exploration en pression des systèmes H2O − CO2 et H2O − MgSO4 au cours de la thèse. En revanche, deux études expérimentales menées au LPG-Nantes ces dernières années furent des occasions personnelles d’appréhender cette technique analytique et d’étudier les satellites de glace sous la perspective de leurs processus externes.

En 2010, dans le cadre de la thèse de Cécile Taffin dédiée à la signature infra-rouge des glaces d’eau et de CO2 aux conditions de surface des lunes de Jupiter et Saturne, émergea la question des influences combinées de la température et de la taille de grain sur la signature spectrale de la glace d’eau. La question est d’im-portance, car ces deux paramètres, en plus de la composition, caractérisent l’état physique des surfaces des lunes et permettent en conséquence d’évaluer les processus géologiques à leur origine. Les influences respectives de la température et de la taille de grain sur le spectre infrarouge de la glace d’eau avaient été l’objet de précédentes études destinées tant à la caractérisation des surfaces des satellites de glace qu’au suivi des accumulations neigeuses sur Terre. La plupart de ces études résultaient cependant d’analyses d’échantillons en transmission ou de modélisations grâce aux constantes optiques résultantes. Aucune étude n’avait été menée en réflexion (condi-tion d’observa(condi-tion des missions spatiales) simultanément sur les deux critères. En

collaboration avec les autres membres de l’équipe, mon stage de master fut consa-cré à l’établissement et à l’analyse de cette base de données, de la mise en place du protocole de synthèse des échantillons (sables de glace d’eau de granulométries contrôlées) au traitement des spectres (établissement de critères et traitement auto-matique de nombreux spectres) en passant par l’acquisition des spectres infrarouges (série d’échantillons observés à des intervalles systématiques de température). Fina-lement, l’inversion des données proche infrarouge de Cassini (instrument VIMS) à l’aide de la base de données constituée a permis l’établissement simultané de cartes de granulométrie et température du pôle sud d’Encelade (Taffin et al., 2012). Ces cartes ont fourni une vue des températures du pôle sud d’Encelade indépendante de - et concordante avec - les données infrarouge thermique de Cassini (instrument CIRS) ; les tailles de grain obtenues lors de l’inversion ont confirmé les granulomé-tries établies précédemment par d’autres auteurs à partir de spectres synthétiques (Jaumann et al., 2008). Ces deux études ont ainsi démontré une taille de grain su-périeure au niveau des fractures du pôle sud d’Encelade (angl. Tiger Stripes) par rapport aux régions environnantes. Cette observation est géographiquement concor-dante avec les sources d’activité cryovolcanique identifiées au pôle sud du satellite, ce qui suggère que le matériel recouvrant le pôle de la lune pourrait être issu de cette activité et témoignerait donc de la composition interne d’Encelade. En retour, cette hypothèse supporte que les autres composés détectés à proximité des fractures, tels que le CO2 (Brown et al., 2006), témoignent également de la composition interne du satellite. L’article de Taffin et al. (2012) est reporté en annexe A.

En 2012, dans le cadre des travaux de Adriana Oancea ayant pour but d’éta-blir des spectres de référence du clathrate sI de CO2 aux conditions de surface des lunes de Jupiter et Saturne, se posa le problème de la composition des échantillons analysés sous vide dans le cryostat. Ici encore, l’étude fut motivée par le manque de spectres expérimentaux du clathrate sI de CO2 en réflexion. Ma collaboration sur cette étude fut essentiellement limitée à l’établissement en collaboration avec l’équipe d’un protocole permettant d’estimer la composition des clathrates au mo-ment de leur chargemo-ment dans le cryostat. En effet, il fut soulevé par un examinateur lors de la soumission de l’article que le parcours en pression et température subi par le clathrate entre la fin de la synthèse et le début des expériences était en partie hors de son champ de stabilité (et hors de son champ étendu de préservation) et ne permettait donc pas d’assurer de façon certaine sa préservation jusqu’aux ana-lyses. Afin d’éclaircir cette question, le protocole de contrôle de la composition des clathrates fut mis en place (voir section 2.3.3). Ce protocole a permis de confirmer que les échantillons, au moment de leur chargement, avaient effectivement perdu une partie de leur contenu en CO2, en en préservant toutefois une fraction notable. Le remplissage préférentiel des deux types de cavité de l’hydrate n’a cependant pas été éclairé par ces expériences de dissociation et reste donc une inconnue de cette étude. Ces analyses spectrales apportent néanmoins une référence supplémentaire pour comprendre l’état du CO2 à la surface des lunes de glace et confirment que le CO2 observé par Cassini (données VIMS) à la surface des lunes de Saturne ne présente pas une signature infrarouge compatible avec celle du clathrate sI. L’article de Oancea et al. (2012) est reporté en annexe B.