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Perspectives d'avenir de la chaîne de blocs au sein du marché de l'art : renouveler la confiance par la décentralisation

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Academic year: 2021

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Perspectives d'avenir de la chaîne de blocs au sein du

marché de l'art: renouveler la confiance par la

décentralisation

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Bianca Lessard

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Paris-Sud

Orsay,France

Master (M.)

(2)

Perspectives d’avenir de la chaîne de blocs au sein du marché de l’art :

renouveler la confiance par la décentralisation

Mémoire

Maîtrise en droit – avec mémoire (LL.M.) et Master 2 (M2)

Propriété intellectuelle fondamentale et technologies numériques (Cheminement bi-diplômant)

Bianca Lessard

Sous la direction de :

Charlaine Bouchard, Université Laval (Québec, Canada) Françoise Labarthe, Université Paris-Sud (Paris, France)

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Résumé

Ce mémoire vise à élucider les principaux enjeux et problématiques qui caractérisent le marché de l’art actuel pour pouvoir ensuite présenter et évaluer des pistes de solutions émanant de la technologie de chaîne de blocs.

Ce marché est effectivement aux prises avec certaines difficultés d’authenticité et d’authentification des œuvres d’art : on parle même d’une crise de l’expertise en authentification. Il est aussi question d'adversités dans l’établissement et la preuve de provenance des œuvres qui y circulent, car le marché repose sur un équilibre fragile et semble ne pas avoir su prendre le virage numérique à temps. Enfin, on relate aussi un manque de transparence dû au désir de confidentialité et de secret qui règne autant chez les marchands d’arts que chez les collectionneurs.

Le développement croissant des technologies décentralisées a permis des avancées dans plusieurs secteurs au cours des dernières années, et il appert qu’elles pourraient potentiellement agir à titre de pilier au sein du marché de l’art par leurs caractéristiques d’immuabilité, de distribution et de transparence. Nous pourrons de ce fait constater l’utilité des registres distribués, des contrats intelligents et de la tokénisation pour pallier les problématiques observées.

Il demeure toutefois que l’adoption générale de la chaîne de blocs dans un marché si séculaire n’est pas sans limites. Il conviendra alors d’étudier les obstacles que cette nouvelle technologie devra surmonter pour pouvoir garantir l’authenticité et la provenance des œuvres, de même qu’une transparence accrue sur le marché de l’art. Enfin, dans le but d’assurer une adoption équilibrée et profitable à long terme, il sera primordial de prendre compte des intérêts des divers intervenants impliqués.

(4)

Abstract

This paper aims to elucidate the main issues that characterize the current art market in order to present, assess and evaluate potential solutions stemming from blockchain technology.

This market is indeed grappling with certain difficulties of authenticity and authentication of works of art: there is even signs of a crisis of expertise. At the moment, it is also burdensome to establish the provenance of art circulating on the market for different reasons. Firstly, because the market is very fragile and second, because it seems to have failed to take advantage of technologies in time. Finally, we can witness a lack of transparency, mainly due to the desire for confidentiality and secrecy which reigns as much among art dealers as among collectors.

The increasing development of decentralized technologies has enabled progress in several industries recently, and it appears that it could offer a certain support within the art market due to their characteristics of immutability, transparency and security. We will therefore be able to see the usefulness of distributed ledgers, smart contracts and tokenization to alleviate the problems we have observed.

The fact remains, however, that the general adoption of blockchain technology in such a secular industry is not without limits It will therefore be necessary to study the challenges this new technology will have to overcome in order to guarantee the authenticity and provenance of art, as well as price transparency. Finally, in order to ensure a balanced and profitable adoption in the long term, it will be essential to take into account the interests of the various stakeholders involved.

(5)

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des sigles ... vii

Liste des abréviations ... viii

Remerciements ... ix

INTRODUCTION ... 1

PARTIE 1 – PORTRAIT HOLISTIQUE DU MARCHÉ DE L’ART : PRINCIPAUX ENJEUX DANS LA MIRE D’UNE QUÊTE DE TRANSPARENCE ... 7

1. Authenticité et acte d’authentification de l’œuvre : la pierre d’assise du marché de l’art ... 8

1.1. Sémantisme du caractère authentique de l’œuvre ... 8

1.1.1. Appréciation de l’importance du caractère authentique de l’œuvre ... 8

1.1.2. L’acte d’authentification à l’origine de l’attribution à un artiste ... 11

1.1.3. Le fragile équilibre entre l’attribution et le développement des connaissances en art ... 12

1.2. De la vocation des authentificateurs d’œuvres d’art sur le marché ... 14

1.2.1. La désignation des authentificateurs ... 14

1.2.2. La responsabilité des authentificateurs ... 15

1.2.3. Les instruments d’interprétation et de qualification de l’oeuvre authentique . ... 17

1.3. La nécessité de l’expertise en authentification : un domaine en crise ... 21

2. Esquisses de la provenance de l’œuvre d’art : un concept abstrait, mais essentiel ... 25

2.1. Les contours de la notion de provenance ... 25

2.1.1. Définition de la provenance de l’objet d’art et perceptions ... 25

2.1.2. Le difficile exercice de recherche de provenance d’un objet d’art ... 26

2.2. L’insuffisance ressentie en matière d’accès à l’information : une problématique de coordination ? ... 29

2.2.1. La provenance complète : une exception à la règle ... 29

2.2.2. Les obstacles à l’obtention d’une provenance complète et vérifiable ... 30

(6)

3. L’exercice de détermination de la valeur de l’art et du sens de son prix : enjeux de

transparence ... 35

3.1. Spécificités du marché de l’art dans la justification de la valeur et des prix ... 35

3.1.1. Une prérogative centrée sur un faux sentiment de confiance ... 35

3.1.2. Un aperçu des critères de fixation du prix d’un objet d’art ... 37

3.1.3. Derrière le prix de l’art : sa valeur ... 38

3.2. Enjeux de transparence : risques et accessibilité à l’information ... 39

3.2.1. Une opacité caractérisée par les réticences du marché lui-même ... 39

3.2.2. Les conséquences d’une transparence excessive sur le marché de l’art ... 42

3.3. Le paradoxe d’une régulation autosuffisante pour le marché de l’art ... 43

PARTIE 2 – NOUVEAU PARADIGME POUR LE MARCHÉ DE L’ART : SA CONJUGAISON AVEC LA TECHNOLOGIE DE CHAÎNE DE BLOCS ... 47

1. Usages possibles de la chaîne de blocs en réplique aux tribulations du marché de l’art ... 49

1.1. Revigorer la confiance par l’utilisation de registres distribués ... 50

1.1.1. La définition du registre distribué ... 50

1.1.2. Les particularités de fonctionnement du registre distribué ... 51

1.1.3. L’intérêt de la technologie de registres distribués à l’échelle mondiale ... 53

1.1.4. Les atouts de la technologie de registres distribués pour le marché de l’art ... ... 54

1.2. La création de « ressources numériques rares » pour renforcer le caractère authentique de l’œuvre ... 60

1.2.1. Apprivoiser la « tokénisation » : un jeton à la fois ... 60

1.2.2. Le jeton non fongible : spécificités d’attribution du droit de propriété digital ... 61

1.2.3. Triptyque des usages possibles de la tokénisation pour le marché de l’art 64 2. Aperçu des différentes initiatives faisant usage de la chaîne de blocs au sein du marché de l’art ... 66

2.1. La chaîne de blocs et sa capacité de stockage d’informations : enregistrement digital de la titularité d’œuvres d’art et de leur provenance ... 66

2.2. L’application de la chaîne de blocs pour partager la propriété d’œuvres d’art .. 70

2.3. La chaîne de blocs et sa capacité à concevoir des actifs rares : tokénisation d’actifs ... 71

3. Les limites à l’utilisation de la chaîne de blocs au sein du marché de l’art : une technologie disruptive dans un marché hyperfragmenté ... 75

