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LE CONTRÔLE A POSTERIORI DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN FRANCE ET EN COLOMBIE, CONSTRUCTION

SOUS-SECTION 2 L’IMPOSSIBLE OPPOSITION AU SOUVERAIN

Le droit de contester les actes normatifs était limité par la prérogative du Souverain de confirmation des dispositions édictées. Les royaumes de France et d’Espagne étaient tous deux fondés sur la notion de monarchie absolue. Cette puissance permettait au monarque de dicter la loi, et cela même en s’écartant de l’avis de ses conseilleurs. Sur ce point, les méthodes des Français et des Castillans divergeaient : les premiers utilisaient le « Lit de justice », tandis que les Castillans préféraient la simple confirmation de l’acte. Le clivage de la différence de la procédure était marqué par la manière d’imposer sa volonté, plus solennelle les Français que chez les Castillans.

Le « Lit de justice » exprimait en effet la puissance inhérente à la présence physique du roi. Cette expression désignait, plus concrètement, « …l’estrade majestueusement drapée et surmontée d’un dais où se situe le trône du Roi lorsqu’il vient siéger au

Parlement »239. Réapparu dans le lexique du droit constitutionnel grâce au Doyen

Vedel, le terme exprime l’ultima ratio : l’« enregistrement d’autorité »240. Cela avait

lieu dans l’enceinte du Parlement où le roi siégeait et décrétait l’enregistrement

forcé de ses lettres accompagné de l’ensemble de sa cour241. Étant donné le

caractère nécessaire de certaines remontrances, le « Lit de justice » n’était pas toujours une procédure déclenchée242.

Tel que racontée par Jules Flammermont et Olivier-Martin, cette cérémonie était déclenchée par les lettres de jussion quand un acte préventif et impératif était désobéi. Cette désobéissance et le refus d’enregistrement entraînaient ainsi ladite cérémonie, laquelle était le préambule à l’apparition d’un « Lit de justice » L’efficacité du « Lit de justice » sera néanmoins remise en question. En effet,

239 HAROUEL, J-L. « Lit de justice », in Dictionnaire de l’Ancien Régime, op.cit, p.746-748. Il parait que les historiens

du droit constitutionnel ne sont pas encore mise d’accord sur l’identité du « lit de justice » vis-à-vis une autre formalité dénommé « séance royale », v. : HANLEY, S. Le Lit de Justice des Rois de France : l’idéologie constitutionnelle dans la

légende, le rituel et le discours. Aubier, Paris, 1991, 467p. (trad. fr., éd. originale 1983) ; STOREZ-BRANCOURT. « « C'est légal parce que je le veux…, op.cit, p.65-67.

240 « S’il s’agit d’un enregistrement d’autorité, le cérémonial est exactement le même et les formules employées

identiques. Mais le discours du premier président, les réquisitions de l’avocat du roi, tout en restant humbles et soumis, marquent le dissentiment qui sépare le roi de sa cour. Il reste que l’enregistrement en lit de justice n’est nullement un coup de force dans la plus lointaine tradition, et conforme à l’exacte conception des rapports qui existent entre le roi, souverain justicier et souverain législateur, et ses « amés et féaux » conseillers, les gens tenaient sa cour de Parlement. » OLIVIER-MARTIN, Fr. Les Lois du Roi, op.cit, p.347.

241 Ibidem, p.346-347 ; v. également : FLAMMERMONT. Le Chancelier Maupeou…, op.cit, p.139 et ss.

242 D’où que le roi ait fait mention le plus souvent des remontrances, exprimées sous sa déclaration interprétation dans les

termes suivantes : « les « très humbles représentations » de sa cour (Exemple du 8 octobre 1731) » ; Cf., le Code Louis XV, t.IV, p.196-201, cité par : OLIVIER-MARTIN, Fr. Les Lois du Roi, op.cit, p.334.

l’encadrement des remontrances en tant que « droit de libre vérification » des ordonnances du roi devint un véritable obstacle à cause de l’essor des revendications des Parlements à occuper une place prépondérante dans les affaires de la Couronne.

