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1.2 Indices sur la composition des océans

1.2.4 Les témoignages in situ d’Encelade et Titan

Une découverte majeure de la mission Cassini-Huygens fut l’observation, au cours de survols en 2005, de panaches de gaz et de particules émanant du pôle sud d’Encelade (Porco et al., 2006). La question de l’activité de la petite lune de Saturne, et plus particulièrement celle de la nature des processus à l’origine de ces panaches, reste aujourd’hui un point central de l’intérêt de la communauté pour ce satellite. Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer l’existence de ces panaches, notamment l’ébullition de réservoirs liquides à proximité de la surface (Porco et al., 2006), la sublimation de glaces causée par des températures élevées en surface (Porco et al., 2006) ou le long de fractures actives (Nimmo et al., 2007), ou encore la dissociation de clathrates exposés à basse pression par fracturation de la croûte (Kieffer et al., 2006). Les modèles les plus récents, cependant, ne semblent pas pouvoir expliquer les températures élevées observées au pôle sud et la composition des panaches sans faire appel à la présence d’un réservoir liquide plus ou moins

profond (Fortes, 2007b ; Brilliantov et al., 2008 ; Postberg et al., 2011 ; Matson et al., 2012). Ce réservoir d’étendue régionale ou globale semble nécessaire pour expliquer l’activité du pôle sud de la lune (Tobie et al., 2008 ; Běhounková et al., 2012) et son réseau de fractures (Patthoff et Kattenhorn, 2011). L’observation récente d’une corrélation nette entre l’intensité des panaches et la position orbitale d’Encelade (intensité maximale à l’apoapse), confirmant les prédictions d’un précédent modèle (réseau de fractures en extension à l’apoapse), apporte un argument de poids à l’existence d’un ou de plusieurs réservoirs aqueux sous la surface de la lune (Hurford

et al., 2007 ; Hedman et al., 2013 ; Spencer, 2013).

Si un réservoir aqueux est effectivement lié, plus ou moins directement, à l’ac-tivité cryovolcanique du pôle sud d’Encelade, ces panaches sont une opportunité unique de contraindre la composition interne, primitive ou évoluée, d’un satellite de glace. Une importante contrainte in situ sur la composition des panaches a été four-nie par spectrométrie de masse grâce à l’instrument INMS (Ion and Neutral Mass

Spectrometer) de la sonde Cassini lors de ses passages au-dessus du pôle sud de la lune (Waite et al., 2006 ; Waite et al., 2009). Le spectromètre INMS a été conçu afin de pouvoir mesurer l’abondance de particules présentant des rapports de masse sur charge de 0.5 à 99.5 daltons (Waite et al., 2006). L’exploitation des données INMS est notablement compliquée par la dissociation des constituants primaires lors de l’ionisation avant analyse (par exemple, les molécules de N2 seront en partie décom-posées en azote atomique et donc perçues à des rapports de 14 et 28 Da), par la dissociation de molécules primaires par collision aux plus hautes vitesses de Cassini lors des collectes (V ≥ 14 km.s−1), et par différents processus d’interaction entre l’échantillon collecté et la paroi en titane du spectromètre (Waite et al., 2009). Il ressort cependant des analyses INMS, présentées en figure 1.10, page 47, que les pa-naches d’Encelade sont essentiellement constitués d’eau (90 ± 1 % ≤ H2O (total) ≤ 96 ± 1 %) ; environ la moitié de la fraction restante est formée de CO et CO2, pro-bablement majoritairement sous forme de CO2 (5.3 ± 0.1 % ≥ CO + CO2 (total) ≥ 1.5 ± 0.1 %). Les principaux autres constituants ayant été détectés sont, par ordre d’abondance, CH4, NH3, et peut-être N2 et HCN, ou C2H4, les concentrations de chacune de ces espèces étant inférieures au pourcent pour une teneur en eau de 90 ± 1 % (Waite et al., 2009).