(7)

3.1.1. Le caractère global du marché de l’art et la question de l’évolutivité de la

chaîne de blocs ... 76

3.1.2. La nécessité de pouvoir modifier la chaîne de blocs et son manque de flexibilité : incidences du choix du protocole de consensus ... 77

3.1.3. Les opérations irremplaçables et le coût environnemental et monétaire de la chaîne de blocs : un futur incertain ... 79

3.2. Les défis techniques d’opération de la chaîne de blocs ... 80

3.2.1. La décentralisation proposée et le règlement des différends : nécessité d’un intermédiaire responsable en cas de litige ... 80

3.2.2. La numérisation d’un titre sur la chaîne de blocs et son difficile rattachement à l’œuvre matérielle ... 82

3.2.3. La transparence proposée et le désir de confidentialité chez l’acheteur et l’artiste : appréciation du potentiel de la chaîne de blocs privée ... 84

3.3. Les défis de nature juridique pour la chaîne de blocs ... 85

3.3.1. La théorie de décentralisation et le défaut d’encadrement juridique ... 86

3.3.2. Le risque de fraude et de collusion : une technologie inviolable, mais pas infaillible ... 87

3.3.3. Le débat sur la qualification des contrats intelligents et le droit des contrats . ... 88 CONCLUSION ... 94 BIBLIOGRAPHIE ... 97 Annexe A – Entrevue 1 ... 109 Annexe B – Entrevue 2 ... 112 Annexe C – Entrevue 3 ... 113 Annexe D – Entrevue 4 ... 116

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Liste des sigles

CCEEBC Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels

CcQ Code civil du Québec

Codes QR Quick Response Codes

EIP Ethereum Improvement Proposals ERC Ethereum Request for Comments MBAM Musée des beaux-arts de Montréal

MET Metropolitan Museum of Art

OQLF Office québécois de la langue française Puces RFID Radio-frequency identification tags

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Liste des abréviations

Aff. Affaire Al. Alinéa Art Article c Contre Coll. Collection D. Recueil Dalloz

Dir. Sous la direction de

Éd. Édition

Fasc. Fascicule

Ibid Même endroit

Idem Même élément

Infra Ci-dessous

p Page

Supra Ci-dessus

v Versus

(10)

Remerciements

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à ma mère pour toujours m’avoir encouragé à poursuivre mes ambitions et pour son amour inconditionnel, qui m’a permis de m’épanouir autant dans le monde des arts que du droit et des technologies.

J’adresse en outre mes sincères remerciements à madame Alexandra Bensamoun, directrice du programme, pour l’opportunité qu’elle nous a donné de faire partie de cette cohorte d’exception.

J’aimerais également remercier mesdames Françoise Labarthe et Charlaine Bouchard pour avoir co-dirigé l’écriture de ce mémoire, et tous les autres professeurs du programme pour leur dévouement.

Enfin, mes remerciements s’étendent à Yannick pour son précieux soutien, sa patience et sa confiance en moi tout au long de ce cheminement. Ses connaissances et ses réflexions, de même que le temps qu’il a consacré à la relecture de mon mémoire, auront été une source d’inspiration dans les périodes plus difficiles.

(11)

INTRODUCTION

Auguste Rodin disait « [l]’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre ». L’art, à travers les siècles, a effectivement permis à l’homme d’exprimer son histoire, ses émotions, ses désarrois, sa créativité. Aujourd’hui, l’art représente aussi un marché hautement profitable, avec plus de 64 milliards de dollars en ventes l’an dernier.1 L’essence

de l’art a souvent été remise en question, d’abord par l’arrivée de l’art abstrait, ensuite par l’Urinoir de Duchamp et la Boîte Brillo d’Andy Wharhol.2

L’art, en soi, est une notion destinée à varier en fonction de son objet, d’une part, et de son sujet, d’autre part. Elle n’aura pas la même signification pour tout un chacun, et cela serait même bien difficile, puisqu’il n’y a pas d’entente générale à savoir ce qu’est véritablement une œuvre d’art. En effet, il n’y a pas de « concept commun de l’art qui soit accepté par la communauté de spécialistes »3. D’un point de vue extérieur, les fondements du marché de

l’art peuvent donc paraître impénétrables pour le commun des mortels. Cela dit, nous allons préciser ce que nous entendons par « marché de l’art », puisqu’il est effectivement caractérisé comme étant occulte et ésotérique.4 D’ores et déjà, certains considèrent qu’il est composé de

deux segments distincts : un marché primaire et un marché secondaire. Le marché primaire comprendrait les galeries d’art, qui agissent en quelque sorte à titre d’agents d’artistes et qui conservent pour cette raison un pourcentage du profit des ventes effectuées. Dans certains cas, ce pourcentage peut s’élever à plus de 50% pour les galeries très prestigieuses.5 Le

marché secondaire désignerait quant à lui les œuvres qui sont vendues aux enchères, à un musée ou à une galerie par un collectionneur ou investisseur. Toutefois, force est de constater que le marché de l’art ne s’en tient pas seulement à un marché primaire et un marché

1 Art Basel et UBS, The Art Martket 2020, Suisse, 2020, en ligne :

<https://d2u3kfwd92fzu7.cloudfront.net/The_Art_Market_2020-1.pdf>.

2 Gerhard Seel et Nicole G Albert, « L’art dans l’histoire et l’art du futur » (2011) n° 233-234:1 Diogene 226‑240, en ligne : Diogene <https://www.cairn.info/revue-diogene-2011-1-page-226.htm>.

3 Jacques Kerchache et al, L’art africain, Paris, Citadelles et Mazenod, 2008 à la p 26, en ligne : <https://library.dctabudhabi.ae/sirsi/detail/1257841> (consulté le 24 juillet 2020).

4 Patrimoine canadien - Département Marché créatif et innovation, Revue de littérature à propos du marché de

l’art au Canada et les conditions socio-économiques du marché des arts visuels, Canada, 2018, en ligne :

<https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/publications-politique-droit-auteur/revue-litterature-marche-arts-visuels.html>.

(12)

secondaire, mais plutôt à une multitude de marchés « propres à chaque genre de pratique artistique ou à chaque localité (lorsque la question est observée dans une perspective internationale) ».6 Selon les études de la sociologue Raymonde Moulin, une pionnière sur les

questions du marché de l’art, celui-ci se divise plutôt en trois marchés principaux : le marché des « chromos », le marché des œuvres classées et le marché des œuvres contemporaines.7

Le premier marché comprend des œuvres qui ont été façonnées à la chaîne, sans véritable intention artistique, mais plutôt pour répondre à la demande des consommateurs. C’est un marché qui bénéficie d’un public large, où les œuvres sont distribuées dans des magasins de grande surface ou d’articles de décoration. Le second marché, celui des œuvres classées, englobe quant à lui des œuvres de valeurs sûres pour lesquelles il s’est fondé des connaissances rigides à travers l’histoire et la documentation de l’art. C’est un marché beaucoup moins accessible, où le public est restreint. Finalement, le troisième marché, celui des œuvres contemporaines, inclut des œuvres où l’offre est certes plus fluide, mais pour lesquelles « le public est étroit et les acteurs en faisant la distribution et la légitimation, c'est-à-dire acceptant les œuvres dans ces marchés, sont peu nombreux ».8

Pour les fins de ce mémoire, nous ne traiterons pas des œuvres issues du premier marché, celui des « chromos », mais seulement du marché des œuvres classées et du marché des œuvres contemporaines. Également, nous aborderons quelques questions concernant l’art numérique, qui suscite bien de l'intérêt en raison de sa capacité à faciliter l’intégration de la chaîne de blocs par sa nature dématérialisée.9

Enfin, quoique l’on puisse s’attarder à qualifier le marché de l’art beaucoup plus longuement, il ne fait pas de doute que malgré sa complexité, celui-ci continue de prospérer de façon indépendante, malgré les différents bouleversements économiques, sociaux et technologiques qui affectent notre société ou la définition qu’on lui accorde. Cependant, il est indéniable que son équilibre repose majoritairement sur certains facteurs, dont l’authenticité des pièces qui y circulent, la capacité d’établir leur provenance avec certitude

6 Ibid.

7 Raymonde Moulin, L’artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 2009.

8 Françoise Benhamou, L’ économie de la culture, 7e éd., coll Repères Culture et communication, n°192, Paris, La Découverte, 2011 à la p 43.

