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LE CONTRÔLE A POSTERIORI DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN FRANCE ET EN COLOMBIE, CONSTRUCTION

PRÉSENCE DU CONTRÔLE DES ACTES NORMATIFS DANS LE PROTO-CONSTITUTIONNALISME

Le droit de l’Ancien Régime était soumis à un ordre monolithique, mais le XVIIIème siècle allait marquer le début d’une période de décadence amenant peu à

peu à une autre manière de voir et faire le droit. Penser « un droit constitutionnel avant le droit constitutionnel »134 est possible, de même que

songer à un « ordre constitutionnel » avant l’invention même du terme135. Une

telle notion est en effet bel et bien différente sous l’Ancien Régime de celle rencontrée dans le droit public contemporain136. L’« ordre constitutionnel » des

monarchies a toutefois été bâti sur une base de respect de l’autorité émanant d’un lien vassalique structurant la hiérarchie. Ne suffit-il pas, pour mieux le comprendre, d’affirmer qu’il peut y avoir de l’ordre sans État, mais qu’il n’y a pas y avoir d’État sans ordre ? Les royaumes de France et d’Espagne furent ainsi édifiés au XVIIIème siècle à partir de principes stricts.

Un « constitutionnalisme coutumier »137 était un point commun aux deux

royaumes, de même que le fait de posséder un corpus de lois, lesquels devinrent très sophistiqués. Concernant la Vice-royauté de la Nouvelle-Grenade138, les

codifications les plus connues étaient les Sept parties – promulguées à travers l’Ordonnance d’Alcala en 1348 –, la Nouvelle compilation des Lois des Indes de 1680 et la Très nouvelle (novísima) compilation de 1805, cette dernière demeurant en vigueur jusqu’à l’indépendance de Nouvelle-Grenade. Pour ce qui

134 SAINT-BONNET, F. « Un droit constitutionnel avant le droit constitutionnel ? », Droits (n°32). PUF, Paris, 2000,

p.7.

135 PICHOT-BRAVARD. Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe-XIXème siècle) : Les discours, les organes et les procédés juridiques. L.G.D.J., Paris, 2011, 522p.

136 LEBEN, Ch. « De quelques doctrines de l’ordre juridique », Droits (n° 33 : L'ordre juridique ?). PUF, Paris, 2001,

p.19-39 ; BEAUD, O. « Ordre constitutionnel et ordre parlementaire. Une relecture à partir de Santi Romano ». Droits (n° 33). p.73-95 ; HALPERIN, J-L. « L’apparition et la portée de la notion d’ordre juridique dans la doctrine

internationaliste du XIXème siècle », Droits (n°33). p.41-52.

137 PICHOT-BRAVARD. Conserver l’ordre, op.cit., p.16-17.

138 Pour approfondir cet aspect sous le règne des Habsbourg, v. : LEVENE, R. Introducción a la historia del derecho

indiano. Editor Valerio Abeledo, Buenos Aires, 1924, 351p. ; pour des aspects généraux et complémentaires, v. : OTS

CAPDEQUI. Instituciones. Illusrado con grabados intercalados en el texto. Salvat Editores S.A., Barcelone, 1958, p.233-248 ; GARCÍA GALLO. « La legislación indiana de 1636 a 1680 y la Recopilación de 1680 », in Anuario de

Historia del Derecho Español (n°49). BOE, Madrid, 1979, p.99-120 ; SÁNCHEZ BELLA. « Hallazgo de la ‘Recopilación de las Indias’ de León Pinelo », in Jahrbuch für Geschichte von Staat Wirtschaft und Gesellschaft Lateinamerikas (n°47) [*Annuaire de l’Histoire de l’Amérique Latine]. 1987, p.135-178.

est du Royaume de France, les tentatives de schématisation normative furent rares, mais se feront plus fréquentes à partir du XVIIème siècle139. Les

ordonnances de Villers-Cotterêts d’août 1539140, l’édit de Moulins de février

1566, le « Code Louis » du 20 avril 1667, le malheureux Code Noir141 et l’œuvre

du chancelier d’Aguesseau142 en sont de bons exemples. Mais il nous faut ici à

mettre l’accent sur un autre point important : le contenu desdits corpus étaient le résultat de la systématisation des normes émanant de la volonté royale et des normes coutumières.

