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Au cours des expériences en cellule à enclumes, l’identification des phases pré-sentes dans l’échantillon a été assurée par spectroscopie Raman (voir section 2.1). Les analyses Raman ont été menées dans trois régions spectrales présentant des si-gnatures caractéristiques des molécules H2O et CO2 : le domaine des bas nombres d’onde (80 − 500 cm−1), ou basses fréquences, porte les signatures des modes ex-ternes (vibrations inter-moléculaires) de chacune des deux molécules ; le domaine des nombres d’onde intermédiaires (1200 − 1500 cm−1) supporte les contributions des modes internes (intra-moléculaires) du CO2 (dans ce domaine spectral, la si-gnature des phases H2O solides est négligeable) ; enfin, aux hauts nombres d’onde (2500 − 4000 cm−1), ou hautes fréquences, apparaissent les contributions des modes internes de H2O (voir la section 2.1.3 pour plus de détails sur les signatures Raman de ces deux molécules). Dans le système H2O − CO2, sur les gammes de tempéra-tures (240 − 340 K) et de pressions (0 − 1.8 GPa) explorées lors de nos expériences, les phases solides rencontrées sont de trois types : les polymorphes de glace d’eau,

la glace I de CO2, et les deux hydrates de CO2. Les signatures Raman des glaces des deux constituants et du clathrate sI de CO2 sont connues (voir références dans l’article), mais celle de l’hydrate de haute pression n’avait encore jamais été décrite. La signature Raman du squelette du clathrate sI de CO2 est similaire à celle de la glace H2O Ih ; en conséquence, l’hydrate est très facilement distinguable de tous les polymorphes de haute pression de l’eau. Une description de la signature du CO2 (sous ses formes liquide et glace I) est cependant nécessaire pour permettre une distinction entre l’hydrate et les phases de CO2 (et, par conséquent, entre l’hy-drate et le mélange de glace H2O Ih et d’une phase du CO2). L’hydrate de haute pression du CO2 présente une signature très semblable à celle du clathrate sI ; les remarques précédentes s’appliquent donc également à l’identification de cette phase, et une description précise des signatures des deux hydrates est nécessaire pour les distinguer. En conséquence, la description de la signature des deux hydrates et des phases du CO2 (mais pas des phases de glace d’eau) est nécessaire et suffisante pour identifier sans ambiguïté les phases rencontrées lors de nos expériences.

Les signatures Raman des deux hydrates et de la glace I de CO2 sont reportées à des conditions P-T similaires en figure 4.6, page 160. Comme l’illustre la figure 4.6, la morphologie de la signature de la glace de CO2 est distincte de celles des hydrates. Les quelques spectres de CO2 liquide acquis au LPG-Nantes à des températures similaires (à plus basse pression) présentent dans le domaine des nombres d’onde intermédiaires des pics aussi étroits qu’en phase glace ; le passage des molécules de CO2 en phase clathrate se traduit par un élargissement de leurs pics associés en spectroscopie Raman, autant pour les modes inter- que intra-moléculaires. Aux conditions P-T explorées dans cette étude, cette seule observation est suffisante pour identifier la présence des hydrates. À des conditions P-T données, l’hydrate de haute pression se distingue du clathrate sI par un décalage à plus bas et plus hauts nombres d’onde des modes inter- et intra-moléculaires de H2O, respectivement.