9 Hiscox et ArtTactic, Hiscox Online Art Trade Report 2019, Royaume-Uni, 2019 à la p 24, en ligne : <https://www.hiscox.co.uk/online-art-trade-report>.

(13)

ainsi que la transparence ressentie quant aux prix et à la détermination de la valeur des objets. Le marché de l’art est bien entendu aux prises avec de nombreuses autres problématiques toutes aussi importantes et qu’il aurait été intéressant d’explorer pour les fins de ce mémoire. Cependant, nous avons concentré les recherches sur ces trois enjeux principaux, car ce sont ceux pour lesquels la chaîne de blocs a le potentiel d’apporter des changements. En effet, il appert que les utilisations les plus pertinentes de la chaîne de blocs dans le marché de l’art actuel sont le contrôle de la provenance et l’enregistrement de la propriété selon un rapport datant de 2019.10 Il en ressort que la moitié des intervenants ayant été interrogés considèrent

que l’apport le plus probant de la chaîne de blocs pour l’avenir sera effectivement la mise en place d’un registre de titres de propriété.

Le marché de l’art est donc aux prises avec ces trois différents enjeux, qui bousculent son équilibre et le fragilisent face à plusieurs menaces. Nous allons constater que l’authenticité, la provenance et l’évaluation de la valeur d’une pièce ont une importance fondamentale pour le marché de l’art, mais que ces trois concepts représentent également des obstacles à la stabilité du marché. Ces trois faiblesses sont souvent attribuables au manque de coordination existant entre les acteurs de cette industrie fragmentée. En effet, le marché de l’art est dénué d’une ressource centrale agissant de façon indépendante et globale dans l’authentification et la traçabilité des œuvres, de même que le recensement des prix. Alors que d’autres actifs d’investissement peuvent être identifiés et authentifiés à l’aide d’un registre central ou d’une autorité centrale – pensons simplement aux véhicules de collection, aux immeubles ou aux actions sur le marché boursier – ce n’est pas le cas pour ce qui est des œuvres d’art qui circulent sur le marché et les millions de dollars que ces actifs peuvent représenter. Certes, il existe des outils qui offrent de répertorier les informations de certaines œuvres, mais ces solutions sont centralisées et nécessitent ainsi l’implication d’un intermédiaire qui s’approprie les informations.

En somme, les difficultés remarquées en ce qui a trait à l’authentification, la provenance et la transparence semblent nuire au développement du marché et surtout aux artistes, tout en limitant la participation de nouveaux investisseurs et collectionneurs.

(14)

Compte tenu de ce que nous venons d’établir, nous tenterons dans ce mémoire de démystifier certains aspects spécifiques de la technologie de chaîne de blocs et les pistes de solutions qu’elle offre pour le marché de l’art en son état actuel. De cette question générale de recherche découlent des questions plus spécifiques. En effet, il faudra nous questionner quant aux fondements et au fonctionnement de cette technologie pour bien comprendre les enjeux qui l’entourent. De ce fait, nous rechercherons d’abord les avantages de cette technologie pour le marché de l’art à travers les divers usages possibles. Ensuite, nous tenterons de produire une analyse des initiatives actuelles qui mettent en œuvre la chaîne de blocs au profit du marché de l’art. Enfin, nous devrons nous questionner sur les principales limites auxquelles la chaîne de blocs devra faire face pour arriver à pénétrer un marché aussi impénétrable.

Pour répondre à ces questions, il est possible d’envisager deux différentes hypothèses. Ces hypothèses nous proviennent de la technologie de chaîne de blocs, qui est aussi la technologie qui se cache derrière les cryptomonnaies telles que le bitcoin et l’ether. Cependant, c’est une technologie qui permet beaucoup plus que l’échange de monnaies virtuelles et qui a déjà provoqué un paradigme de changements dans plusieurs secteurs : « [l]es banques et les investisseurs, les startups et les grandes entreprises, et même les États, tous veulent participer à cette innovation ».11 Selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), la chaîne de

blocs est une « base de données distribuée et sécurisée, dans laquelle sont stockées chronologiquement, sous forme de blocs liés les uns aux autres, les transactions successives effectuées entre ses utilisateurs depuis sa création ».12 La cueillette des sources citées,

provenant de différents ordres juridiques variés, inclura également des entrevues permettant d’enrichir les réflexions et orienter le sujet vers une stratégie de réponse scientifique aux questions que nous avons préalablement établies.

Cela dit, son intérêt réside dans ses caractéristiques et ses usages spécifiques. La première hypothèse concerne la « tokénisation » d’actifs ou l’émission de « jetons », ce qui rend

11 Primavera De Filippi, « Introduction » dans Blockchain et cryptomonnaies, CAIRN, Repères, France, Presse Universitaire de France, 2018, 3‑5.

12 Office québécois de la langue française, 2017, sub verbo « Chaîne de blocs », en ligne : Office québécois de la langue française <http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26531717> (consulté le 21 avril 2020).

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possible la création d’actifs numériques représentant des actifs dans le monde réel. La deuxième hypothèse de ce projet de recherche consiste à analyser le potentiel des registres distribués pour assurer l’enregistrement des pièces qui circulent sur le marché de l’art, de même que les titres de propriété qui y sont associés. Le tout permettrait d’assurer la traçabilité des œuvres et de leurs propriétaires successifs de manière beaucoup plus effective et transparente. Comme nous avons constaté, les chaînes de blocs sont comparables à des bases de données. Toutefois, elles se distinguent par le fait qu’il s’agit plutôt de bases de données

décentralisées : elles ne sont pas contrôlées par une autorité centrale, mais plutôt par un

réseau en pair-à-pair d’ordinateurs, qui constituent les « nœuds » de la chaîne. De ce fait, les informations contenues sur le réseau sont accessibles à tous, contrairement aux systèmes traditionnels, où les informations sont contrôlées par des autorités centralisées.13

La considération de ces hypothèses nécessitera certainement d’évaluer les limites et obstacles auxquels se heurte la technologie de chaîne de blocs. En effet, il est indéniable que « la

blockchain n'a pas atteint sa maturité et les écueils sur sa route ne manquent pas, même si le

nombre impressionnant de projets dans le monde entier laisse penser que les obstacles seront un jour levés ».14 Il appert que les avantages proposés par son utilisation pourraient

potentiellement entrer en conflit avec les attentes et la volonté des acteurs du marché de l’art. L’objectif principal de ce projet de recherche est de découvrir des solutions viables pour l’intégration de la chaîne de blocs dans le milieu du marché de l’art, et d’assurer que ces solutions soient équilibrées pour toutes les parties impliquées, soit les artistes autant que les marchands d’art et les investisseurs. Il sera alors nécessaire de réfléchir sur l’application de cette technologie à long terme afin d’éviter de freiner son développement par un encadrement trop restreignant. Ce projet de recherche s’inscrit dans un contexte où les technologies disruptives ne cessent de se développer et où la contrefaçon est à son pic. Il a donc à la fois une pertinence sociale ainsi qu’une pertinence scientifique. L’intérêt du projet se traduit aussi par la contribution significative qu’il peut arborer dans l’écosystème francophone et

13 Reggie O’Shields, « Smart Contracts: Legal Agreements for the Blockchain » (2017) 21 NC Banking Inst 177‑194 à la p 177.