L’observation des panaches dans l’ultraviolet par le spectromètre UVIS

(Ultra-violet Imaging Spectrograph) de Cassini n’a pas permis la détection de CO, impli-quant une concentration du gaz dans le panache inférieure à 3 % (Hansen et al., 2008). Cette observation pourrait confirmer que le CO n’est pas le composant ma-joritaire du couple CO + CO2 suggéré par INMS ; cependant, la proportion d’eau dans le panache lors de l’analyse UVIS n’étant pas connue, cet argument reste sujet à caution. La non détection de N2 par le même instrument lors d’une occultation du soleil par Encelade implique une concentration du gaz inférieure à 0.5 % com-patible avec les données INMS (Hansen et al., 2011). L’instrument CDA (Cosmic

Dust Analyzer) de Cassini a également permis une analyse in situ de l’anneau E de Saturne formé des particules émises par Encelade. Ces analyses ont révélé la pré-sence de sels de sodium, majoritairement sous la forme de NaCl mais également sous forme de carbonates NaHCO3 et/ou Na2CO3 (Postberg et al., 2009). Ces sels et

car-H2O 106 Masse (Da) 105 104 103 102 101 100 Sig na l INM S (c ompt es ) 0 CH4, NH3 CO2 Ar organiques C2, N2 organiques C3 organiques C4 C6H6 20 40 60 80

Figure 1.10 – Spectre de masse de l’instrument INMS de Cassini obtenu lors du passage E2 à proximité d’Encelade (figure 1 de Waite et al., 2009). Une déconvolution minutieuse des données INMS met en évidence l’abondance de l’eau, du CO2, du CH4 et du NH3 dans les panaches émis au pôle sud de la lune.

bonates impliquent l’existence sous la surface d’Encelade, au moment de l’émission des particules, d’un réservoir aqueux contenant du CO2 (Postberg et al., 2009).

Pour ce qui concerne Titan, l’atterrissage de Huygens a offert une opportunité de mesurer une partie des volatils présents dans le sol de la lune grâce au spectro-mètre de masse GCMS (Gas Chromatograph Mass Spectrometer) embarqué dans le module (Niemann et al., 2010). Lors de la descente de Huygens, une ligne ouverte sur sa partie inférieure a permis l’acheminement de prélèvements atmosphériques jusqu’à l’instrument GCMS. Cette ligne d’entrée étant chauffée pour éviter toute condensation pouvant perturber les analyses, l’extrémité de la ligne, placée sous la sonde, était notablement plus chaude que la surface de Titan au moment de l’atter-rissage du module. La température exacte de l’extrémité au contact du sol n’est pas connue mais a été estimée par modélisation à 140 K (la température de chauffage de la ligne étant elle connue), à comparer à la température moyenne de 95 K à la surface de Titan. En conséquence, après l’atterrissage du module, des concentrations croissantes en gaz ont été détectées par le spectromètre et interprétées comme une dissociation de composés de surface (figure 1.11, page 48). Par ordre d’abondance, les principaux gaz détectés furent le méthane CH4(environ 6 % molaires avant atter-rissage, et 8 % après), l’éthane C2H6 (non détectable avant atterrissage car inférieur au seuil de détection, 1.5×10−2 % molaire après atterrissage), l’acétylène C2H2(non détectable, 8.0 × 10−3 %) et le dioxyde de carbone CO2 (2.5 × 10−3 % à la fin des mesures). Les concentrations en C2H2 et CO2 étaient encore nettement croissantes lors de la fin du relais des transmissions du module par Cassini, 72 minutes après l’atterrissage (Niemann et al., 2010).

Après le N2, le CH4 est le principal constituant de l’atmosphère de Titan, re-présentant 1.5 à 5.5 % molaires de l’atmosphère (Niemann et al., 2010). Le C2H6

est le principal produit de la décomposition du méthane par photolyse dans l’atmo-sphère de Titan, et le C2H2 est également un des produits attendus de ce cycle du

CH4 C2H6 C2H2 CO2 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0 0.5 1.0 1.5 2.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0 0 0.1 0.2 0.3 Fr ac . mo l.