A l’instar du royaume de France, face à la réticence des autorités de la Vice- royauté de Nouvelle-Grenade, la Couronne de Castille a dû trouver une procédure propre afin de forcer l’exécution des normes édictées à l’encontre du droit local. La version castillane de l’« enregistrement d’autorité » n’avait toutefois pas l’allure solennelle du « Lit de Justice ». Il s’agissait davantage d’une nouvelle Real cédula portant confirmation de sa première décision. La procédure peut ainsi être schématisée de la manière suivante : premièrement, face à un acte normatif contraire au droit local, les autorités de la vice-royauté contestaient son application par un refus très respectueux, et la Real cédula était écartée. Cet écart était sans conséquences sur la nature souveraine du roi. Puis, dans un second temps, le roi pouvait accepter le refus respectueux de ses agents, ou insister et confirmer sa décision. Pour ce faire, il renvoyait une nouvelle cédula ; ce type d’acte portait le titre de auxiliatorias243 ou real cédula de secours.

Cette typologie était l’exception de la règle d’exécution. Elle trouvait son fondement dans la Compilation des Lois des Indes de 1680, titre premier, livre deuxième, leyes

xxxix244 et xxxx245. Celles-ci obligeaient l’exécution forcée d’un acte normatif s’il était

fondé sur une nouvelle cédula à auxiliaire, qui était le résultat de la réitération de la volonté royale. Ainsi, cet acte pouvait la rendre inexcusable ou persuasive aux autorités coloniales. Le premier exemple, la ley xxxix, commandait « aux autorités en Indes d’obéir et non exécuter les Cédulas, normes et dépêches octroyées par nos

243 LIRA MONTT. « Las cédulas auxiliatorias en el derecho indiano », REVISTA CHILENA DE HISTORIA DEL

DERECHO (n° 9). Universidad de Chile, Santiago de Chili, 2012, p.111-121

[http://www.historiadelderecho.uchile.cl/index.php/RCHD/article/viewFile/25684/27014]

244 « Ley XXXIX. Mandamos á los Virreyes, Presidentes y Oidores, Governadores y Iusticias de las Indias, que

obecezcan y no cumplan las Cedulas, Privisiones y otros qualesquier despachos dados por nuestros Reales Consejos, si no fueren pasados por el de las Indias, y despachada por él nuestra Real Cedula de cumplimento, y de ninguna forma permitan, que se use de comisiones dadas, y que se diere por el Consejo Real de las Ordenes para visitar los Comedores, Cavalleros y Freyles de ellas, sin preceder este despacho, y las recojan y remitan originales á nuestro Consejo de Indias, y constatando que los Visitadores hubieren pasado á aquellas Provincias sin licencia nuestra, despachada por el dicho Consejo de Indias, los hagan venir luego á estos Reynos, y no los cõsientan en ellas. Y en lo que toca á las provisiones para informaciones de Abitos, por ahora no hagan novedad, hasta que den. »

245 « Ley XXXX. Otrosí Mandamos á los Virreyes, Presidentes, Audiencias, Gobernadores y otras qualesquier Iusticias

de todas nuestra Indias, Islas y Tierrassfirme del Mar Oceano, que no me permitan se execute ninguna pragmática de las que se promulgaren en estos Reynos, si por especial Cedula nuestra, despachada por el Consejo de Indias no se mandare guardar en aquellas Provincias. »

Conseils royaux, sous la condition d’avoir passé préalablement par le Conseil des Indes ». Le seconde, la ley xxxx, poursuivait la même idée. Elle exigeait « aux autorités en Indes d’empêcher l’exécution de toute norme promulguée dans nos Royaumes, sauf si une Cédula spéciale a été dépêché par le Conseil des Indes ». En somme, l’esprit de ces deux lois était la quintessence dudit principe-recours, lequel ne saurait être remise en cause parce que fondé dans l’autorité même du roi. Ces textes renvoyaient à une compétence retirée par le roi au Conseil Suprême des Indes en vertu de la via reservada.

