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Le paradoxe d’une régulation autosuffisante pour le marché de l’art

PARTIE 1 – PORTRAIT HOLISTIQUE DU MARCHÉ DE L’ART : PRINCIPAU

2. Esquisses de la provenance de l’œuvre d’art : un concept abstrait, mais essentiel

3.3. Le paradoxe d’une régulation autosuffisante pour le marché de l’art

Le contexte actuel, que nous avons pu constater dans les deux derniers chapitres, a su favoriser des mouvements pour l’implantation de nouvelles lois, surtout dans le domaine du blanchiment d’argent. Il est donc important d’abord de comprendre le fonctionnement du marché en ce sens. En soi, l’art est une marchandise pouvant être transférée facilement d’une frontière à l’autre, ce qui permet le blanchiment d’argent sans avoir recours à une banque ou tout autre service financier.155 Sur le marché, on peut donc observer la situation suivante : un

individu vend une œuvre de peu de valeur à un autre individu, mais lui émet une facture qui établit frauduleusement que l’œuvre a une valeur de 1 million de dollars. Par la suite, l’acheteur transfère les fonds au vendeur sans que personne ne puisse réellement suspecter une activité illégitime, puisque la facture vient justifier le transfert.156

D’un côté, des acteurs du marché de l’art soutiennent que les marchands d’art devraient être exclus des règlementations normalement applicables aux institutions financières, considérant que la valeur de l’art est subjective, contrairement aux autres actifs d’investissement, tels que les métaux précieux. D’ailleurs, la plupart des maisons de vente aux enchères sont des entreprises privées. La seule exception serait Sotheby’s, qui est une société cotée en bourse. D’un autre côté, il semblerait que la régulation du marché pourrait fixer de nombreux problèmes de transparence. Il faut noter que de nombreuses lois existent déjà pour les

155 Deloitte et ArtTactic, supra note 147 à la p 215. 156 Ibid.

questions économiques du marché de l’art. Depuis janvier 2020, tous les états européens doivent transposer dans leur législation la directive 2018/843 sur la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.157

Cette directive, qui s’applique maintenant au monde de l’art, oblige les entités qui procèdent à la vente d’œuvre d’art d’adopter de nouvelles approches pour réduire le blanchiment d’argent.158 En somme, les marchands d’arts doivent maintenant implanter des mesures leur

permettant de détecter les activités suspicieuses.159 Cette initiative semble intéressante, mais

force est de constater que de telles lois ont rarement permis de régler le problème directement. Par exemple, la création du Conseil des ventes en France en 2000, qui visait à régir le marché de l’art après la libéralisation des lois sur les enchères, n’a pas permis d’empêcher de nombreux scandales, comme celui des cols rouges à la maison d’enchères Drouot, en 2009, révélant l’existence d’un réseau criminel important de vols et de recels d’œuvres d’art par des acteurs de confiance.160 Pour certains, il existe déjà assez de lois sur le marché et toute

intervention additionnelle du gouvernement ne serait que futile.161 Il faudrait plutôt favoriser

une application plus stricte et efficace des règles déjà en place. Enfin, il semblerait que l’équilibre devrait être priorisé pour les questions de réglementation.

De toute évidence, il est nécessaire que les acheteurs et collectionneurs soient bien informés quant aux raisons qui entourent les enjeux de transparence sur le marché de l’art. Dans la plupart des cas, une transparence parfaite est impossible. Comme nous avons pu le constater, un grand nombre de transactions sont effectuées de façon anonyme et une plus grande transparence constitue ainsi une menace pour certains. La confidentialité est un aspect important du marché de l’art, vu les sommes astronomiques investies dans des œuvres. Les principes du marché vont d’ailleurs à l’encontre de la publication intégrale et publique des

157 Directive 2018/843 du Parlement europééen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive (UE)

2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE.