Afin de permettre l’identification claire de chaque hydrate de CO2 aux condi-tions explorées et afin d’offrir de nouveaux éléments pour contraindre la nature de l’hydrate de haute pression, les spectres Raman acquis lors des expériences menées avant et pendant la thèse ont été modélisés et analysés en fonction de la pression et de la température. À cette fin, chaque région spectrale a été reproduite indé-pendamment par ajustement de fonctions sous OriginPro c 8 SR5 (figure 4.7, page 161). Une difficulté rencontrée lors de cette étape fut l’absence de référence biblio-graphique décomposant précisément les contributions Raman des molécules H2O et CO2 en phase clathrate aux bas et hauts nombres d’onde. Si des travaux éclairent la nature des pics observés et décrivent plus précisément certains de ces principaux pics (position, effet de la pression...), il ne fut trouvé aucune publication (ou groupe de publications) permettant d’indexer le nombre total de contributions (et leur po-sition respective) du squelette du clathrate sI dans ces deux régions spectrales. En conséquence, les régions à bas et haut nombres d’onde ont été reproduites avec le nombre le plus réduit possible de fonctions. À l’inverse, les contributions des modes internes du CO2, bien contraintes, ont pu être modélisées par un nombre justifié de fonctions. Les trois régions spectrales ont été reproduites à l’aide de fonctions lorentziennes, comme attendu en spectroscopie vibrationnelle Raman (Meier, 2005).

a. Clathrate sI de CO2 (0.82 GPa, 269 K) b. Hydrate HP du CO2 (0.82 GPa, 269 K) c. Glace CO2 I (0.86 GPa, 283 K) In te ns it é In te ns it é In te ns it é 100 200 300 1240 1280 1360 1400 2800 3200 3600 100 200 300 1240 1280 1360 1400 2800 3200 3600 100 200 300 1240 1280 1360 1400 2800 3200 3600 Nombres d’onde (cm-1) Nombres d’onde (cm-1) Nombres d’onde (cm-1) H2O O-O 238 CO2 ~v1 1273 CO2 ~2v2 1379 H2O O-H 3060 H2O O-O 231 CO2 ~v1 1270 CO2 ~2v2 1380 H2O O-H 3095 CO2 ~v1 1274 CO2 ~2v2 1384 Hot band + 13CO2 Hot band 13CO2

Figure 4.6 –Caractérisation des hydrates de CO2en spectroscopie Raman (d’après Bollengier et

al., 2013). Le spectre du clathrate sI (a) et celui de l’hydrate de haute pression (b) sont comparés avec la signature de la glace I de CO2 (seule autre phase de CO2 rencontrée à ces conditions) à des conditions P-T proches de la transition entre les deux hydrates. Les trois régions spectrales observées couvrent les modes externes des molécules H2O et CO2 (bas nombres d’onde) et les modes internes du CO2(nombres d’onde intermédiaires) et de H2O (hauts nombres d’onde).

In te ns it é In te ns it é In te ns it é Nombres d’onde (cm-1)

Nombres d’onde (cm-1) Nombres d’onde (cm-1)

100 200 300 400 1200 1300 1400 2500 3000 3500 4000

a. Modes externes H2O & CO2 b. Modes internes CO2 c. Modes internes H2O

Figure 4.7 –Modélisation du spectre du clathrate sI de CO2 pour chacune des régions présentée en figure 4.6. Pour chaque domaine spectral, le spectre acquis est représenté en rouge. Les fonc-tions lorentziennes modélisant les principales contribufonc-tions de H2O et CO2 sont représentées par des lignes noires, et les fonctions secondaires nécessaires à la définition des lignes de base sont symbolisées par des tirets noirs. Le spectre synthétique est représenté par une ligne noire et le résiduel par une ligne rouge.

À plusieurs reprises lors de l’exploitation des spectres, l’influence de la fonction instrumentale (contribution gaussienne) fut tout de même recherchée par l’emploi de fonctions de Voigt (convolution de fonctions gaussienne et lorentzienne) ou de fonctions pseudo-Voigt (somme de fonctions gaussienne et lorentzienne). Lors de ces essais, les contributions gaussiennes proposées par OriginPro c 8 SR5 étaient né-gligeables. L’ajustement de spectres par des fonctions gaussiennes seules n’a donné aucun résultat satisfaisant.