14 France Stratégie, Les enjeux des blockchains, France, 2018 à la p 5, en ligne :

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québécois de la chaîne de blocs, qui est très peu développé. Il sera établi que les artistes pourraient bénéficier d’une meilleure protection contre la contrefaçon grâce aux technologies émergentes qui seront présentées, mais que les autres acteurs de l’industrie pourraient également en bénéficier, notamment les investisseurs et collectionneurs, de même que les entreprises et plateformes de vente d’œuvres d’art. De ce fait, l’apport pour le milieu du marché de l’art québécois et international sera définitif, puisqu’il existe très peu de littérature concernant à la fois le marché de l’art et la chaîne de blocs.

La démonstration de ce projet de recherche se fera en deux grandes parties pour illustrer les implications de l’usage de la technologie de chaîne de blocs au sein du marché de l’art. La première partie vise à présenter les enjeux observés sur le marché de l’art et elle se divise en trois chapitres. Le premier chapitre permet de comprendre la place de l’authenticité dans l’histoire de l’art et le marché de l’art, de même que les enjeux qui y sont associés actuellement. Le deuxième consiste à exposer les difficultés en matière de détermination de la provenance d’œuvres ainsi que les conséquences de telles complications. Enfin, le troisième chapitre traite des processus de détermination de la valeur des œuvres d’art et de l’impact de ces processus sur la transparence ressentie sur le marché. La deuxième partie de ce mémoire met en lumière l’intérêt de la chaîne de blocs et les effets potentiels de son adoption au sein du marché de l’art. Cette deuxième partie comporte aussi trois chapitres distincts. Il s’agira d’abord dans le premier chapitre de traiter des usages possibles et potentiels de cette technologie précisément dans le marché de l’art, soit la « tokénisation » et les registres distribués. Le deuxième chapitre est une analyse critique des différentes initiatives dans ce domaine qui permettra d’évaluer le potentiel de la technologie plus concrètement. Enfin, le dernier chapitre fera l’évaluation des limites et des obstacles reliés à l’implantation de cette technologie dans un marché aussi opaque et fragmenté.

(17)

PARTIE 1 – PORTRAIT HOLISTIQUE DU MARCHÉ DE L’ART :

PRINCIPAUX ENJEUX DANS LA MIRE D’UNE QUÊTE DE

TRANSPARENCE

Le marché de l’art est considéré comme étant un marché hypersegmenté15,

variant au gré des périodes et des objets qui y sont vendus. D’autant plus, il s’agit d’un marché « éclaté géographiquement », car on ne vendra pas les mêmes œuvres et objets d’art dans tous les pays. Enfin, c’est un marché très complexe qui se distingue « par une grande diversité des acheteurs (collectionneurs ou investisseurs), des intermédiaires (opérateurs de ventes volontaires, galeries, courtiers) et des médias (monde physique ou par internet) ».16

Ce contexte demande une grande sécurité des transactions et un grand niveau de confiance entre les investisseurs et collectionneurs, ce qui ne peut être assuré que par la garantie de l’authenticité et de la provenance de l’œuvre ou de l’objet d’art.17 Nous pourrons constater

que ces deux derniers critères sont intimement liées à la détermination de la valeur d’une œuvre ou d’un objet d’art.

La première partie de ce mémoire nous permettra de faire le point sur ces trois différents enjeux, soit l’authenticité, la provenance et la valeur des œuvres et objets d’art qui circulent sur ce marché complexe. Dans un premier lieu, nous explorerons les questions d’authenticité et d’authentification des objets d’art. Ces questions nous intéressent pour deux raisons principales. D’abord, pour bien comprendre les critères d’authenticité qui se rattachent à l’acte d’authentification, et ensuite, pour mieux saisir le contexte dans lequel les experts évoluent collectivement. Par la suite, nous aborderons les enjeux de provenance sur le marché de l’art. Il conviendra alors d’en déterminer les prémisses et de préciser ses différences avec le caractère authentique de l’œuvre. Nous pourrons constater les obstacles qui se font ressentir à ce sujet dans la réalité du marché de l’art. Enfin, nous terminerons ce chapitre en examinant les problèmes de transparence perçus par les différents acteurs. D’une part, ce manque de transparence existe du fait qu’il est complexe de justifier la valeur des œuvres

15 Géraldine Goffraux-Callebaut et Alice Barbet-Massin, « Blockchain et marché de l’art » (2019) 7:324 Dalloz, AJ Contrats, en ligne : Dalloz, AJ Contrats

<https://www-dalloz-fr.proxy.scd.u-psud.fr/documentation/Document?id=AJCA/CHRON/2019/0369>. 16 Ibid.

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lorsque la confiance est basée sur un faux sentiment de confiance. D’autre part, parce qu’on ressent un grand manque d’accessibilité à l’information sur ce marché. Nous verrons cependant que dans la plupart des cas, le désir de secret et de confidentialité ressenti provient du marché lui-même et de ses acteurs.

1. Authenticité et acte d’authentification de l’œuvre : la pierre d’assise du marché de l’art

L’authenticité d’une oeuvre est une question essentielle : elle déterminera non seulement sa place dans l’histoire de l’art, mais également sa valeur sur le marché18 puisque

c’est essentiellement ce critère qui « fait (ou défait) la valeur d’une œuvre ».19 Le premier

chapitre de la première partie fera état du sémantisme du caractère authentique de l’œuvre, de même que de la vocation des individus qui participent à leur authentification. Enfin, nous verrons que beaucoup de difficultés se font sentir en la matière, ce qui nous amènera à faire le constat de l’état actuel du marché de l’art.

1.1. Sémantisme du caractère authentique de l’œuvre

Le présent sous-chapitre nous permettra de visiter d’abord les critères d’appréciation de l’authenticité de l’œuvre, mais aussi l’acte d’attribution de l’oeuvre à un artiste en particulier. En définitive, nous pourrons témoigner d’un fragile équilibre entre cet acte d’attribution et le développement des connaissances en art et en histoire de l’art.

1.1.1. Appréciation de l’importance du caractère authentique de l’œuvre

Selon l’expert Nicolas Chow, œuvrant auprès de la maison d’enchère Sotheby’s, l’authenticité symbolise l’âme de l’objet.20 Certes, l’amateur de beaux-arts autant que

l’expert ne porteront jamais le même regard sur une œuvre pour laquelle un doute sur

18 François Le Moine, Esquisse d’un droit de l’art au Québec, Mémoire de maîtrise en droit, Université McGill, 2019 à la p 24.

19 Françoise Labarthe, « Dire l’authenticité d’une oeuvre d’art » (2014) 2014:1047 D.

20 Sotheby’s et Surrender Pictures, The Value of Art : Authenticity, YouTube, 20 décembre 2016, en ligne : YouTube <https://www.youtube.com/watch?v=_dxr9r0stiU&t=208s> (consulté le 18 juin 2020).

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l’authenticité a été établi. L’inverse est également vrai : dès qu’une œuvre est soudainement réattribuée à un artiste reconnu, elle est immédiatement hissée au rang des œuvres que l’on valorise. Cela porte à croire que les caractéristiques esthétiques d’une œuvre peuvent parfois avoir moins d’importance que le renom de l’artiste l’ayant produite.21

Mais pourquoi donc accorder autant d’importance à l’authenticité d’une œuvre ? Pour certains, ce désir est lié au fait qu’en se procurant une œuvre réellement authentique, il est indéniable qu’à un certain moment dans l’histoire, l’artiste était en présence de l’œuvre. Ce serait donc comme de se retrouver en présence de l’artiste que l’on admire.22 Parfois, c’est

aussi parce que l’œuvre s’est déjà retrouvée entre les mains d’un collectionneur célèbre ou d’une célébrité. Pour d’autres, l’art représente d’abord un bien d’investissement comme un autre. Puisque l’authenticité de l’œuvre dictera sa valeur, comme nous venons de le voir, son authenticité aura un caractère prépondérant pour cette catégorie d’investisseurs. Pour les autres types de collectionneurs, la simple existence d’un doute sur l’authenticité pourrait aussi tout faire basculer. En soi, l’existence et le trafic d’œuvres contrefaites ont pour effet de faire obstacle à l’intérêt porté envers le marché de l’art23. Malheureusement, comme

l’exprime l’expert Nicolas Chow, « anything that is worth something is worth being faked ».24 D’autant plus, les œuvres contrefaites constituent une partie prépondérante du

marché depuis longtemps, comme l’expliquait le directeur du Metropolitan Museum of Art (MET) à New York, il y a plus de 20 ans :

In the decade and a half that I was with the Metropolitan Museum of Art, I must have examined fifty thousand works in all fields. Fully 40 percent were either phonies or so hypocritically restored or so misattributed that they were just the same as forgeries. Since then I'm sure that percentage has risen. What few art professionals seem to want to admit is that the art world we are living in today is a new, highly active, unprincipled one of art fakery.25

21 François Le Moine, supra note 18.

22 There Are No Fakes, Documentaire produit par Jamie Kastner et Laura Baron Kastner, Canada, Cave 7 Productions, 29 avril 2019.