158 Deloitte et ArtTactic, supra note 147 aux pp 216‑217. 159 Ibid à la p 219.

160 Pascale Robert-Diard, « Le paradis perdu des « cols rouges » de Drouot », LeMonde.fr (26 mars 2016), en ligne : LeMonde.fr <https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/03/26/le-paradis-perdu-des-cols- rouges-de-drouot_4890461_1653578.html>.

161 Isaac Kaplan, « Should the Art Market Be More Heavily Regulated? » (23 mai 2016), en ligne : Artsy <https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-should-the-art-market-be-more-heavily-regulated>.

informations concernant les ventes : une affaire de 2013 de la Cour d’appel de New York162

a d’ailleurs annulé une décision selon laquelle un contrat de vente aux enchères était nul si l’on ne pouvait identifier le vendeur. Par cette décision, la Cour d’appel a reconnu les risques qu’une telle publication pourrait causer sur le marché de l’art et a décidé que les coordonnées du commissaire-priseur ou de l’agent du vendeur étaient suffisantes.

Le troisième et dernier chapitre de la première partie de ce mémoire nous a fait découvrir un marché où règne une tendance et un désir pour l’anonymat et la confidentialité. D’autant plus, nous avons vu qu’il existe de nombreux critères justifiant de la valeur d’une œuvre d’art, et que les prix ne reflétaient pas toujours cette valeur réelle. Il devient alors difficile pour quiconque n’ayant pas les connaissances de ce marché de s’y intégrer et de s’y retrouver. Ce contexte a pour effet d’augmenter le manque de transparence sur le marché de façon considérable, mais il ne faut pas mettre de côté qu’il y a de nombreuses conséquences à une transparence trop soutenue pour ce marché singulier. En effet, le libre accès aux informations relatives aux prix sur le marché de l’art pourrait nuire à de nombreux acteurs, dont les artistes. Enfin, il demeure qu’un tel contexte mérite une attention particulière en matière d’encadrement, mais nous avons aussi vu qu’une réglementation trop sévère serait inutile.

Nous avons pu voir dans la première partie de ce mémoire que le marché est instable : une information qui est dite vraie à un certain moment pourrait être démentie par la suite s’il s’opère un changement de consensus sur le marché. La vérité repose donc sur ce consensus entre les principaux acteurs de l’industrie. Dans une même lignée, il est nécessaire de permettre l’accès aux informations concernant la provenance d’une œuvre pour régler les problèmes de confiance et de transparence, mais nous avons vu qu’il était difficile d’assurer la conservation et même la publication de ces données. D’autant plus, leur fiabilité est constamment remise en cause du fait que les documents qui assurent l’authenticité et la provenance d’une œuvre peuvent facilement être falsifiés, égarés, endommagés ou détruits. Également, l’on remarque qu’il n’existe pas d’autorité de confiance sur le marché pour contrôler l’accès à ces renseignements, et encore moins de coordination entre les différents

162 William J Jenack Estate Appraisers & Auctioneers Inc v Rabizadeh, 2013 NY Slip Op 08373 [22 NY3d 470] (NY Court of Appeals).

acteurs et intermédiaires qui sont responsables de les conserver. La fragmentation du marché à ce niveau occasionne dans certains cas l’exclusion de nouveaux collectionneurs ou investisseurs et augmente les risques de désinvolture lors de la fixation des prix. À ces difficultés s’ajoute le fait qu’une grande partie des transactions ayant lieu sur le marché sont anonymes, et ce volontairement. Nous avons aussi abordé le fait qu’une transparence totale pourrait être nuisible à certains, et que la tendance sur le marché semble plutôt aller dans le sens contraire. Pour terminer, il devient évident que le marché de l’art devra prendre compte du contexte actuel et éventuellement exploiter les nouvelles technologies à sa disposition afin de normaliser la situation que nous venons d’exposer.

PARTIE 2 – NOUVEAU PARADIGME POUR LE MARCHÉ DE