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Spécificités du marché de l’art dans la justification de la valeur et des prix

PARTIE 1 – PORTRAIT HOLISTIQUE DU MARCHÉ DE L’ART : PRINCIPAU

2. Esquisses de la provenance de l’œuvre d’art : un concept abstrait, mais essentiel

3.1. Spécificités du marché de l’art dans la justification de la valeur et des prix

La mondialisation a occasionné des changements considérables au sein de l’économie du marché de l’art. Dans l'ensemble, elle semble avoir engendré une augmentation de l'offre et de la demande, mais aussi une fragmentation du marché, de même qu’une grande diversification des œuvres. Or, comme nous pourrons le voir dans le présent sous-chapitre, l’équilibre du marché paraît reposer sur un faux sentiment de confiance concernant non seulement les prix des objets d’art, mais également leur valeur.

3.1.1. Une prérogative centrée sur un faux sentiment de confiance

Commençons par réitérer que le potentiel du marché de l’art est très large, considérant que les objets d’art peuvent être considérés comme des biens à la fois de consommation et d’investissement.123 De plus, c’est un marché flexible, où l’intérêt et le

désintérêt varient en fonction du climat économique qui distingue une période historique particulière. Pour certains, la santé économique du marché de l’art représente en réalité un miroir des tendances économiques au sein de la société.124 Il faut également noter la tendance

envers l’anonymat : une grande partie des transactions qui y sont effectuées demeurent dans

123 Federica Codignola, « The Art Market, Global Economy and Information Transparency » (2003) 2 Symphonya 73‑93 à la p 75.

l’ombre, ce qui a pour conséquence de rendre possible l’existence d’un marché clandestin qui fonctionne en parallèle du marché réel.125

D’une part, les prix sont souvent justifiés par un faux sentiment de confiance dans l’histoire et la documentation de l’art. Or, il s’avère que ces derniers éléments fluctuent considérablement au fil des années et des nouvelles découvertes. D’autre part, la valeur d’une œuvre dépendra d’une multitude d’autres facteurs, dont l’offre et la demande, les ventes similaires, la réputation de l’artiste, l’époque de sa réalisation, le médium et le matériau utilisés et son état actuel. De ce fait, l’existence d’un quelconque doute par rapport à l’authenticité de l’œuvre ou sa provenance, de même que la circulation d’œuvres similaires sur le marché, pourront faire fluctuer sa valeur d’autant plus.126 La rareté d’une œuvre et

l’erreur d’attribution peuvent avoir un impact considérable sur sa valeur.

En 2017, l’œuvre « Salvator Mundi » de Léonard de Vinci s’est vendue pour la somme de 450 millions de dollars lors d’une vente organisée par la maison d’enchères Christie’s à New York.127 La peinture, aussi surnommée « the Male Mona Lisa » est alors devenue la

plus dispendieuse au monde. Au sein du milieu artistique des beaux-arts, il est commun que des œuvres soient vendues pour des prix mirobolants : des œuvres de Picasso, Rothko, Pollock, Cézanne et Gauguin ont aussi été vendues pour des millions de dollars. Même au Canada, en novembre 2019, l’œuvre de Picasso « La femme au chapeau » fut octroyée pour la somme de 9,1 millions de dollars au cours d’une vente organisée par la célèbre maison d’enchères Heffel à Toronto.

Plusieurs se questionnent alors à savoir comment ces prix sont fixés, et comment ils représentent la valeur d’une œuvre en particulier. Pour l’œuvre de Léonard de Vinci vendue à 450 millions de dollars, ce montant impressionnant est certainement un reflet de la rareté des œuvres de cet artiste sur le marché. Effectivement, il n’a produit au cours de son vivant

125 Ibid.

126 Géraldine Goffraux-Callebaut et Alice Barbet-Massin, supra note 15.

127 Christie’s, « Leonardo’s Salvator Mundi makes auction history » (15 novembre 2017), en ligne : <https://www.christies.com/features/Leonardo-and-Post-War-results-New-York-8729-3.aspx> (consulté le 18 juin 2020).

qu’une vingtaine de tableaux, qui se retrouvent tous à l’heure actuelle dans des musées ou des collections privées. Ainsi, la soudaine disponibilité de l’œuvre « Salvator Mundi » a eu pour effet de faire grimper l’intérêt global, après près de six ans d’étude et d’analyse pour établir son authenticité.128 Bien que la qualité et la réputation d’un artiste soient des facteurs

importants, ce ne sont toutefois pas toutes les œuvres d’un même artiste qui ont la même valeur. Parfois, la valeur d’une œuvre provient plutôt de sa période de création. Par exemple, selon l’expert consultant Alain Lacoursière, les œuvres de Riopelle datant des années 1950 à 1955 se vendent pour des millions de dollars alors que la valeur de ses œuvres qui datent des années 1980 est réduite de moitié.129