23 Justine Mitsuko Bonner, « Let Them Authenticate: Deterring Art Fraud » (2017) 24:1 UCLA Ent L Rev 19 à la p 20.

24 Sotheby’s et Surrender Pictures, supra note 20.

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Quoiqu’il n’existe pas de critères déterminés ou déterminants pour définir ce qu’est une œuvre authentique – puisque cela repose essentiellement sur le travail et l’interprétation d’experts – nous pouvons tout de même débuter en convenant que l’œuvre authentique sera celle qui est originale, « [d]ont l’exactitude, la vérité ne peut être contestée ».26 Cette

définition demeure toutefois théorique et la réalité du marché requiert une définition beaucoup plus explicite. Pour certains, l’œuvre authentique serait celle qui émane véritablement et effectivement de l’auteur auquel on l’attribue.27 Toutefois, cette définition

fait défaut puisqu’elle ne peut s’appliquer à certaines œuvres en particulier. Par exemple, pour un tableau, on cherchera à connaître l’auteur, mais pour un meuble, on tentera plutôt parfois de découvrir l’époque de sa création.28 On pourrait alors considérer qu’une œuvre

authentique est une œuvre « qui est véritablement de l’auteur auquel on l’attribue ou de l’époque à laquelle on le rattache »29, mais cette définition n’est pas assez générale. Dans ce

contexte, il convient de prioriser une définition abstraite de ce qui définit une œuvre authentique afin qu’elle puisse avoir une portée et une application générales sur le marché. Pour les fins de cet ouvrage, nous allons conserver la définition du professeur François Duret-Robert, spécialisé en droit de l’art, selon laquelle une œuvre est authentique « lorsqu’elle est véritablement ce qu’on prétend qu’elle est ».30 De la sorte, l’œuvre sera

authentique lorsqu’elle représente véritablement ce que l’expert, le spécialiste, le marchand d’art ou toute autre personne prétend qu’elle est. En somme, il demeure évident que la définition de l’authenticité est difficile à transmettre, car elle est variable en fonction de son objet et de l’époque.31

26 Dictionnaire Le Petit Larousse illustré 2013, Paris, Larousse, 2012, sub verbo « Authentique ».

27 François Duret-Robert, « L’authenticité des oeuvres d’art dans la pratique du marché de l’art » dans Marc-André Renold, Pierre Gabus et Jacques De Werra, dir, L’expertise et l’authentification des oeuvres d’art, coll Études de droit de l’art, n°19, Genève, Schulthess Verlag, 2007 à la p 29; Authentique, supra note 26.

28 Françoise Labarthe, supra note 19.

29 François Duret-Robert, supra note 27 à la p 29. 30 Ibid.

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1.1.2. L’acte d’authentification à l’origine de l’attribution à un artiste

Lorsque l’expert, le spécialiste ou le marchand d’art prétend qu’une œuvre est authentique, il exécute un acte d’authentification. Cet acte d’authentification correspond essentiellement à certifier, à attester ou à garantir l’origine de l’oeuvre, c’est-à-dire les questions relatives à sa parenté, à son époque et au lieu de sa création.32 D’abord, précisons

que l’authentification d’une œuvre d’art, ou la détermination de son authenticité, est un acte qui fait très souvent fi du droit, et même de la compétence des tribunaux dans certaines circonstances,33 car le métier d’expert n’est d’aucune façon règlementé.34 Comme le disait

l’auteur Swift Edgar, « […] there are exceptional circumstances relevant to art - notably the expertise required to judge authenticity - that single out art cases for special treatment ».35

Ironiquement, il est fortement recommandé et même dans la plupart des cas nécessaire de faire appel à un expert lors de l’achat d’une œuvre. Ce contexte est d’autant plus problématique du fait que les procédures d’authentification des œuvres ne sont pas uniformes, notamment en raison de la diversité des types et des styles d’œuvres qui circulent sur le marché. De plus, les méthodes d’authentifications doivent constamment être adaptées aux nouvelles formes d’art. Par exemple, la reconnaissance de l’authenticité des graffitis de Banksy est une véritable problématique contemporaine.

Pour établir l’authenticité d’une œuvre, un travail méticuleux doit d’abord être effectué par les experts et historiens de l’art, accompagnés parfois de scientifiques. Ce travail d’expertise se fonde sur plusieurs paramètres, dont l’analyse scientifique de l’œuvre, la connaissance du style et l’étude du catalogue raisonné.36 Les scientifiques disposent de méthodes variées pour

déterminer les étapes de création d’une oeuvre, telles que les rayons X, la dendrochronologie et l’analyse de pigments.37 La connaissance du style, quant à elle, détient une place

32 Ibid.

33 Samuel Butt, « Authenticity Disputes in the Art World : Why Courts Should Plead Incompetence » [2004] 28 Columbia Journal of Law & the Arts 71‑85.

34 Daniel Rockmore, Siwei Lyu et Hany Farid, « A Digital Technique for Authentication in the Arts » (2006) 8:2 International Foundation for Art Research Journal 21‑28.

35 Swift Edgar, « Standing by Your Man Ray: Troubles with Antitrust Standing in Art Authentication Cases » (2013) 37:2 247‑282 à la p 264.

36 François Le Moine, supra note 18 à la p 24; Justine Mitsuko Bonner, supra note 23 à la p 30.

37 Frédéric Elsig, « L’attribution aujourd’hui » dans Anne Laure Bandle et Frédéric Elsig, dir, Risques et périls

dans l’attribution des œuvres d’art: de la pratique des experts aux aspects juridiques, coll Études de droit de

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fondamentale dans l’autorité de l’expertise. En effet, il est établi qu’un expert ne peut être expert et connaisseur de tous les artistes.38 Normalement, un expert aura développé une

expertise auprès d’un artiste en particulier, et pour un seul type d’œuvre. Il est peu commun pour un expert d’offrir des services dans plus d’une discipline artistique de la main d’un même artiste. Par exemple, un expert spécialisé dans les peintures de Picasso ne se prononcera normalement pas sur les sculptures de Picasso également. Ses connaissances ne seront donc valables que dans des limites prescrites39. Il faut d’ailleurs considérer la nuance

entre l’expert et l’évaluateur en ce sens. Un évaluateur pourrait de toute évidence faire l’évaluation de la valeur des œuvres de divers artistes et styles, contrairement à l’expert, puisque les connaissances de l’évaluateur concernent le marché de l’art de façon générale, dans une portée économique.