Aux bas nombres d’onde, entre 80 et 500 cm−1, le spectre du clathrate sI de CO2 a été modélisé à l’aide de trois fonctions (figure 4.7a). Une unique fonction fut nécessaire pour retranscrire les modes externes du CO2 et reproduire la ligne de base sur laquelle s’ajoutent les modes externes de H2O. Comme l’illustre le spectre de la glace de CO2 en figure 4.6, une fonction unique n’est cependant pas suffisante pour reproduire les modes du CO2 dans cette région. Pour les spectres du clathrate offrant une vision du sommet (de la position centrale) de la contribution principale située entre 55 et 65 cm−1, le centrage de la fonction sur cette position ne permettait pas de reproduire la ligne de base de façon satisfaisante. L’élargissement notable des bandes du CO2 dans le cas du clathrate a cependant empêché toute distinction des contributions plus modestes et toute modélisation significative à l’aide de plus d’une fonction pour le CO2. Toutefois, en dépit de ce manque de contraintes, l’emploi d’une fonction unique pour le CO2 a permis une reproduction très satisfaisante de la ligne de base de tous les spectres des deux hydrates (figure 4.7a). Une fois cette principale contribution spectrale prise en compte, les bandes restantes sont celles attribuées aux modes externes de H2O. Ces contributions ont été reproduites à l’aide de deux fonctions, la plus intense entre 205 et 235 cm−1 et une seconde plus faible vers 280 ∼ 300 cm−1. De même que pour le CO2, bien que cette approche reproduise de façon satisfaisante les spectres observés et que les tentatives de modélisation

avec un nombre plus élevé de fonctions se soient révélées infructueuses, l’approche simple adoptée ne traduit sans doute pas toute la complexité du spectre de l’hydrate. L’analyse spectrale dans cette région présentée ci-après fut en conséquence limitée à la bande la mieux contrainte vers 220 cm−1.

Aux nombres d’onde intermédiaires entre 1200 et 1500 cm−1, les spectres du cla-thrate sI ont été modélisés à l’aide de cinq fonctions (figure 4.7b). Dans cette région, les contributions sont clairement identifiées. La bande principale vers 1330 cm−1

correspond à la signature de l’enclume de diamant supérieure. Les quatre bandes restantes correspondent aux deux bandes des modes ∼v1 et ∼2v2 et à leur deux bandes associées (angl. "hot bands") issues de la résonance Fermi des modes v1 et 2v2 du CO2. Les bandes de résonance ∼v1 et ∼2v2 associées aux molécules 13CO2, visibles sur les spectres de la glace de CO2, ne semblent pas distinguables sur les spectres du clathrate. Afin d’éviter une saturation du capteur du spectromètre lors de l’acquisition des spectres, l’acquisition dans ce domaine spectral fut coupée sur les épaulements de la bande du diamant (figure 4.7b). Cependant, l’ajustement des fonctions du spectre ne semble pas en avoir souffert, en raison sans doute de l’inten-sité de la bande du diamant et de la finesse des deux principales bandes du CO2. Pour quelques spectres, une sixième bande large et peu intense de position variable (située entre les bandes ∼v1 et ∼2v2) fut nécessaire pour ajuster la ligne de base. Cet ajustement fut nécessaire pour reproduire plus précisément les deux "hot bands" mais n’a pas impacté la modélisation des bandes ∼v1 et ∼2v2 beaucoup plus in-tenses. L’analyse spectrale dans cette région présentée ci-après a été focalisée sur les deux bandes bien contraintes ∼v1 et ∼2v2 du CO2.

Aux hauts nombres d’ondes entre 2500 et 4000 cm−1, les spectres du clathrate sI ont été modélisés à l’aide de trois fonctions (figure 4.7c) traduisant les modes internes de H2O. Aucune fonction ne fut nécessaire pour reproduire la ligne de base. De même qu’aux bas nombres d’onde, un nombre plus important de contributions doit sans doute être attendu dans cette région ; cependant, aucun résiduel récurrent n’a permis de témoigner d’une quatrième bande sur nos spectres, et l’utilisation de plus de trois fonctions lors des modélisations n’a amené aucun résultat probant. Lors des étapes de modélisation, les trois bandes synthétiques ont parfois présenté des morphologies variables, soit sous forme de trois bandes d’intensités similaires (comme présenté en figure 4.7c), soit avec une bande centrale de plus forte intensité épaulée par deux bandes d’intensités plus faibles. Cette variabilité traduit un manque de contrainte lors de l’ajustement, quelques spectres ayant pu être forcés dans chacune des deux configurations par un pré-ajustement de l’intensité des bandes. Pour ces spectres cependant, la variation de la position de la première bande (située entre 3040 et 3140 cm−1) entre ces deux configurations n’a jamais excédé quelques cm−1

