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Les atouts de la technologie de registres distribués pour le marché de l’art

PARTIE 2 – NOUVEAU PARADIGME POUR LE MARCHÉ DE L’ART : SA

1. Usages possibles de la chaîne de blocs en réplique aux tribulations du marché de

1.1. Revigorer la confiance par l’utilisation de registres distribués

1.1.4. Les atouts de la technologie de registres distribués pour le marché de l’art

Les propriétés spécifiques des registres distribués constituent un atout pour le marché de l’art, notamment car celles-ci correspondent aux différentes problématiques établies précédemment. Prosaïquement, cette technologie peut servir à la fois à traiter les questions d’authenticité, de provenance et de transparence observées, car elle supporte le

187 Ibid.

188 République française, Ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, JORF n°0101 du 29 avril 2016 texte n° 16, en ligne : JORF n°0101 du 29 avril 2016 texte n° 16 <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032465520&categorieLien=id> (consulté le 21 juillet 2020).

189 République française, Ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif

d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers, JORF

n°0287 du 9 décembre 2017 texte n° 24, en ligne : JORF n°0287 du 9 décembre 2017 texte n° 24 <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036171908&categorieLien=id> (consulté le 21 juillet 2020).

190 Primavera De Filippi, supra note 186. 191 Ibid.

192 École supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci, « Certification blockchain des diplômes ESILV », en ligne : <https://www.esilv.fr/lecole/certification-blockchain-diplomes-esilv/> (consulté le 21 juillet 2020).

stockage d’informations de façon synchronisée, immuable et sécuritaire par la cryptographie, la validation et l’horodatage.193 Son emploi dans le marché de l’art permettrait alors de

conserver l’intégrité des données d’authentification et de provenance d’une œuvre, ce qui déploierait plus de transparence sur le marché. En soi, les registres distribués sont des livres ouverts. Les acheteurs autant que les vendeurs auraient donc accès en tout temps et de façon libre aux informations, contrairement à la situation actuelle sur le marché, où l’information est cachée et accessible à certains individus seulement.

En raison de leur nature distribuée et décentralisée, ces registres peuvent être déployés à l’échelle mondiale très facilement. De même, ils sont pratiquement inviolables : une fois qu’une information est stockée, il est très difficile de la modifier ou de la retirer. En réalité, pour modifier une information, il faudrait « lancer une attaque coûteuse pour en prendre le contrôle, soit lancer un débat public, complexe et souvent controversé pour convaincre les autres participants au réseau de mettre en œuvre un protocole de changement du protocole sous-jacent ».194 L’utilisation de registres distribués permettrait par le fait même une grande

indépendance aux acteurs du marché de l’art, car l’intermédiaire de confiance devient facultatif. L’on parviendrait donc à régler le problème de confiance qui règne, puisque c’est l’ensemble des participants qui ont le contrôle sur le réseau, et non pas une entité centralisée, et parce que la sécurité sur le réseau est assurée par la cryptographie asymétrique. Alors que la cryptographie symétrique prévoit que les individus doivent s’être entendus sur une clé de chiffrement commune, la cryptographie asymétrique permet au contraire aux individus de communiquer sans même avoir à transmettre une clé de chiffrement.195 Pour ce faire, chacun

des individus génère deux clés : une clé privée et une clé publique. Le système et les transactions sont sécurisés du fait qu’il est possible de générer une clé publique à partir d’une clé privée, mais qu’il est toutefois impossible « de récupérer une clé privée à partir d’une clé

193 Téléfilm Canada et Fonds des médias du Canada, La chaîne de blocs et l’industrie canadienne des médias, Canada, 2019 à la p 7, en ligne : <https://telefilm.ca/wp-content/uploads/blockchain-2019-fr.pdf>; David F Blair et al, « Blockchain : just because it’s a buzzword doesn’t mean it’s not the future of the supply chain » [2019] CAIJ, en ligne :

<https://unik.caij.qc.ca/recherche#q=David%20F.%20Blair%20&t=unik&sort=relevancy&f:caij-unik- checkboxes=[Doctrine]&m=detailed&i=5&bp=results>.