1.1.3. Le fragile équilibre entre l’attribution et le développement des connaissances en art

Il convient de noter que les spécialistes en art utilisent un vocabulaire et une typologie distinctive pour établir les différents degrés d’attribution,40 qui découlent du Décret

n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection41. De ce fait, lorsqu’on utilise l’expression « œuvre de », on

signifie qu’il n’existe aucun doute par rapport à l’authenticité de l’œuvre dont il est question. C’est une affirmation d’attribution avec une grande certitude. Le terme « attribué à » prévoit plutôt que l’on présume que l’œuvre est d’un tel artiste, puisqu’il s’agit d’une œuvre contemporaine à celui-ci. Dans un tel cas, il n’existe pas de certitude quant à son attribution, mais il y a de fortes chances que celle-ci soit juste. L’œuvre qui est « de l’atelier de » indique qu’elle a été réalisée sous la supervision de l’artiste, dans son atelier. Il existe donc un degré de proximité considérable avec l’artiste dont il est question. L’œuvre « du cercle de » signifie qu’elle a été réalisée par un artiste qui travaillait en collaboration avec l’artiste identifié, mais

38 François Le Moine, supra note 18 à la p 25.

39 Pierre Rosenberg, « À propos de Poussin » dans Anne Laure Bandle et Frédéric Elsig, dir, Risques et périls

dans l’attribution des oeuvres d’art : de la pratique des experts aux aspects juridiques, coll Études de droit de

l’art, n°27, Genève, Schulthess Verlag, 2018 à la p 3. 40 François Duret-Robert, supra note 27.

41 République française, Décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de

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dont on ne connaît pas l’identité. La formule « maître de » est utilisée lorsque l’on peut rattacher l’œuvre à d’autres œuvres, mais qu’on ne connaît pas l’identité du créateur de celle-ci. La locution « de l’école de » est employée lorsque l’on détient peu de connaissances sur l’œuvre, mais plutôt sur sa place dans l’histoire de l’art. On qualifiera ainsi l’œuvre selon son école, par exemple « école flamande », ce qui entraîne beaucoup d’incertitude. Enfin, les locutions « dans le goût de », « d’après » ou « à la manière de » sont les qualificatifs d’œuvres les moins certains. Ils n’offrent que très peu de garanties, voire aucune, puisqu’ils ne font que décrire l’œuvre par rapport à un artiste identifié, sans plus. On utilise généralement ces termes lorsque l’on ne possède pas assez d’éléments concrets d’attribution.

On constate ainsi que l’acte d’authentification d’une œuvre repose sur un travail hasardeux d’experts ayant des connaissances approfondies et particulières, non pas seulement en art, mais également sur l’artiste et le genre d’œuvre dont il est question.42 Toutefois, ces

connaissances sur lesquelles repose l’authentification de l’œuvre évoluent avec le passage du temps et avec le développement de nouvelles technologies permettant de repérer les contrefaçons. De ce fait, les connaissances et les affirmations d’experts peuvent être démenties en tout temps. Jusqu’à ce qu’elles soient démenties, elles dépendent grandement d’un certain « consensus » entre les acteurs qui œuvrent au sein de ce marché. Ainsi, l’on constate que « tant l’authenticité que l’œuvre d’art sont des notions rebelles et fluctuantes ».43

Sauf pour une œuvre dont la documentation officielle remonte à sa création, il ne semble jamais y avoir de certitude absolue quant à l’authenticité :

L’obligation de résultat est impossible dans notre métier, impossible à remplir, à satisfaire. L’attribution a un caractère très subjectif en réalité. Un objet, comme un tableau, va être considéré comme une œuvre authentique, parce qu’il s’est fait un consensus autour d’elle, un consensus des historiens de l’art, des connaisseurs, mais ce consensus évolue au fil du temps. Il n’est pas permanent, et n’est en aucun cas un rocher solide sur lequel s’appuyer.44

42 Éric Turquin, « Le rôle de l’expert dans le marché des oeuvres d’art anciennes » dans Anne Laure Bandle et Frédéric Elsig, dir, Risques et périls dans l’attribution des œuvres d’art: de la pratique des experts aux aspects

juridiques, coll Études de droit de l’art, n°27, Genève, Schulthess Verlag, 2018 à la p 3.

43 Françoise Labarthe, supra note 19. 44 Éric Turquin, supra note 42 à la p 28.

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Effectivement, il est difficile d’avoir la certitude que l’œuvre qui se trouve devant nos yeux est authentique. Par exemple, une équipe d’experts a permis de déterminer que près de la moitié des œuvres qui étaient attribuées à Rembrandt au début du 20e siècle n’étaient pas

véritablement de sa main. Finalement, seulement trois-cents quelques tableaux furent conservés pour être inclus dans le catalogue conçu par les experts, après des dizaines d’années de travail.45 Aujourd’hui, le catalogue de Rembrandt est l’un des plus étoffés qui

soient.

1.2. De la vocation des authentificateurs d’œuvres d’art sur le marché

Nous avons découvert précédemment que le travail des experts en art est essentiel à l’authentification des œuvres. Pourtant, ce métier n’est aucunement règlementé.46 Ainsi,

quiconque pourrait se dire expert en art, puisqu’il n’existe pas d’autorité de contrôle à cet effet. Cela dit, nous pourrons remarquer que le marché reconnaît tout de même différentes catégories d’experts. Finalement, nous en apprendrons plus sur leurs responsabilités ainsi que les divers instruments auxquels ils peuvent avoir recours pour apprécier le caractère authentique des œuvres qui circulent sur le marché.

1.2.1. La désignation des authentificateurs

Les experts généralistes ont normalement une expertise dans un domaine large et général, par exemple la « peinture ancienne ».47 L’on retrouve souvent les experts

généralistes dans les maisons de vente aux enchères. Ils se chargent de faire l’expertise et l’estimation de la valeur des œuvres d’art avec leurs connaissances et leur expérience sur le marché de l’art, mais ils appuient régulièrement leurs dires sur l’avis d’experts spécialisés pour chaque objet.48 Les experts spécialistes, quant à eux, détiennent des compétences

45 Ernst van de Wetering, « A Corpus of Rembrandt Paintings VI » [2014] 86 Stichting Foundation et Rembrandt Research Project 523‑524.

46 François Duret-Robert, supra note 27 à la p 32. 47 Ibid.

48 Jean-Pierre Jornod, « L’expert et son rôle » dans Marc-André Renold, Pierre Gabus et Jacques De Werra, dir,

L’expertise et l’authentification des oeuvres d’art, coll Études de droit de l’art, n°19, Genève, Schulthess

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particulières concernant un ou plusieurs artistes en particulier. Grâce à leur savoir plus développé, ils jouissent normalement d’un niveau d’autorité supérieur. Ces spécialistes sont notamment des conservateurs de musée, des marchands, des enseignants, ou même des amateurs qui sont complètement passionnés par un artiste.49 Enfin, les héritiers des artistes

ou leurs proches jouent un rôle important dans l’authentification des œuvres, car ils peuvent délivrer des certificats d’authenticité et possèdent un certain pouvoir discrétionnaire. Il est également possible de rencontrer sur le marché de l’art plusieurs autres types d’experts. Certains d’entre eux œuvrent auprès de douanes ou de compagnies d’assurance; ceux-ci ne se prononcent pas nécessairement sur l’authenticité des œuvres, mais leur expérience sur les tendances du marché leur permet par exemple de fixer la valeur de certaines œuvres.50

D’autres pratiquent plutôt au sein des tribunaux ou des cours de justice ; ils détiennent des connaissances poussées quant aux règles et aux lois qui régissent le marché de l’art, sans pour autant détenir des connaissances particulières en histoire de l’art ou en authentification.51

Enfin, on ne peut ignorer l’importance des experts scientifiques, qui travaillent dans des laboratoires à l’analyse chimique et spectroscopique des œuvres. Ces analyses scientifiques permettent de découvrir, notamment, l’époque des matériaux utilisés, la valeur des pigments ou les techniques utilisées.52 En raison de l’instabilité qui règne en matière d’authentification,

plusieurs experts se rassemblent en groupes et s’associent pour pouvoir assurer une crédibilité plus fiable dans les services qu’ils offrent.53 En effet, l’expertise d’une œuvre

dépend bien souvent du travail de différents intermédiaires, et non pas un seul. Certains croient qu’il s’agit là de la solution pour « […] éviter toute forme d’hégémonie »54 et réduire

le risque d’erreur.