et fut donc négligeable au regard de la dispersion observée d’une expérience à l’autre (Bollengier et al., 2013, figure 6). Les analyses dans cette région furent quoi qu’il en soit limitées à la position de cette première bande, paramètre le mieux contraint dans cette région spectrale.

En conséquence de la grande similarité des spectres Raman des deux hydrates du CO2 (figure 4.6, page 160), la modélisation du spectre de l’hydrate de haute pres-sion fut réalisée en suivant rigoureusement la même approche sur les trois domaines

spectraux. Les deux phases se distinguent seulement par de légères variations dans la position, la largeur et l’intensité des bandes reproduites. À temps d’acquisition et paramètres instrumentaux égaux, l’hydrate de haute pression s’est distingué par des intensités de bandes plus faibles, particulièrement au niveau des modes externes de H2O. Sur les spectres de l’hydrate de haute pression, le CO2 présente systématique-ment une largeur de bande plus importante tant pour ses modes externes qu’internes. À la transition du clathrate sI à l’hydrate de haute pression, les positions des princi-paux pics de H2O aux bas et hauts nombres d’onde effectuent des retours en arrière brutaux par rapport aux tendances induites par la pression, de façon analogue aux sauts observés pour les phases de glace d’eau. Ces observations permettent d’iden-tifier chacun des deux hydrates à toutes les pressions et températures qui furent explorées dans cette étude.

En dépit de la similarité des signatures des deux hydrates du CO2 soulignée par les modélisations analogues de leurs trois domaines spectraux, les analyses Raman menées au cours de cette étude confirment l’existence du nouvel hydrate de haute pression. Même si la structure de ce dernier n’a pas encore été déterminée, l’existence de cette phase était déjà clairement mise en évidence par les spectres de diffraction de rayons X de Hirai et al. (2010) : avec cette technique, la phase à haute pression présente une signature distincte de celles des glaces d’eau et de CO2, ce qui implique qu’elle est bien un hydrate ; sa signature est distincte de celle bien connue du cla-thrate sI, ce qui implique que cet hydrate de haute pression est bien une nouvelle phase. Nos analyses Raman confirment que la phase à haute pression est un hydrate (contributions spectrales de H2O et CO2 distinctes de celles des phases de glace aux mêmes conditions P-T) et que cet hydrate est distinct du clathrate sI connu à basse pression (variations discontinues de contributions spectrales de H2O et de CO2 at-testant sans ambiguïté d’une transition ; critères spectraux analogues mais valeurs distinctes entre la phase stable et la phase métastable aux mêmes conditions P-T). Au cours de nos expériences, l’observation visuelle de la régression du clathrate sI et de la croissance simultanée de l’hydrate de haute pression (observation associée à des analyses spectrales localisées dans ces échantillons) apporte une confirmation supplémentaire de l’existence de l’hydrate de haute pression.

Les principaux résultats de ces analyses spectrales sont présentés dans l’article (Bollengier et al., 2013) en partie 4.2. Une fois ces principaux critères déterminés, un référencement précis de tous les spectres acquis au LPG-Nantes lors de l’explo-ration du système H2O − CO2 a pu être établi. La base de données ainsi constituée, comprenant 163 spectres, a permis une caractérisation robuste des échantillons ren-contrés au cours des différentes expériences. Cette base de données est présentée en section 4.4.1.