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PARTIE 2 – NOUVEAU PARADIGME POUR LE MARCHÉ DE L’ART : SA

3. Les limites à l’utilisation de la chaîne de blocs au sein du marché de l’art : une

3.1. Les défis d’ordre technologique

Nous allons dès lors aborder les enjeux d’ordre technologique de l’utilisation de la chaîne de blocs au sein du marché de l’art. D’une part, il faut considérer le caractère global du marché en perspective avec le potentiel d’évolutivité de la technologie. D’autre part, alors que la chaîne de blocs a pour caractéristique principale d'être inviolable, cela en fait aussi

257 Géraldine Goffraux-Callebaut et Alice Barbet-Massin, supra note 15. 258 Institut de gouvernance numérique, supra note 174 à la p 21.

une technologie très peu flexible. Nous terminerons en évaluant le coût environnemental et monétaire de la chaîne de blocs, qui rend son futur plutôt incertain pour l’instant.

3.1.1. Le caractère global du marché de l’art et la question de l’évolutivité de la chaîne de blocs

L’efficacité d’une technologie telle que la chaîne de blocs au sein d’une industrie nécessite forcément son adoption par l’entièreté des intervenants. Toutefois, cette prémisse comporte deux limites. D’une part, comme nous avons pu le constater dans la première partie de ce mémoire, le marché de l’art est complexe et fragmenté à travers le monde entier, ce qui rend difficile un consensus global sur l’adoption d’une technologie aussi nouvelle et incertaine. Son implication dépendra donc certainement de la mesure dans laquelle les utilisateurs seront disposés à partager de l’information avec l’ensemble de l’industrie et des pressions ressenties. Si les utilisateurs embrassent la numérisation et que la majorité d’entre eux normalisent le fait de stocker des données de façon numérique, alors « [l]a conversion se fera, inévitablement, mais demandera un certain temps ».260 D’autre part, il faut se

questionner sur la capacité de la chaîne de blocs de s’adapter pour « […] passer d’un usage restreint à un usage de masse »261 et de supporter un « changement d’échelle en cas de

diffusion massive ».262 C’est ce qu’on appelle communément « l’extensibilité » ou

« l’évolutivité ». L’évolutivité d’une technologie comme la chaîne de blocs représente un défi de taille en matière de traitement des transactions, dont le volume grandit exponentiellement à vue d’œil, et correspond aussi à sa capacité d’adaptation de gouvernance au fil du temps. Pour le moment, il demeure que les solutions proposées sont relativement lentes : alors que les opérateurs tels que Visa ou Mastercard traitent un nombre élevé de transactions par seconde, ce n’est pas le cas pour la chaîne de blocs.263

260 Institut de gouvernance numérique, supra note 174 à la p 21. 261 Ibid.

262 France Stratégie, supra note 14 à la p 10.

3.1.2. La nécessité de pouvoir modifier la chaîne de blocs et son manque de flexibilité : incidences du choix du protocole de consensus

Nous avons pu constater que l’une des caractéristiques principales de la chaîne de blocs est qu’elle est infalsifiable et immuable. Nul ne peut alors corrompre le réseau sans l’accord d’au moins 51% des participants, ce qui en fait une technologie très sécuritaire. Toutefois, d’un autre côté, cette caractéristique en fait également une technologie très peu flexible, c’est-à-dire qu’il est pratiquement impossible de corriger une erreur une fois que l’information est ancrée dans la chaîne. Pourtant, les risques d’erreurs sur le marché de l’art sont élevés : « qu’il s’agisse d’une erreur de bonne foi ou d’une fausse déclaration, ou que la personne qui a enregistré un document particulier en soit réellement l’auteur ».264 Dans une

telle situation, ou bien si le marché en venait à changer l’attribution d’une œuvre à un certain artiste avec le temps, il pourrait être laborieux d’effectuer les modifications nécessaires sur la chaîne de blocs, ce qui pourrait dégrader le niveau de confiance qu’on lui accorde. En effet, dans le cas d’une chaîne de blocs publique, « le réseau est ouvert à tous et lisible par tous » et « les opérations réalisées […] ne peuvent être ni stoppés, ni contestés, ni contrôlés par un tiers ».265 Puisqu’il n’y a pas d’entités de contrôle des informations qui circulent sur une

chaîne de blocs sans permission (publique), il peut s’avérer complexe de « rendre une entité particulière responsable de la véracité des données inscrites et de la correction des erreurs ».266

