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Les spécificités du respect

1. CHAPITRE PREMIER : LES TYPES DE RESPECT ET LEUR DÉVELOPPEMENT

1.8 Parler du respect comme d’une position

1.8.7 Les spécificités du respect

Je me suis principalement intéressé à la définition que Pharo donne du respect en raison de cette notion de « position pratique », qui ouvre une nouvelle façon de penser au respect. Il me semble cependant que le reste de la définition qu’il en donne est tout aussi remarquable, en comparaison des autres tentatives que recèle la littérature d’identifier ce qui fait la spécificité du respect. L’attention qu’il nous fait porter à l’intégrité de l’objet respecté, de même qu’au souci de limiter sa propre liberté pour ne pas entamer cette intégrité, me semble rendre particulièrement bien compte de ce qui est caractéristique du respect en général, et du respect de la personne en particulier. Sans entrer dans une critique des nombreuses positions qui ont été défendues sur cette question, je me contente ici de faire voir le potentiel de ces deux éléments de définition.

L’accent mis par Pharo sur l’intégrité de l’objet et sur le fait de limiter sa propre liberté me semble tout à fait adéquat. Comme je l’ai souligné dès le départ, il semble que le respect implique systématiquement une « retenue » : cela faisait partie de nos premiers éléments de réponse. L’idée de « limiter sa propre liberté » semble tout à fait adéquate pour répondre à cet enjeu, puisqu’elle explique que le respect demande parfois certaines actions, et parfois une absence d’action. Limiter sa propre liberté, c’est tout autant agir lorsque l’on aurait préféré ne rien faire, et ne pas agir lorsque l’on aurait préféré agir. Le respect demande parfois d’agir, par exemple pour donner certains signes de respect, et parfois de s’abstenir, par exemple pour laisser la parole à une autre personne.

Ensuite, il est vrai, comme le souligne Pharo, qu’il semble tout à fait contradictoire de respecter quelque chose dont on entamerait l’intégrité. Cette précision semble donc nécessaire. Mais, mieux encore, cet accent mis sur l’intégrité de l’objet respecté permet de rendre compte de certaines difficultés réelles qui apparaissent lorsque l’on tente de

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déterminer ce qui est adéquat au respect des personnes. En effet, l’intégrité d’une personne peut prendre des formes diverses, et potentiellement contradictoires. Prenons l’exemple de l’aide médicale à mourir. Autour de cet enjeu, deux positions s’affrontent qui s’appuient toutes les deux sur une notion de respect de la personne. Lorsque l’on justifie l’aide à mourir par le fait que « la personne est plus sacrée que la vie116 », on affirme que l’intégrité de la

personne dépend plus du respect de ses volontés que du respect de son intégrité biologique. Affirmer, à l’inverse, que la vie biologique de la personne est objectivement plus importante que ses demandes, c’est dire que l’intégrité de la personne tient plus à son caractère biologique (ou divin, si l’on associe la vie à une volonté divine) qu’à son caractère volontaire ou rationnel. Penser le respect à partir de la question de l’intégrité permet de reconnaître ces deux positions comme des défenses valides, bien que divergentes, du respect de la personne. L’intégrité de la vie du corps et l’intégrité des volontés, ce sont deux parties de l’intégrité de la personne. Le respect de la personne implique donc une réelle ambiguïté, et la définition de Pharo permet de mettre cette ambiguïté en lumière. À l’opposé, une définition comme celle de Gauthier : « prendre en compte les volontés et les demandes de la personne117 », ne permet

pas de comprendre cette ambiguïté, puisqu’elle limite d’emblée le respect de la personne à une seule partie de la personne. Le cas est similaire lorsqu’il est question du respect requis pour l’éducation des enfants : il y a une tension entre le respect du jeune tel qu’il est aujourd’hui, et le respect de la personne qu’il peut devenir. Au nom de la personne que l’enfant deviendra, on peut être conduit aujourd’hui à utiliser des mesures coercitives qui pourraient paraître irrespectueuses au regard de ce que l’enfant est présentement. Bref, la définition de Pharo nous fait voir que les débats autour du respect sont parfois des conflits entre des notions valides de respect, et non entre des personnes qui savent respecter et d’autres qui ne savent pas. Référer à l’intégrité de l’objet respecté me semble donc particulièrement riche, puisque cela fait voir avec précision la complexité du respect.

Par ces précisions, Pharo donne un contenu à la définition du respect qui manquait à plusieurs autres définitions, en particulier au moment de déterminer ce qui rend certaines dispositions et certaines actions respectueuses. Quelles dispositions sont respectueuses ? J’ai

116 Marcel Boisvert, « La personne est sacrée, plus encore que la vie », Le Soleil, 29 mars 2017. 117 David Gauthier, Practical Reasoning, p. 119, cité dans C. Cranor, « Toward a Theory of Respect for Persons », op. cit., p. 309.

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dit que c’étaient celles qui impliquent des actions reconnues comme respectueuses. Et quelles sont les actions reconnues comme respectueuses ? Bien souvent, celles qui sont inscrites dans les normes que l’on accepte. Mais pourquoi ces normes sont-elles adoptées ? Peu d’auteurs ont su, à mon avis, bien répondre à cette question. Des formulations telles que celles de Stephen Darwall118 ou Carl Cranor119 ne font que repousser la question. À l’opposé, il me

semble que la définition de Pharo donne un contenu clair à cette question : une action est respectueuse parce qu’elle permet de protéger l’intégrité d’un objet reconnu pour sa valeur.