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2.2 Expériences à haute pression

2.2.2 Exploration des diagrammes de phase

Principes généraux

L’utilisation des cellules à enclumes conditionne l’exploration des diagrammes de phase au cours des expériences de haute pression. En effet, le principe même des expériences (échantillon d’un volume donné prisonnier au sein d’un joint de confi-nement (figure 2.4, page 71)) implique qu’une variation de température à pression constante (trajet isobare) n’est pas possible.

En première approche, ceci peut être compris en considérant que le joint de confi-nement répond de façon élastique (déformation réversible) aux contraintes exercées par les enclumes, indépendamment de l’échantillon lui-même. Dans ce contexte, la variation des contraintes exercées par les enclumes (e.g. par ajustement de la

pres-sion membrane) se traduit par un ajustement du volume de l’échantillon ; ce dernier accommode cette variation de volume par sa compressibilité, en conséquence de quoi la pression y régnant varie. Lors des expériences, l’ajustement des contraintes transmises par les enclumes permet ainsi d’atteindre les pressions désirées. Dans un système isolé (ni matière ni énergie communiquées avec l’environnement), une dimi-nution du volume se traduirait également par une augmentation de température (et inversement) ; cependant, les cellules à enclumes correspondent à des systèmes fer-més (pas d’échange de matière, mais échange d’énergie avec l’environnement) et les systèmes de régulation thermique employés permettent de travailler à température constante. Il est donc tout à fait possible, au cours de ces expériences, de travailler à pression variable et température constante (trajet isotherme). La réciproque n’est cependant pas vraie. En effet, pour un volume de l’échantillon fixé par les enclumes (contexte isochore), une variation de température entraîne une variation de pression induite par la dilatation de l’échantillon. En contexte isochore, les expériences en cellules à enclumes ne permettent donc pas une exploration isobare sans action sur les contraintes transmises par les enclumes.

Les expériences en cellules à enclumes sont plus complexes. Notamment, la ré-ponse du joint est dépendante de celle de l’échantillon. Lors des transitions de phase par exemple, la variation du volume spécifique de l’échantillon n’est pas exclusi-vement accommodée par une variation de pression, mais également par une légère variation du volume de la chambre. Ainsi, ces expériences sont considérées comme quasi-isochores. De même, le comportement des joints n’est pas strictement élas-tique, et les fortes pressions générées entraînent son fluage. Bien que ceci n’ait pas de conséquence sensible lors de l’acquisition d’un point de données, ce comportement peut être responsable d’une légère diminution de la pression sur des durées éten-dues (heures, jours) et rend hasardeuse toute diminution importante des contraintes appliquées à l’échantillon, puisque le joint ne peut occuper à nouveau son ancien volume et, ce faisant, ne peut plus assurer l’étanchéité de l’échantillon. Pour cette raison, les expériences au cours de la thèse ont essentiellement été menées à pression croissante.

À l’exception des transitions de phase essentiellement dépendantes en pression (e.g. la transition entre les deux hydrates de CO2, voir chapitre 4), les expériences effectuées au cours de la thèse ont essentiellement été menées par exploration en tem-pérature entre deux augmentations de pression membrane (l’exploration en tempéra-ture étant plus rapide et réversible). La natempéra-ture des échantillons complique également les expériences. En effet, lors de l’exploration à haute pression et petit volume des systèmes aqueux, les transitions liquide − glace ne peuvent être explorées simple-ment en observant la température de cristallisation du liquide à une pression donnée. À cause de la nature fortement métastable des liquides aqueux et du volume très ré-duit des échantillons, la cristallisation de la phase liquide est généralement observée à des températures 30 à 40 K inférieures à la température de transition à l’équilibre. En conséquence, les données aux transitions de phase ne peuvent être acquises qu’en présence des différentes phases impliquées dans la transition, par exemple lors de la fusion d’un échantillon préalablement gelé.

Parcours en contexte quasi-isochore

La figure 2.10, page 85, illustre l’exploration des transitions liquide − solide des systèmes riches en eau au cours des expériences. Dans le système unaire H2O (figure 2.10a), une diminution de la température (trajet a, bleu) permet la cristallisation de la solution. La cristallisation du liquide métastable nécessite son refroidissement nettement au-dessous de la courbe de fusion (équilibre liquide − glace). En condition quasi-isochore, le refroidissement est responsable d’une légère diminution de la pres-sion (contraction du liquide). Le liquide en surfupres-sion cristallise brutalement (trajet b, noir). Dans le cas particulier de la glace Ih, moins dense que la phase liquide, la cristallisation entraîne une augmentation de la pression de l’échantillon (partie gauche de la figure) ; à l’inverse, la cristallisation des glaces de haute pression plus denses entraîne une diminution de la pression (partie droite de la figure). Une fois l’échantillon cristallisé, la montée en température peut commencer (trajet c, rouge). Sous la courbe de fusion, la montée en température n’entraîne qu’une dilatation limitée de la glace, et donc une augmentation minime de la pression. Lorsque les conditions de pression et température intersectent la courbe de fusion de la glace, celle-ci commence à fondre. La transition de phase s’accompagne d’une diminution (glace Ih) ou d’une augmentation (glaces HP) de la pression dans l’échantillon : une élévation de température supplémentaire est alors nécessaire pour poursuivre la fusion. Ainsi, le long du pseudo-isochore, la courbe de fusion est univariante en pres-sion et température, et, tant que les deux phases sont en présence, les couples P-T observés appartiennent à l’équilibre liquide − solide (trajet d, rouge). En présence des deux phases, la transition est réversible et un refroidissement permet également l’observation de l’équilibre à différentes conditions P-T (trajet d inverse). Tous les points de données obtenus aux équilibres liquide − solide durant la thèse ont été acquis dans ces conditions (trajet d direct ou inverse). Une fois la fusion de la glace terminée, une poursuite de l’élévation de température permet de revenir au point P-T de départ (cas d’un joint parfaitement élastique).