1.2.2. La responsabilité des authentificateurs

Tous ces experts, que l’on parle alors des généralistes, des spécialistes, des héritiers de l’artiste ou des groupes d’experts, engagent leur responsabilité de façon

49 François Duret-Robert, supra note 27 à la p 32. 50 Jean-Pierre Jornod, supra note 48 à la p 14. 51 Ibid.

52 Ibid. 53 Ibid.

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contractuelle envers la personne qui a réquisitionné le certificat ou la description de l’œuvre. Il est important d’ajouter que la délivrance d’un certificat d’authenticité ou la description d’œuvres d’art des catalogues de vente sont des activités qui engagent la responsabilité de l’expert, peu importe le contexte de ses activités.55 Selon la norme, quiconque affirme

l’authenticité d’une œuvre peut se voir responsable sur cette seule affirmation. En effet, puisque ce métier n’est pas règlementé, celui qui certifie une œuvre sans réserve, même s’il ne se prétend pas expert, engage sa responsabilité.56 Par exemple, dans une affaire de la Cour

d’appel de Paris, un historien en art avait tenté de se défendre sous le prétexte qu’il n’était pas expert alors qu’une œuvre qu’il avait authentifiée se trouvait à être un faux. Selon la Cour, puisqu’il n’existe aucune règlementation sur ce métier, il n’aurait pas dû s’exprimer sur l’authenticité de l’œuvre s’il n’avait pas la compétence nécessaire pour le faire.57

Dans ce contexte, l’expert a aussi des responsabilités. En droit des obligations, l’obligation de résultat prévoit que la personne doit fournir un résultat précis, déterminé à l’avance.58

L’obligation de moyens, quant à elle, implique que l’individu « mettra en œuvre tous les moyens dont il peut disposer pour parvenir à ce résultat ».59 De ce fait, l’obligation de moyen

est beaucoup moins rigide, car elle n’entraîne pas l’obligation de garantir quelconque résultat. Le médecin, par exemple, est assujetti à une obligation de moyen, car il doit faire usage de tous les moyens disponibles, mais il ne peut être tenu responsable si un patient ne guérit pas à la suite d’un traitement prescrit. L’obligation de l’expert en art se rapproche de l’obligation de moyen, car il ne peut être tenu responsable s’il a agi avec toute la diligence possible. Toutefois, il n’a pas toujours à sa disposition tous les moyens existants pour agir, contrairement au médecin. Alors que le médecin procédera normalement sans considérer les éléments financiers dans son intervention lorsqu’il y a une urgence, l’expert se doit de respecter les demandes de celle ou celui qui lui a demandé l’expertise. Il sera souvent contraint d’utiliser les moyens que son client lui dicte afin de réduire les dépenses. Ainsi, il est établi que l’expert ne doit pas, dans le cadre de sa relation contractuelle, faire l’usage de

55 François Duret-Robert, supra note 27 à la p 33.

56 CA Paris, 1R ch, sect A, 22 mars 2005, RG n° 04-05000. 57 Ibid.

58 François Duret-Robert, supra note 27 à la p 34. 59 Ibid.

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moyens que l’on qualifie « d’inhabituels ». Les moyens habituels sont ceux qui impliquent de consulter des ouvrages de référence, de demander l’avis d’autres spécialistes qui ont une autorité sur l’œuvre dont il est question, ou de prendre tous les moyens usuels pour retrouver la provenance de l’œuvre.60 Les moyens inusuels consistent à mettre en jeu l’intégrité de

l’œuvre en essayant d’en faire l’expertise, par exemple en modifiant l’apparence de l’œuvre.61 Toutefois, si l’on revient à la responsabilité de l’expert, qui est engagée dès qu’il

affirme l’authenticité d’une œuvre sans réserve, il appert qu’il s’agirait plutôt d’une obligation de résultat.62

1.2.3. Les instruments d’interprétation et de qualification de l’oeuvre authentique

En plus de dire l’authenticité de l’œuvre, les experts en art, les historiens et les autres spécialistes peuvent aussi être appelés à participer à la conception de catalogues raisonnés ou à délivrer des certificats d’authenticité. Le mot « catalogue » provient du grec « katalogos ». En soi, un catalogue est une liste énumérative d’informations et d’explications organisées de façon méthodique.63 Le catalogue raisonné, quant à lui, est un outil

fondamental pour le marché de l’art. Il permet de répertorier les œuvres d’un artiste qui y circulent de façon ordonnée et systématique.64 La plupart du temps, la conception de cet

ouvrage survient après la mort de l’artiste.65 Il permet, entre autres, d’éviter des recherches

et des coûts considérables à l’acheteur qui souhaite acquérir une œuvre.66 Quoiqu’il soit bien

plus populaire aujourd’hui, il ne date pas d’hier : le premier ouvrage ressemblant au catalogue raisonné fut conçu en France en 1611, et le terme « catalogue » est utilisé pour la première fois en 1666, pour faire référence à une collection d’estampes du Roi.67 À partir de ce

moment, les catalogues devinrent très prisés. Toutefois, c’est seulement en 1751 que l’expression « catalogue raisonné » fut utilisée pour la première fois, pour faire référence à

60 Ibid à la p 35. 61 Ibid.

62 Ibid à la p 36.

63 Naïma Jornod, « Le catalogue raisonné » dans Marc-André Renold, Pierre Gabus et Jacques De Werra, dir,

L’expertise et l’authentification des oeuvres d’art, coll Études de droit de l’art, n°19, Genève, Schulthess

Verlag, 2007 à la p 19.

64 Marcel Huquet, « Le catalogue raisonné, outil méconnu » (1998) 42:171 Vie des Arts 46‑48 à la p 46, en ligne : Vie des Arts <https://www.erudit.org/en/journals/va/1998-v42-n171-va1136335/53208ac.pdf>. 65 Justine Mitsuko Bonner, supra note 23 à la p 32.

66 Marcel Huquet, supra note 64 à la p 46. 67 Naïma Jornod, supra note 63 à la p 19.

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la publication du Catalogue raisonné des tableaux du Roi par Bernard Lépicié.68 Enfin, c’est

à partir du 19e siècle que le terme fut adopté par le public en général. Le catalogue raisonné

désignait alors « un ouvrage présentant, en plus de l’inventaire des œuvres, des commentaires permettant une plus vaste connaissance de l’artiste et de son œuvre ».69

Aujourd’hui, ces ouvrages sont réalisés plus souvent par les proches de l’artiste que par des experts,70 car il s’agit d’un travail d’ampleur souvent non rémunéré qui peut s’étendre sur

plusieurs années, parfois des décennies. Avant d’être répertoriée dans un catalogue, chaque œuvre doit d’abord être retrouvée, puis analysée pour l’authentifier, ce qui demande énormément de temps, de patience, de persévérance et surtout des fonds.71 Cette dernière

étape est généralement remplie d’adversité : plusieurs cataloguistes témoignent effectivement des « difficultés éprouvées auprès de marchands et de collectionneurs méfiants, de maisons de ventes aux enchères ou de musées récalcitrants »,72 qui craignent

qu’il ne soit déclaré que les œuvres qu’ils détiennent sont inauthentiques. Le catalogue peut comprendre la biographie de l’artiste, une liste de ses œuvres et la description de leur état, de leur conception ou de leur historique ainsi que des photographies. La description des œuvres doit être détaillée, et elle se fait dans un style particulier, presque poétique, semblable à ceci : « harmonie brune représentant une table sur laquelle à gauche figure une plante en pot ».73 Il

s’agit donc d’un ouvrage beaucoup plus rigoureux qu’un simple inventaire. Il nous permet de mieux connaître l’artiste, mais aussi de protéger l’intégrité de ses œuvres, et c’est là qu’il trouve toute sa valeur, puisqu’il sera beaucoup plus problématique de vendre une œuvre contrefaite lorsque celle-ci ne se retrouve pas dans le catalogue raisonné de l’artiste. De ce fait, on en conclut que le catalogue raisonné a également un effet dissuasif sur la contrefaçon.74 Il est même décrit comme « l’instrument du savoir et du pouvoir de

l’expertise ».75 En effet, la croissance du marché de l’art et du nombre de ventes auprès des