3.1.2. Un aperçu des critères de fixation du prix d’un objet d’art

Selon la maison de ventes aux enchères Sotheby’s, les évaluateurs utilisent 10 critères pour fixer le prix d’un objet d’art ou de collection. D’abord, comme nous l’avons vu, l’authenticité et la provenance sont des critères primordiaux.130 La condition de l’œuvre est

également considérée pour établir sa valeur. Celle-ci reflète l’état de la préservation de l’œuvre à travers les époques.131 Bien entendu, des restaurations et réparations sont souvent

nécessaires pour des œuvres qui datent, surtout celles qui ont été conçues avant la Première ou la Deuxième Guerre mondiale. La condition d’une Canada peut être affectée par de nombreux autres facteurs tels que les changements de température, les matériaux utilisés ou la méthode de conservation.132 Un autre critère recherché par les évaluateurs est la rareté de

l’objet d’art. Ce critère est toutefois paradoxal. Comme l’explique Frank Everett de chez Sotheby’s à New York, « […] just because it’s rare doesn’t mean it’s great, and if it’s great, it doesn’t have to be rare ».133 L’importance historique de l’œuvre sera également un critère

déterminant de sa valeur. Ce terme réfère à l’époque et le contexte dans lequel l’œuvre a été conçue. Ce peut aussi être l’importance de cette œuvre pour le développement de l’histoire

128 Ibid.19 129 note 119.

130 Sotheby’s et Surrender Pictures, supra note 20.

131 Sotheby’s et Surrender Pictures, The Value of Art : Condition, YouTube, 20 décembre 2016, en ligne : YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=1Q0RjnWyYiw>.

132 Ibid.

133 Sotheby’s et Surrender Pictures, The Value of Art : Rarity, YouTube, 20 décembre 2016, en ligne : YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=ToVLBinVnR4>.

ou de l’histoire de l’art ou son impact sur notre monde.134 Prenons l’exemple d’une sculpture,

créée spécialement pour l’empereur Kangxi, qui a eu le plus long règne de l’histoire de la Chine. Cette sculpture avait en réalité une valeur approximative de 10 000 $US, mais elle s’est vendue pour 10 millions $US chez Sotheby’s en raison du symbolisme qu’elle représente pour l’histoire de la Chine.135 Un autre exemple, qui s’éloigne un peu des objets

d’art, mais qui demeure un objet de collection : la magna carta, qui s’est vendue pour 21 millions de dollars en enchère.136 La magna carta tient aussi son importance historique

du fait qu’il s’agit d’un document précieux dans l’histoire des droits de l’homme. Enfin, d’autres critères sont également considérés dans l’évaluation de la valeur des œuvres tels que la taille, les tendances du marché, le contenu de l’œuvre en soi, le médium utilisé, et enfin la qualité de l’œuvre.

3.1.3. Derrière le prix de l’art : sa valeur

Outre les éclats et rebondissements provoqués par les ventes aux enchères, on attribue d’abord normalement aux œuvres une valeur marchande. Au Canada, la juste valeur marchande des œuvres est établie par la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels (CCEEBC). Ces évaluations peuvent être utilisées, par exemple, par des compagnies d’assurance en cas de perte ou de vol d’œuvres d’art. Dans certains cas, si la valeur de toutes les œuvres d’un artiste en particulier se mettait à augmenter, alors la juste valeur marchande pourrait être modifiée. Autrement, la juste valeur marchande change rarement d’une transaction à l’autre. Au Canada, il est rare que des acheteurs compétitionnent dans une enchère pour faire augmenter le prix considérablement. C’est ce qu’on appelle un « échappé », selon Alain Lacoursière. D’ailleurs, les œuvres surévaluées seront rarement vendues au prix de l’échappé lorsqu’elles sont vendues à nouveau.137

Comme nous venons de le voir, les œuvres qui circulent sur le marché de l’art ne peuvent pas être déterminées seulement par des prérogatives purement financières ou

134 Sotheby’s et Surrender Pictures, The Value of Art : Historical importance, YouTube, 20 décembre 2016, en ligne : YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=LRenlUbdgpI>.

135 Ibid. 136 Ibid. 137 note 119.

économiques.138 En fait, bien souvent le prix d’un objet d’art est déterminé en fonction de sa

valeur symbolique.139 Selon une étude de 2017 menée par l’assureur AXA140, un quart des

acteurs interviewés ne croient pas que le prix d’une œuvre aurait une corrélation avec sa valeur. Difficile alors de s’y retrouver sans les connaissances d’un expert. Par la suite, si l’on retient la théorie selon laquelle une œuvre est un bien mobilier qui ne peut être détérioré par la consommation et qui est souvent irremplaçable et unique, l’on peut considérer qu’il s’agit d’un marché d’approvisionnement limité.141 Enfin, cela nous amène à définir l’art en tant que

réel actif d’investissement, pour lequel la valeur augmente en même temps que la compétition entre les acheteurs potentiels.