Dans le cas des systèmes à plus d’un composant où les glaces d’eau présentent un liquidus et un solidus distincts s’intersectant à l’eutectique (e.g. les systèmes binaires H2O − CO2 et H2O − MgSO4), les principes exposés ci-dessus restent valables (figure 2.10b). Lors de l’étape de cristallisation, cependant, deux phases solides distinctes peuvent se former (dans le système H2O − MgSO4 par exemple, la cristallisation brutale de l’échantillon pourra entraîner la formation de glace d’eau et d’hydrate de sulfate de magnésium). Lorsque la température devient suffisante pour entraîner le début de la fusion des glaces (fin du trajet c), les points P-T observés sont ceux du solidus du système à la composition eutectique (trajet d, rouge). Lorsque la com-position globale du système est inférieure à la comcom-position eutectique (cas "riche en eau"), l’élévation du taux de fusion qu’entraîne la hausse de température permet une dissolution progressive du second constituant. Lorsque la seconde phase a complète-ment disparu, la poursuite de la fusion de la glace dilue la solution aqueuse dont la composition, suivant le liquidus, s’éloigne de l’eutectique (trajet e, rouge). Une fois la glace complètement fondue, une élévation de température permet, comme dans le système unaire, de retrouver les conditions initiales (trajet f, rouge). La figure 2.10b

b. Fusion des glaces - systèmes binaires a b c d e f a b c d e f solid us derni er liqu idus s olid us dernie r liq u idus

a. Fusion des glaces - système unaire

a b c d e a b c d e liq. - Ih liq. - HP T emp ér at ur e T emp ér at ur e Pression Pression

Figure 2.10 – Exploration des équilibres liquide − solide au cours des expériences en cellule à enclumes dans le cas du système H2O pur (a) et des systèmes binaires (b). Les trajets représentés correspondent au chemin en pression et température parcouru par l’échantillon lors d’une simple descente (en bleu) et remontée (en rouge) en température en contexte quasi-isochore. Les trajets sont représentés dans le cas d’une phase solide moins dense que la phase liquide (glace Ih, gauche) ou d’une phase plus dense que le liquide (glaces de haute pression, droite).

n’est qu’une représentation en deux dimensions (P-T) d’un espace à trois dimensions (P-T-X). Ainsi, si le trajet (d) suit bien le solidus (plan de composition univariant en pression et température), le schéma ne permet pas de représenter l’évolution de la composition du liquide au niveau du solidus (eutectique), composition variant en pression et température et caractéristique de ce trajet (d) (coexistence des deux phases saturées et de la phase aqueuse). De la même façon, le diagramme ne rend que partiellement compte de l’évolution de la composition du liquidus (domaine grisé) entre l’eutectique et le point de "dernier liquidus" correspondant au plus haut point de fusion des glaces dans un chargement de composition donnée. Ce plus haut point de fusion se situe à une température inférieure à celle du point de fusion dans le système pur (équilibre liquide − solide original reporté en pointillés dans la figure 2.10b), et est plus éloigné de celui-ci que la concentration en contaminants dans la phase aqueuse d’une expérience donnée est élevée.

Ce dernier point contraint notablement l’exploration des liquidus des systèmes à deux (ou plus) composants : en effet, l’exploration des liquidus aux plus hautes températures (aux plus faibles compositions) ne peut être menée que grâce à des solutions initiales riches en eau (pauvres en contaminants). Cependant, la cristallisa-tion des échantillons riches en eau n’entraîne la formacristallisa-tion que d’une quantité réduite de la phase formée au-delà de l’eutectique (e.g. glace de CO2 ou hydrate de MgSO4). Or, si la quantité de cette seconde phase est faible, le trajet le long du solidus (d) devient très réduit par rapport au trajet le long du liquidus (trajet e), empêchant le suivi prolongé de l’eutectique en fonction de la température le long d’un isochore donné. Les conséquences de ces observations et la stratégie exploratoire mise en place pour l’étude du système H2O − MgSO4 sont détaillées en première partie du chapitre 5 dédié à ce système.