194 Aaaron Wright, Blockchain & droit: le règne du code, Paris, Dicoland, 2019 à la p 36.

195 Office québécois de la langue française, Québec, 2020, sub verbo « Cryptographie asymétrique », en ligne : <https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/terminologie_sec_informatique/cryptogra phie_asymetrique.html> (consulté le 15 juillet 2020).

publique ».196 Résultat : même si les informations sont interceptées, elles ne pourront être

consultées que par l’individu à qui ces données étaient envoyées initialement. De plus, ce mécanisme permet une sorte de garantie que les informations proviennent bel et bien de la bonne source. Concrètement, par exemple avec le réseau Bitcoin, « le chiffrement à double clé a pour fonction de prouver que toute personne commençant une transaction est bien la propriétaire des fonds à transférer ».197 De ce fait, même si les parties à une transaction sur

le marché de l’art ne se connaissent pas et ne se font pas confiance, elles sont tout de même assurées que les données qui sont inscrites sur la chaîne sont véridiques, puisqu’elles ne peuvent avoir été falsifiées. Cette transparence est à l’avantage des acheteurs et collectionneurs avant tout. Autrement, la garantie de la véracité des informations qui sont enregistrées sur un registre distribué serait assurée par ce que l’on appelle le mécanisme de consensus. Ces mécanismes prévoient normalement « […] un ensemble de règles strictes avec des incitations (financières) prédéfinies et des structures de coûts – ce qui rend toute suppression ou altération unilatérale d’une donnée de la blockchain coûteuse et difficile ».198

Le réseau Bitcoin, par exemple, met en place un protocole de « Proof of Work » ou « preuve de travail », par lequel il a été décidé que « les membres du réseau devront toujours sélectionner la chaîne de blocs la plus longue (celle qui a demandé une plus grande puissance de calcul, et donc de « preuve de travail »).199 Ce protocole permet de sécuriser le réseau,

puisque toute tentative de manipulation du réseau deviendrait extrêmement coûteuse. D’autres mécanismes de consensus existent, notamment le mécanisme « Proof of Stake », où il n’y a pas de course contre la montre pour résoudre des équations mathématiques.200 Les

nœuds sont sélectionnés de façon aléatoire selon des conditions déterminées à l’avance. Par exemple, les chances de sélection des nœuds sont influencées par le nombre de jetons qu’ils mettent à risque (at stake). Puis, le nœud qui est ainsi sélectionné sera celui qui pourra valider et enregistrer les transactions sur la chaîne de blocs. Contrairement au mécanisme de consensus « Proof of Work », c’est la valeur des jetons, qui sont en jeu comme un dépôt, qui

196 Primavera De Filippi, supra note 22. 197 Ibid.

198 Aaaron Wright, supra note 194 à la p 2.

199 Blockchain France, « Qu’est-ce que la blockchain ? », en ligne : <https://blockchainfrance.net/decouvrir-la- blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/> (consulté le 15 juillet 2020).

200 Binance Academy, « Proof of Stake Explained », en ligne :

garantissent la sécurité du réseau. Ce « dépôt » réduit tout risque de falsification ou de transactions frauduleuses, car si un nœud commet un tel acte, il perd une partie du dépôt et son droit de participer à l’avenir.201

Pensons alors aux certificats d’authenticité d’œuvres d’art ou d’objets d’art, qui pourraient potentiellement être enregistrés sur un registre distribué, au lieu d’être conservés sur papier. On n’y voit d’abord pas d’obstacles, puisque l’émission de tels certificats n’est pas règlementée. L’ancrage des informations du certificat d’authenticité sur le registre distribué serait beaucoup plus sécuritaire que l’utilisation et le transfert de certificats en format papier, qui peuvent être falsifiés très facilement et perdus ou détruits à tout moment. Il serait alors possible d’enregistrer les informations concernant l’œuvre, telles que le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, sa date de création, ses dimensions, les matériaux utilisés et le nombre de reproductions effectuées. D’autant plus, certains registres distribués permettent d’enregistrer des images. Il pourrait alors être pertinent d’y ajouter des photos actuelles de l’état de l’œuvre, ce qui est souvent fait dans le marché traditionnel.

Les catalogues raisonnés, dont nous avons pu constater l'importance préalablement, pourraient aussi être enregistrés sur des registres distribués. Fondamentalement, le catalogue raisonné constitue une base de données; un répertoire de l’Oeuvre d’un artiste. Tous les renseignements relatifs à une œuvre ou un artiste pourraient alors être repris dans un registre distribué et public, accessible à tous ceux qui souhaitent acquérir une oeuvre ou qui s’y intéressent.202 Bien entendu, cet usage serait destiné aux œuvres nouvellement conçues, étant

donné que l’enregistrement des informations contenues dans les catalogues raisonnés déjà existants serait un travail pratiquement interminable. Il demeure que la publication du catalogue raisonnée d’un artiste pourrait déployer une grande transparence sur le marché, car il serait a priori accessible à tous, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Pour ce faire, il sera toutefois nécessaire que les individus responsables de la conception de ces catalogues embrassent cette nouvelle technologie et qu’ils en développent une certaine maîtrise. Force est de constater que l’utilisation de registres distribués se prêterait bien à la conception de