Toutefois, de nouvelles normes pourraient potentiellement permettre de modifier les jetons non fongibles. Par exemple, la norme ERC-998267 de jetons composables permet une

extension de la norme ERC-721 en rendant possible la combinaison de plusieurs jetons en un seul. En l’occurrence, cela pourrait vraisemblablement permettre la modification d’informations relatives à une œuvre d’art sur la chaîne de blocs. Par exemple, il serait possible d’ajouter de nouveaux certificats d’authenticité ou de provenance à une œuvre,

264 Érika Bergeron-Drolet et Brian John Capogrosso, « Introduction au blockchain pour les avocats en propriété intellectuelle » (2017) 437:195 Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle 31.

265 Mustapha Mekki, « Les mystères de la blockchain » 2017:2160 Dalloz 2160‑2169. 266 Érika Bergeron-Drolet et Brian John Capogrosso, supra note 264.

267 « EIP 998: ERC-998 Composable Non-Fungible Token Standard », en ligne : Ethereum Improvement Proposals <https://eips.ethereum.org/EIPS/eip-998> (consulté le 17 juillet 2020).

chacun d’eux étant un jeton de la norme ERC-721, à un registre.268 Lors du transfert de

l’œuvre à autrui, la norme ERC-998 permettrait de relier tous ces jetons en un seul afin de permettre une vue d’ensemble des modifications ayant eu lieu depuis que l’œuvre se retrouve sur la chaîne de blocs. L’immuabilité de chacun de ces certificats serait garantie du fait de l’horodatage. Ainsi, il est possible pour les parties de savoir lequel a été ajouté en premier, et donc lequel est véridique actuellement.

De plus, remarquons que l’utilisation d’une chaîne de blocs privée pourrait venir faciliter cette situation, puisqu’on y réintroduit une certaine forme de centralisation. De ce fait, « [l]e réseau est fermé et des filtres sont imposés à l’entrée. Un tiers gérant existe et peut modifier à tout moment le protocole ».269 Définitivement, le choix du protocole de consensus aura un

impact déterminant sur l’évolution de la chaîne de blocs dans le marché de l’art, car c’est ce qui déterminera « [q]ui a accès à la blockchain, qui définit les modalités d’un ajout sur la chaîne, comment décider d’une évolution du protocole […] ».270 Il en ressort qu’une chaîne

de blocs privée serait plus sécuritaire pour le marché de l’art, mais cela viendrait fondamentalement miner les efforts de décentralisation tout en accentuant les enjeux de gouvernance.

En outre, il faut remarquer qu’en cas d’erreur causée par l’application de la chaîne de blocs ou d’un intermédiaire sur la chaîne, ou advenant le cas que l’opération à la base était illégale (par exemple la vente d’une œuvre volée), il n’y a rien jusqu’à maintenant qui interdit aux parties concernées de s’adresser aux tribunaux pour faire annuler les effets indésirables. En effet, il demeure que le juge « […] est libre de prononcer l’effacement des effets de l’exécution du smart contract illicite et la restitution des prestations payées à tort ».271 En

réalité, il est vrai de dire que la chaîne de blocs manque de flexibilité – et d’ailleurs c’est ce

268 Ramy Zhang, « Gamifying Crypto Assets with the ERC998 Composables Token Standard » (8 août 2019), en ligne : Kauri.io </gamifying-crypto-assets-with-the-erc998-

composable/436178ce670d4a9e9ffbd9cb7a8476fd/a> (consulté le 23 juillet 2020). 269 Mustapha Mekki, supra note 265.