68 Ibid à la p 20. 69 Ibid.

70 Marcel Huquet, supra note 64 à la p 47. 71 Ibid.

72 Ibid à la p 48. 73 Ibid à la p 46. 74 Ibid.

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maisons d’enchères au cours des dernières années a eu pour résultat de « concéder à l’auteur du catalogue raisonné un grand pouvoir ».76

Quoique le support choisi n’ait pas d’impact sur l’autorité du catalogue raisonné, certaines règles générales dictent sa conception. Celui-ci présente normalement les œuvres de l’artiste en ordre chronologique dans le temps ou par thème.77 On y recense généralement les œuvres

qui ont été authentifiées avec certitude et les renseignements y correspondant, mais certains cataloguistes incluent parfois les œuvres dont l’authenticité n’est pas établie avec certitude dans une différente section de l’ouvrage.78 Pour chaque œuvre cataloguée, on doit y retrouver

le titre, les dimensions, la date de création ou d’exécution, le support, l’emplacement de la signature et sa qualité ainsi que sa localisation à l’heure actuelle.79 Ensuite, l’on retrouve

parfois l’historique de l’œuvre, c’est-à-dire toute information concernant sa période de conception, ainsi qu’une analyse esthétique, qui informe sur le style et qui met en évidence le vocabulaire pictural pour « susciter chez le lecteur un sentiment, une émotion et lui offrir une meilleure compréhension […] ».80 Enfin, il est important de donner une liste des

expositions dans lesquelles l’œuvre a été exposée et tous les transferts de propriété qu’elle a subis par des ventes, successions ou donations depuis sa création.81 En effet, pour que le

catalogue soit caractérisé de « raisonné », il doit inclure des éléments de provenance, selon François-Marc Gagnon, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Montréal.82 Ainsi, le

catalogue raisonné informe certes sur l’authenticité de l’œuvre, mais comme nous le verrons dans le prochain chapitre, une provenance complète et exhaustive peut aussi permettre de prouver ou confirmer l’authenticité d’une œuvre.

Le catalogue raisonné, comme nous le voyons, est un outil indispensable au sein du marché de l’art, surtout pour les collectionneurs et les acheteurs. Malheureusement, dans plusieurs endroits du monde, et d’ailleurs au Québec, il est très peu utilisé et se fait rare83 : seulement

76 Ibid.

77 Ibid à la p 22. 78 Ibid.

79 Ibid; Marcel Huquet, supra note 64 à la p 46. 80 Naïma Jornod, supra note 63 à la p 23. 81 Ibid.

82 Marcel Huquet, supra note 64 à la p 46. 83 Marcel Huquet, supra note 64.

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une dizaine d’artistes québécois font l’objet d’un catalogue raisonné, dont Jean-Paul Riopelle, Paul-Émile Borduas, Charles Daudelin et Marcel Barbeau.84 Il convient d’évoquer

que même si l’inclusion d’une œuvre dans un catalogue raisonné a beaucoup d’influence sur son authenticité, sa non-inclusion ne signifie pas nécessairement qu’elle n’est pas authentique.85 Par exemple, l’ayant droit ou les héritiers de l’artiste pourraient préférer ne

pas voir apparaître une œuvre en particulier dans le catalogue, pour des raisons personnelles. Également, il peut ne pas être possible de répertorier une œuvre si elle n’a jamais été cataloguée, vendue ou connue du public auparavant. Ainsi, le catalogue raisonné est un ouvrage constamment en développement, qui n’est jamais réellement achevé et qui « reste toujours à faire et à parfaire »86 au fil du temps. La difficulté qui s’ajoute à ce contexte est

qu’il est laborieux de conserver des informations qui circulent de mains en mains à chaque transfert de propriété sur différents supports et selon différentes normes. La fiabilité des informations concernant une œuvre peut donc être remise en cause pour cette raison.

Le certificat d’authenticité, pour sa part, peut accompagner l’œuvre afin d’en attester l’authenticité de façon officielle. Or, il n’existe pas de normes quant à la délivrance de tels documents et encore moins de lois à cet effet. Quoiqu’il puisse augmenter la valeur de l’œuvre considérablement, il n’est pas obligatoire qu’une œuvre soit accompagnée d’un tel certificat. Certes, différentes méthodes peuvent permettre d’assurer la véracité du certificat, par exemple l’utilisation d’un timbre à sec, ou la légalisation de l’expertise.87 Il peut

néanmoins être difficile de s’y retrouver, car le certificat d’authenticité peut être délivré par quiconque : galeries d’art, vendeurs privés, artistes, sites Internet, maisons d’enchères en personne ou en ligne. Plusieurs sites Internet offrent des modèles de certificats d’authenticité qui peuvent être remplis et imprimés très facilement. En tout état de cause, ce document devrait être infalsifiable puisqu’il a pour cause première de prouver l’authenticité de l’œuvre. Malheureusement, très peu d’œuvres sont accompagnées d’un certificat d’authenticité véritablement infalsifiable.

84 François Le Moine, supra note 18 à la p 28. 85 Naïma Jornod, supra note 63 à la p 21. 86 Ibid.

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Quoiqu’il n’y ait pas de standards établis, un certificat d’authenticité valide devrait en général comprendre le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, la date de création, ses dimensions et les matériaux utilisés de même que le nombre de reproductions effectuées. Il est aussi important, si ce n’est pas l’artiste qui a signé le certificat, d’indiquer le titre et les qualifications de l’expert ou de la personne qui a délivré le certificat, de même que ses coordonnées. Le certificat d’authenticité sera parfois accompagné d’une photographie de l’œuvre. Dans certains cas, un reçu authentique ou une preuve d’achat à l’artiste directement ou à son représentant direct peuvent permettre de confirmer l’authenticité de ce certificat. Aujourd’hui, certaines méthodes permettent d’augmenter la fiabilité des certificats d’authenticité, tels que des codes QR, qui peuvent être apposés sur l’œuvre ou sur le certificat afin d’accéder plus rapidement aux informations relatives à son authenticité et garantir sa rareté. Autrement, en l’absence d’un certificat, l’expertise et le rapport d’expertise d’un spécialiste pourraient servir pour démontrer l’authenticité de l’œuvre. Force est de constater qu’avec le niveau de fiabilité actuel des certificats d’authenticité, les expertises sont considérablement plus crédibles.

1.3. La nécessité de l’expertise en authentification : un domaine en crise

Pour terminer ce premier chapitre, nous aborderons la réalité actuelle du marché de l’art, qui est considérée comme étant en crise. En effet, le nombre grandissant de litiges attribuables à des authentifications erronées plonge le marché de l’art dans des circonstances improbables. Plusieurs fondations d’artistes, experts ou professeurs d’histoire de l’art refusent maintenant d’authentifier des œuvres en raison des coûts associés aux poursuites dont ils peuvent faire l’objet. Ils évitent même de donner leur opinion à quiconque si celle-ci peut affecter la valeur de l’œuvre.88 Par exemple, dans l’affaire Bilinski v Keith Haring

Found. Inc., des collectionneurs d’art ont poursuivi la fondation au nom de Keith Haring

après que celle-ci ait infirmé l’authenticité de 111 œuvres de l’artiste.89 À la suite de ce

procès, la fondation a cessé d’authentifier les œuvres de Haring en raison de la menace

88 Justine Mitsuko Bonner, supra note 23 à la p 31.

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