201 Ibid.

catalogues raisonnés, notamment car les œuvres doivent normalement être répertoriées en ordre chronologique, faire état de la traçabilité de l’œuvre dans le temps et énumérer tous les transferts de l’œuvre (ventes, successions ou donations depuis sa création). L'emploi d’un registre distribué et des contrats intelligents au moment de la création de la première œuvre pourrait dès lors prouver non seulement la date de conception de l’œuvre ou de l’objet d’art, mais aussi son authenticité. Cela permettrait d’établir, petit à petit, la chaîne de provenance des œuvres d’un artiste. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, le professeur François-Marc Gagnon mentionnait que pour que le catalogue soit « raisonné », il devait inclure des éléments de provenance. Avec ce que nous venons de voir, les registres distribués pourraient vraisemblablement accomplir cette fonction. Cette technologie pourrait d’autant plus propager la création et l’usage de tels ouvrages, en raison de leur accessibilité et leur potentiel de rejoindre beaucoup plus d’individus. Les créateurs du catalogue raisonné pourraient même être rémunérés grâce aux contrats intelligents sur le registre distribué par des micropaiements à chaque fois que le catalogue est consulté par différentes institutions, ce qui pourrait encourager leur production à travers le monde.203

Les papiers de provenance d’un objet d’art pourraient aussi être ancrés dans un registre distribué. Comme nous l’avons vu, la norme prévoit qu’il est indispensable de fournir des documents de provenance lors de la vente d’une œuvre de grande valeur. Or, il est fréquent que ces documents aient pu être contrefaits, forgés, ou simplement détruits ou égarés. Un registre distribué pourrait donc être employé pour stocker ces documents de manière à les protéger contre les aléas du temps. Puisqu’il n’existe aucune norme relative à ces documents particuliers non plus, l’utilisation de registres distribués peut sembler profitable. Effectivement, la combinaison avec les contrats intelligents pourrait permettre de tracer l’historique de provenance complet d’une œuvre en ordre chronologique, de même que la durée de possession et la méthode de transfert de l’œuvre. D’un côté, cela pourrait faciliter

203 France Stratégie, supra note 14 aux pp 8‑11; Faroz Masood et Arman Rasool Faridi, « An Overview of Distributed Ledger Technology and its Applications » (2018) 6:10 International Journal of Computer Sciences and Engineering (JCSE) 422‑427, en ligne : International Journal of Computer Sciences and Engineering (JCSE)

<https://www.researchgate.net/publication/330139945_An_Overview_of_Distributed_Ledger_Technology_a nd_its_Applications>.

la preuve de l’authenticité, et d’un autre, la transparence sur le marché serait automatiquement plus élevée.

Enfin, la publication des résultats des ventes, des approximations de la valeur des œuvres, et des historiques de ventes d’un objet d’art sur un registre distribué aurait le potentiel de préserver la transparence dans l’industrie, sans toutefois nécessairement dévoiler l’identité des acheteurs et vendeurs. Un suivi de l’augmentation ou de la dépréciation de la valeur d’une œuvre à travers le temps pourrait être profitable à tout acheteur potentiel qui ne souhaite pas passer par l’entremise d’un intermédiaire. L’indication des informations concernant la valeur marchande de l’œuvre dans un même registre permettrait à l’acheteur potentiel de faire des comparaisons et d’évaluer tous les risques reliés à la transaction. En somme, l’accessibilité à de telles informations par tous et en tout temps viendrait rétablir l’équilibre fragile qui règne dans cette industrie opaque. Les nouveaux investisseurs et collectionneurs seraient donc maintenant inclus et auraient une chance de participer, même s’ils ne possèdent pas toutes les connaissances nécessaires. D’un autre angle, les marchands d’arts pourraient être rassurés du fait qu’il n’est pas nécessaire de divulguer toutes leurs informations personnelles sur le registre distribué : la publication du prix de vente pourrait être suffisante, sans plus. Ainsi, le nom du marchand d’art pourrait demeurer confidentiel.

Éventuellement, tous ces différents registres pourraient être combinés pour devenir un « registre global des objets d’art, qui serait un registre des titres de propriété ».204 En résumé,

les registres distribués possèdent les mêmes caractéristiques que la chaîne de blocs. Les données qui y sont ancrées sont donc immuables et inaltérables : théoriquement, toute information stockée et enregistrée sur la chaîne de blocs dans un registre distribué ne peut être modifiée. Cette caractéristique protège en quelque sorte le marché de l’art contre la fraude, la contrefaçon et la forgerie, mais elle est à la fois un désavantage pour le marché de l’art, car elle nuit à sa flexibilité. Enfin, outre les usages permis par les registres distribués, il est également possible de concevoir l’utilisation d’un processus connu sous le nom de « tokénisation » dans le monde de la chaîne de blocs. Nous verrons donc maintenant les effets potentiels d’un tel usage auprès du marché de l’art.

1.2. La création de « ressources numériques rares » pour renforcer le caractère