270 France Stratégie, supra note 14 à la p 10.

271 Garance Cattalano, « Smart contracts et droit des contrats » (2019) 2019:321 AJ Contrats, Dalloz, en ligne : AJ Contrats, Dalloz <https://www-dalloz-fr.proxy.scd.u-

qui fait qu’elle est inviolable – mais cela n’est pas vrai en dehors de la chaîne de blocs. Voici ce qui est proposé par la professeure Garance Cattalano :

On pourrait dès lors suggérer aux parties de prévoir une clef de permanence pour déclencher le smart contract. Ainsi, si un juge censure la mise en oeuvre du smart

contrat, il suffira aux parties de supprimer la clef de permanence pour empêcher

l'exécution du smart contract et respecter la décision du juge.272

3.1.3. Les opérations irremplaçables et le coût environnemental et monétaire de la chaîne de blocs : un futur incertain

En imaginant un futur combinant la chaîne de blocs et le marché de l’art, il faut tenir compte des coûts qui seront engendrés. Les opérations que nous avons dégagées en lien avec le fonctionnement de la chaîne de blocs, soit la vérification, la validation et la cryptographie, sont réputées pour être hautement énergivores, notamment en raison du minage. Toutefois, de nouvelles méthodes de consensus, tel que le « Proof of Stake » permettent de réduire cette consommation d’énergie. Selon Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum, le passage vers cette nouvelle méthode de consensus réduira de plus de cent fois l’énergie consommée par transaction.273

D’un autre côté, la rémunération des mineurs est établie en fonction de l’offre et de la demande.274 De ce fait, il n’existe aucune certitude quant au coût de l’utilisation de la chaîne

de blocs pour le futur. À l’heure actuelle, les frais de transactions sur le réseau Ethereum n’ont jamais été aussi élevés depuis les deux dernières années.275 Cette situation est

effectivement attribuable à l’augmentation des activités sur le réseau. Selon Sebastian Tory-Pratt, du protocole Codex, la situation est maintenant rendue « insoutenable » et le plus grand défi pour les prochaines années sera de trouver un moyen de faire face à cette

272 Ibid.

273 Peter Fairley, « Ethereum Plans to Cut Its Absurd Energy Consumption by 99 Percent » (2 janvier 2019), en ligne : IEEE Spectrum: Technology, Engineering, and Science News

<https://spectrum.ieee.org/computing/networks/ethereum-plans-to-cut-its-absurd-energy-consumption-by-99- percent> (consulté le 24 juillet 2020).

274 Marie-Malaurie-Vignal, supra note 224.

275 Antonio Madeira, « Surge in Stablecoin and DeFi Growth Bring Ethereum Fees to 2-Year High » (24 juin 2020), en ligne : Cointelegraph <https://cointelegraph.com/news/surge-in-stablecoin-and-defi-growth-bring- ethereum-fees-to-2-year-high> (consulté le 24 juillet 2020).

situation.276 En l’occurrence, il s’avère qu’une deuxième version de la chaîne de blocs

Ethereum devrait être promulguée d’ici la fin de l’été 2020 afin de résoudre ces problèmes, notamment en migrant du mécanisme de consensus « Proof of Work » vers celui de « Proof of Stake ».277 En outre, notons que l’utilisation d’une chaîne de blocs privée pourrait aussi

permettre de stabiliser la fluctuation des coûts associés à ces opérations. Enfin, il ne faut pas oublier le « coût initial de conversion d’un système centralisé déjà en place et fonctionnel à un système décentralisé ».278 Le marché de l’art étant très centralisé, et les données étant

fragmentés auprès de milliers de différents intervenants, il pourrait être excessivement onéreux et de convertir le tout.