Comment dès lors interpréter ces deux phénomènes ? Peuvent-ils s’envisager comme une mise en évidence des progrès de l’Ancien Régime pour atteindre la structuration positive d’un ordre juridique ? Certes il a existé une volonté de systématisation des normes édictées, de même qu’une manifestation de la force centripète de l’absolutisme143, mais une remarque préliminaire s’impose

toutefois à cet égard. Même s’il est difficile à présent de déterminer quelle était l’importance de ces textes pour les juristes de l’époque, force est de constater qu’ils représentent une grande valeur, perceptible que de nos jours du fait de l’élargissement d’un objet d’études tel que le droit constitutionnel. Or c’est justement en vertu de lui qu’il est possible d’y voir la mise en forme d’un ordonnancement plus ou moins articulé.

Bien qu’il soit en effet établi que la conscience d’un ordre supérieur à la volonté du monarque a représenté le scénario de base, ce n’est qu’après les révolutions libérales du XVIIIème siècle que les processus de cristallisation du droit

commencent à être envisagés de façon rétrospective. Le droit public n’a pas constitué l’exception. Il devait y avoir une sorte de dépassement des adages soutenant le droit divin, dont le roi n’était pas tenu de respecter l’ordre, lui-

139 CERDA-GUZMAN. Codification et constitutionnalisation. Fondation Varenne, Clermont-Ferrand, 2011, p.116 et ss. ;

OLIVIER-MARTIN, Fr. Histoire du droit français. Dès origines à la Révolution (3e éd.). Editions CNRS, Paris, 2010,

p.397-400 ; OLIVIER-MARTIN, Fr. Les Lois du Roi. L.G.D.J., Paris, 1997, p.263-277.

140 CARBASSE ; LEYTE. L’Etat royal (XIIe-XVIIIème siècle). Une ontologie. PUF, Paris, 2004, p.210-212.

141 Code Noir (présenté par NIORT, J-Fr, 26p.). Dalloz, 2012, Paris, 55p.

142 CORVOL-DESSERT. « Ordonnances », in Dictionnaire de l’Ancien Régime. Royaume de France XVIe-XIIIe siècle

(BELY, L, dir.). PUF-Quadrige, Paris, 1996, p.934.

143 La thèse d’Aude Zaradny sur la Codification s’exprime à ce sujet employant l’expression « efforts de

systématisation » et « lien de codification et centralisation du pouvoir », v. ZARADNY, A. Codification et Etat de droit, 911 p. Thèse, Droit, Paris-II, 2011, p.27-34 ; CERDA-GUZMAN. Codification et constitutionnalisation, op.cit, p.386- 391.

même en étant la source : Ubi Papa, ibi ordo… ubi est princeps, ibi solemnitas. Les monarques avaient pleine conscience de l’autorité dont ils étaient investis afin de mettre en œuvre leur volonté, toutefois, celle-ci devait être véhiculée. Telle était, dès lors, la fonction du droit formel. La seconde moitié du XVIIIème siècle

marque ainsi la disparition de l’État de justice144 et l’avènement de l’État de droit

moderne. Paradoxalement, ces deux phénomènes eurent lieu au cœur même de l’« État royal ».

Pour analyser convenablement l’affirmation précédente, il nous faut à présent prendre en compte deux éléments complémentaires : les actes normatifs en tant qu’expression progressive de la puissance royale (Sous-section 1. Les actes

normatifs) ; et leur interaction avec d’autres normes leur imposant des limites

(Sous-section 2. Évolutions de l’« ordre constitutionnel » au XVIIIème siècle).