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Produire des habitudes respectueuses

1. CHAPITRE PREMIER : LES TYPES DE RESPECT ET LEUR DÉVELOPPEMENT

1.6 Parler du respect comme d’une disposition

1.6.6 Produire des habitudes respectueuses

Si une disposition n’est reconnue comme respectueuse que par la constatation d’une régularité du comportement, alors la notion de disposition nous oblige à considérer une hypothèse particulièrement incommode : il semble qu’un très grand nombre de dispositions différentes puissent être dites respectueuses. Une personne peut être disposée à agir respectueusement par peur. Elle peut aussi être disposée à agir respectueusement par une soigneuse considération pour ses intérêts75. Elle peut aussi être disposée à agir

72 C. Cranor, « Toward a Theory of Respect for Persons », op. cit., p. 309. 73 S. L. Darwall, « Two Kinds of Respect », op. cit., p. 38.

74 Cette réponse n’est certainement pas satisfaisante, puisqu’elle laisse encore dans l’ombre les raisons pour lesquelles certaines actions sont habituellement reconnues comme respectueuses. La meilleure réponse que je puisse donnée à cette question m’est suggérée par Patrick Pharo, dans le cadre de son analyse du respect comme position pratique, que je détaille ci-dessous, voir p. 56. Selon lui, le respect dépend du fait de limiter sa propre liberté pour ne pas entamer la valeur reconnue à un objet.

75 Cette affirmation ne me semble pas parfaitement claire. La considération des intérêts peut-elle être une disposition ? Cela pourrait ne pas être le cas, puisque les intérêts sont susceptibles de changer rapidement, ce qui ne devrait pas correspondre à une disposition. Sous un autre angle, il n’est pas certain que les intérêts changent si rapidement, ou qu’une considération adéquate des intérêts mène à un comportement erratique. Au contraire, la considération d’un intérêt comme

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respectueusement par la pratique répétée d’actions réputées respectueuses : être polie, rester conforme aux normes, ne pas prendre trop de place, ne pas couper la parole, écouter attentivement, etc. Elle peut aussi être disposée à agir respectueusement en développant des dispositions affectives particulières telles que l’empathie, la compassion, la fidélité, etc., tant que ces dispositions mènent à des comportements reconnus comme respectueux. A priori, on peut croire que la liste des dispositions qui peuvent être reconnues comme respectueuses est indéfinie.

Il faut remarquer que la perspective selon laquelle le respect est une disposition nous dit peu sur les moyens précis qui rendent une personne respectueuse. Nous avons dit que Pierre, qui est affable et attentionné, « a du respect », qu’il est « une personne respectueuse » ; cela nous dit pourtant peu sur ce qui produit cette disposition respectueuse. Pierre pourrait être disposé ainsi en fonction de certains sentiments d’amour et d’humilité. Il pourrait aussi être disposé de la sorte en raison d’un usage stricte et assidu de sa raison, qui lui intime en toute occasion de se plier aux commandements de la loi morale. Ou encore, il pourrait être disposé comme il l’est en raison de sa peur d’être rejeté, ou d’être vulnérable. Dire que Pierre est une personne respectueuse, cela ne dit rien de plus que ce qui est observé, à savoir que celui-ci agit avec régularité et cohérence d’une certaine manière qui est reconnue comme respectueuse. La « mise en ordre » qui a rendu Pierre respectueux peut donc être de genres tout à fait différents : ou bien une formation du jugement moral, ou bien une formation des sentiments, ou bien un dressage, etc. La simple notion de disposition ne permet pas d’en dire plus.

Dans l’optique d’identifier ce qui contribue à la formation d’une disposition respectueuse, il faut donc reconnaître que de très nombreuses voies sont possibles. Cela peut se faire par la transmission des connaissances, la formation de valeurs, le développement d’affects, tant que cela mène à une transformation durable du comportement de la personne. Cette perspective ouvre une possibilité qui est occultée dans les autres définitions du respect : la possibilité du dressage. Le dressage est le développement d’un comportement régulier par la formation d’un automatisme ; le comportement qui en résulte n’est pas performé « à

« vivre de manière harmonieuse avec les autres » mène à une régularité de comportements respectueux. Cette hypothèse me semble donc devoir être conservée.

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volonté », mais de manière plus ou moins automatique76. Le dressage se fait par la répétition

d’actes déterminés, et par l’association de ces actes à des plaisirs ou l’évitement de peines77.

D’une manière moins contraignante, je remarque que l’entraînement et la discipline fonctionnent d’une manière similaire : par conditionnement progressif, par actions répétées.

La répétition semble être une des voies principales pour la formation d’une disposition. Il ne semble pourtant pas que ce soit la seule. Par exemple, si l’affectivité d’une personne est formée de manière à avoir certains sentiments déterminés, ces sentiments peuvent alors aussi être appelés une disposition, puisqu’ils mènent à une régularité du comportement. Or, comme je l’ai montré dans la section précédente, les sentiments peuvent être provoqués par notre manière de concevoir les évènements qui se produisent, ce qui implique des croyances, plus que des habitudes. Par exemple, une personne à qui l’on a appris à voir la pauvreté comme une malédiction insurmontable pourra être prise de sympathie pour les personnes concernées, ce qui la motivera à les respecter. D’un autre côté, il semble que les connaissances et les valeurs peuvent aussi former des dispositions : c’est ma connaissance du rôle du juge, et la valeur que je donne à la vie en société, qui me fait respecter son titre et ses décisions. Par conséquent, les dispositions respectueuses peuvent prendre des formes diverses, qui sont autant de manières différentes de contribuer au développement du respect.