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Conclusion partielle : développer différents types de respect

1. CHAPITRE PREMIER : LES TYPES DE RESPECT ET LEUR DÉVELOPPEMENT

1.9 Conclusion partielle : développer différents types de respect

Dans ce premier chapitre, j’ai mis en lumière que le respect peut référer à des objets très différents les uns des autres. Il existe des sentiments dont on dit qu’ils sont du respect. De ce point de vue, le respect est un évènement que la personne subit, un mouvement qui se produit à l’intérieur d’elle ; on aurait dit, à une autre époque : une passion de l’âme. Ce mouvement ressemble ou se mélange à des sentiments variés tels que l’amour, l’humilité, la peur, l’admiration. Nous avons vu également que le respect peut être considéré comme une disposition. Lorsqu’une personne « est respectueuse », lorsque ses comportements se présentent comme régulièrement conformes à des normes de respect, on dit qu’elle « a » du respect. On désigne ainsi quelque chose qui est interne à cette personne, quelque chose qui suscite des comportements précis avec régularité. En d’autres occasions, le respect n’est rien d’intérieur ; il est alors plutôt reconnu à même les actions qu’une personne performe. Le respect, lorsqu’il est circonscrit au monde des actions, est identifié à certains comportements définis, et en particulier à ceux qui correspondent à certaines normes. Enfin, le respect peut être reconnu, non pas à certaines actions particulières, mais à un type de relation que des actions produisent. Pharo nomme ce type de relation une position pratique, et son analyse permet de rendre compte de plusieurs dimensions du respect, autant en ce qui concerne sa performance (qui requiert ici des connaissances et des savoir-faire complexes), que des

118 « […] to weight appropriately in one’s deliberations some feature of the thing in question and to act accordingly. ». S. L. Darwall, « Two Kinds of Respect », op. cit., p. 38

119 « […] to acknowledge and recognize the value of [a person]’s having [some ability or character- trait] in ways appropriate to the [ability or character-trait] in question. » C. Cranor, « Toward a Theory of Respect for Persons », op. cit., p. 311.

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interactions qui l’entourent (possibilité de la négociation et du dialogue, difficulté à identifier ce qui convient au respect, etc.).

Tableau II : Description de quatre types de respect et de leur développement Type de

respect Description du respect

Auteurs/ exemples

Contributions au développement du respect Sentiment Événement subi, interne

à la personne Hume, Kant, R. S. Peters Attribuer une valeur éminente à un objet Disposition Caractère de la personne,

ce qu’elle fait ou ressent avec régularité S. L. Darwall (« recognition- respect »), M. Nussbaum Par la répétition de comportements respectueux

Action Gestes et mouvements qui correspondent à des normes

S. D. Hudson (« directive- respect »)

Connaître, valoriser et pratiquer reconnues comme respectueuses

Position Type de relation produit par des actions,

caractérisé par

l’intention de protéger l’intégrité de l’objet respecté

P. Pharo120 • Valoriser la relation de

respect

• Développer un savoir-faire complexe qui inclut : des connaissances, des savoir- faire, une pratique

autocorrective, de la créativité et une sensibilité au contexte.

J’ai identifié ces différents types de respect en interprétant les propositions que j’ai trouvées dans la littérature. En prenant un pas de recul, je constate que les distinctions que j’ai faites présentent certains problèmes. Premièrement, elles ne sont pas parfaitement exclusives les unes aux autres. Par exemple, la notion de sentiment pourrait, en principe, être une sous-catégorie des dispositions ; de même, les positions requièrent des actions. Deuxièmement, certaines catégories semblent présenter un lien de causalité : les dispositions peuvent causer ou motiver des actions ; les sentiments et les dispositions peuvent servir de motifs pour des actions ou des positions ; les actions servent à créer des positions. Distinguer l’une de l’autre semble alors quelque peu artificiel : pourquoi, par exemple, distinguer une action de ses conséquences ? Ne sont-elles pas intrinsèquement liées ?

120 Je crois qu’une analyse attentive montrerait que le « institutional-respect » et le « obstacle-

respect » de Hudson sont aussi des notions de respect en tant que position. J’ai explicité cela à la

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Partant de cette remarque, il pourrait être tentant de réunir toutes ces formes de respect à l’intérieur d’une même définition plus englobante. Pourtant, il semble bien qu’il faille distinguer chacun de ces types : il nous arrive de parler de respect en ne désignant rien d’autre qu’un sentiment, et il arrive qu’il ne s’agisse que d’une action, ou d’une disposition, etc. L’intention de ramener ces différentes acceptions du terme « respect » à une définition unique ne me semble pas réalisable. En particulier, les conceptions du respect comme sentiment et comme action sont si hétérogènes qu’il semble impossible de les réunir sous un même concept. D’une part, s’il existe bien des sentiments que l’on appelle du respect, alors ces sentiments sont indépendants de toute considération pour des actions : ils ne requièrent, pour être réellement du respect, que la présence de cet évènement que l’on appelle un sentiment. Lorsque Peters affirme que : « In general respect for persons is the feeling awakened when another is regarded as a distinctive centre of consciousness121 », le respect

dont il est question ne nécessite pas la présence d’une quelconque action pour être du respect. De manière similaire, le respect compris comme la présence de certaines actions ne requiert pas la présence d’un sentiment : ce qui est recherché, ce n’est que la présence d’un comportement observable. Que l’on puisse nommer « respect » des occurrences aussi différentes me semble être une raison suffisante de considérer que ces notions de respect sont indépendantes, et ne peuvent être ramenées à une même définition.

Les conclusions de ce chapitre sont donc bien modestes : elles se contentent d’éclairer certains usages que nous faisons de la notion de respect. Ces conclusions servent pourtant bien la démarche de ce mémoire, puisqu’elles permettent d’identifier différents moyens de contribuer au développement du respect. On ne provoque pas un sentiment de la même manière qu’on dispose une personne à certains comportements. Les actions respectueuses ne requièrent pas exactement les mêmes choses que la production de relations respectueuses. Dans le reste de ce mémoire, je m’occuperai moins des différentes définitions que j’ai données que des moyens par lesquels il est possible de faire apparaître le respect, de le renforcer et de le maintenir. Le sentiment de respect provient le plus souvent de la considération d’un objet qui a une valeur éminente. Les dispositions viennent de pratiques répétées, et peuvent être de genres très différents. Les actions précises qui sont dites

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« respectueuses » doivent être apprises, pratiquées, et motivées. La position de respect dépend d’un savoir-faire complexe, et d’une motivation à produire un genre de relation caractéristique du respect. Les étapes suivantes permettront de faire voir de quelle manière une pratique concrète, celle de la philosophie en communauté de recherche, telle qu’elle est présente dans le programme de philosophie pour enfants de Matthew Lipman et Ann Margaret Sharp, est susceptible de contribuer au développement du respect. Y développe-t- on certains sentiments ? Certaines choses y sont-elles présentées comme ayant une valeur éminente ? Est-elle l’occasion de pratiquer régulièrement certaines actions, de manière à mieux les maîtriser ou à en faire des habitudes ? Est-elle l’occasion de développer certaines valeurs ? Avant d’examiner ces questions en détail, il convient de présenter le programme de philosophie pour enfants, en soulignant ses objectifs, et les moyens qu’il met en œuvre pour les réaliser.

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2. CHAPITRE DEUXIÈME : LE PROGRAMME DE PHILOSOPHIE POUR