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Le respect des idées

3. CHAPITRE TROISIÈME : CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT DU RESPECT

3.4 La discussion

3.4.6 Le respect des idées

La philosophie pour enfants contribue au respect en formant ses participants au respect des idées de chacun. Le lien entre le respect des idées et le respect des personnes est complexe, mais la philosophie pour enfants permet aux participants de développer des savoir- faire utiles pour répondre à cette complexité.

Il me semble plausible de dire que le respect des idées d’une personne contribue au respect de cette personne. Cet énoncé est cependant plein d’ambiguïtés. Si, comme Pharo, j’associe le respect à la préservation de l’intégrité, faut-il alors comprendre que les idées d’une personne feraient partie de son intégrité, et qu’il faut donc accepter ces idées telles qu’elles sont, sans jamais désirer qu’elles changent ? Le respect de la personne implique-t-il une acceptation inconditionnelle de n’importe quelle idée ? Il me semble évident que les individus s’identifient souvent à leurs idées, qu’ils y tiennent parfois comme à une partie d’eux-mêmes. Un traitement respectueux semblerait alors impliquer de ne jamais questionner les idées, de ne jamais les critiquer ou les refuser. À l’inverse, on pourrait aussi croire que les idées sont entièrement distinctes des personnes qui les portent. Critiquer, négliger ou questionner les premières ne serait alors jamais un manque de respect des secondes. La vérité me semble être dans un entre-deux : les idées ont une valeur importante pour les personnes, mais ces dernières sont effectivement capables de se distancier de ce qu’elles pensent pour prendre une position critique.

Heureusement, il n’est pas nécessaire de régler cette question pour voir de quelle manière le programme de philosophie pour enfants contribue dans un même mouvement au respect des idées et des personnes qui les portent. En effet, la philosophie pour enfants requiert de porter une attention particulière aux contributions de chaque individu259. Dans la

recherche philosophique, les idées des personnes ne sont rejetées qu’après qu’on leur ait porté beaucoup d’attention, et toujours en ayant pris en compte les perspectives de la personne qui

259 J. Haynes, Children as philosophers: learning through enquiry and dialogue in the primary

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l’a proposée. À vrai dire, il est même plutôt inexact de dire que des idées y sont rejetées : plutôt, les idées qui sont utiles à l’enquête sont réinvesties par la communauté, alors que celles qui sont moins fertiles ne sont pas reprises, jusqu’au moment où, éventuellement, on leur trouve un nouvel usage. La recherche vise à « examiner toutes les possibilités afin d’en retirer celle ou celles qui présentent le plus de cohérence, ou qui permettent de solutionner le problème qui est en jeu260 » ; son objectif n’est pas de disqualifier certaines idées, mais de

mettre en œuvre celles qui sont utiles à l’enquête.

Autrement dit, en philosophie pour enfants, chaque idée est d’emblée reconnue comme une hypothèse qui mérite l’attention de la communauté. La communauté de recherche philosophique est un lieu où l’on accorde aux personnes un espace sécuritaire où elles peuvent prendre le temps qui est nécessaire pour exprimer leurs idées et montrer ce qui les appuie261. Dans la vie de tous les jours, il me semble que la tendance la plus commune est de

chercher à fermer les questions : on désire trouver rapidement des réponses suffisantes pour fixer nos croyances et régler nos problèmes. La communauté de recherche diffère de ce fonctionnement en gardant les questions ouvertes : l’objectif est de renouveler les points de vue sur une question, quitte à travailler avec des idées imparfaites, qui peuvent même parfois sembler inutiles au premier abord262. La recherche philosophique en communauté, dans le

programme de philosophie pour enfants, ne limite pas son attention à ce qui est vrai et certain, mais prend le temps d’évaluer aussi ce qui est possible.

La philosophie pour enfants s’appuie donc sur un traitement particulier des contributions des participants : chacune est observée et évaluée avec attention, pour faire voir tout son potentiel. Il faut d’ailleurs souligner que ce travail est toujours fait en collaboration avec la personne qui est auteure de la question. Le respect des idées, dans ce cadre, n’est jamais séparé du respect de la personne : toute évaluation critique des idées se fait avec un

260 M. Sasseville, « La pratique de la philosophie en communauté de recherche », dans La pratique

de la philosophie avec les enfants, Michel Sasseville (dir.), op. cit., p. 41.

261 J. Haynes, Children as philosophers: learning through enquiry and dialogue in the primary

classroom, op. cit., p. 61-67.

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souci de reconnaissance de la contribution individuelle. Les participants s’efforcent de rester ouverts à la nouveauté263, de manière à reconnaître la valeur de chaque nouvelle contribution.

Le défi de concilier avec nuance le respect des idées et des personnes implique de nombreux savoir-faire. Il faut savoir reconnaître dans une affirmation une hypothèse à examiner. Il faut savoir écouter avec attention ce que propose notre interlocuteur, quitte à demander de l’aide pour comprendre, ou même à offrir de l’aide pour clarifier ou reformuler. Il faut savoir mettre de côté son propre cadre de référence pour s’ouvrir à un nouveau cadre, dont la valeur et la cohérence ne sont pas nécessairement toujours d’emblée visibles. Il faut être capable de rester attentif à ce qui semble saugrenu. Il faut être capable de capter à la fois les idées qui sont énoncées et les sentiments qui se cachent derrière, pour rester à l’affût de l’état émotif de notre co-chercheur. Cette liste non-exhaustive des savoir-faire qui participent au respect des idées est aussi une liste d’actions exécutées par les participants d’une communauté de recherche philosophique. La pratique et la répétition de ces actions participent à développer des savoir-faire utiles au respect.