Pour poursuivre la comparaison, il convient d’examiner séparément ce qui relève des ressemblances entre les royaumes sub examine puis, dans un deuxième moment, des différences. Concernant les ressemblances, il faut reconnaitre, dans un premier temps, que ces deux anciens régimes sont liés par la sentence Princeps legibus

solutus est. La puissance législative n’appartient qu’au roi, et ceci s’applique autant

au royaume de France qu’en Nouvelle-Grenade. Ce point commun est la pleine reconnaissance de l’autorité royale, dont les remontrances et la supplication sont des mécanismes de limitation ou nuancement. Les mécanismes juridiques évoqués

supra sont des formes de « rationalisation » de la puissance royale ou encore des

dispositifs mettant l’accent sur l’importance du sens de la retenue. La remise en

question de l’autorité du roi, de l’autoritas246, n’est pas l’objectif du droit de

remontrances ou du principe-recours de supplication. L’Ancien Régime était fondé sur le profond respect de la personne du monarque, sacré et de droit divin, et le but desdits mécanismes était de contester l’exécution des lois du roi, et non leur source. Dès lors, l’utilisation d’un contre-recours n’est guère une bizarrerie puisqu’elle servait à confirmer les décisions souveraines du roi. Outre toute discussion sur l’importance de la lutte des Parlements contre le roi, il convient de remarquer, d’emblée, que ce corps avait l’avantage d’enregistrer certains actes normatifs et ainsi d’empêcher l’exécution de la volonté souveraine du roi. De plus, le roi faisait tout son possible pour s'imposer devant ses cours souveraines.

Dans un deuxième temps, les différences dans la comparaison résidaient dans la manière de réaffirmer l’autorité royale. Celles-ci ne s’exprimaient pas de la même façon dans les deux royaumes. Certains éléments d’un héritage du contentieux de

lois conduisent à poser la question suivante : qui était le gardien de l’« ordre constitutionnel » ? Le roi jouait, en principe, ce rôle. Cela justifie le refus de l’octroi de la puissance législative et le « Lit de justice », tantôt la real cédula de secours (auxiliatoria) exprimaient cette volonté de garder pour soi la conservation ou la défense de l’« ordre constitutionnel » face aux éléments étrangers à la volonté du Souverain. Toutefois, tenter de lire entre les lignes révèlera que la puissance législative, si elle dépassait les bornes de Lois fondamentales du royaume, serait contrôlée. À cet égard, la parole de Talleyrand devient pertinente : « L’histoire entière de la Monarchie n’offrait rien de semblable. On avait vu des Princes du sang résister, les armes à la main, à la puissance du Roi ; on n’en avait point vu essayer de

poser des bornes constitutionnelles à son autorité »247. Pour Gojosso les

remontrances des Parlements faisaient partie d’un « dialogue » entretenu avec le roi248.

La vocation du Droit des Indes montre, en revanche, comment ce dialogue incertain – incertain puisqu’il avait lieu lors de l’application de la formule « J’obéis, mais je n’exécute pas » – n’a pas toujours servi à garantir les caprices du roi, mais aussi la sauvegarde d’une certaine justice sociale249. Les Reales Cédulas avaient en effet pour

but le développement économique et social des Indes occidentales. Bien entendu, il pouvait arriver que les normes véhiculant une telle intention furent quelquefois contestées et il vaut mieux être prudent quant à la portée desdits mécanismes, car il gardait toujours le dernier mot. Si les Parlements et le Conseil Suprême des Indes pouvaient imposer quelques contraintes à l’exercice débordé du pouvoir royal, leurs portées n’était que relative250.

C’est ainsi que le « dialogue » entre le roi et les autorités de la Nouvelle-Grenade concernaient les intérêts les plus variés. Toutefois, la discussion conduisait invariablement vers la question de l’« ordre constitutionnel »251.

247 Cité par EGRET. La pré-révolution, op.cit, p.191.

248 GOJOSSO, E. « Le contrôle de constitutionnalité des lois …, op.cit, 21p.

249 MALANGON PINZON. « Leyes negociadas, grupos de interés y Congreso », in La Constitución por construir.

Balance de una década de cambio institucional. Centro Editorial Universidad del Rosario, Bogota, 2001, p.150-160.

250 Ainsi pour reprendre les mots de Michel Troper et de Véronique Champeil-Desplats, « la contrainte est une situation

de fait », ainsi qu’une situation de géographique en Nouvelle-Grenade.

251 « Le vice-roi doit savoir fermer les yeux et parfois d’ailleurs profiter des mœurs locales pour faire lui-même un petit

commerce. On a là un mélange de dévotion aux institutions et de sans-gêne vis-à-vis de la légalité dont le XVIIe siècle

voit l’épanouissement. L’esprit chrétien joue aussi. La loi est très attentive à la protection des faibles : les Indiens, les prisonniers, les femmes. » BENASSY-BERLING. Sor Juana Inés, op.cit, p.29.

CHAPITRE 2.