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LE CONTRÔLE A POSTERIORI DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN FRANCE ET EN COLOMBIE, CONSTRUCTION

L’« ORDRE CONSTITUTIONNEL » AU XVIII ÈME SIÈCLE

La perte d’autonomie du Conseil des Indes est l’une des conséquences du changement dans les rapports entre la Couronne et ses corps. Suite à l’adoption de la Real cédula de 1717, le Conseil ne s’interpose plus entre les désirs du roi et les besoins néo-grenadins. Néanmoins, tant au sein du royaume de France que de la Vice-royauté de la Nouvelle-Grenade, un tout autre type de force normative affleure pour faire face au souverain. Il s’agit du prototype de l’« ordre constitutionnel ». Au XVIIIème siècle, le royaume de France devient en effet le

terrain d’une série de luttes entre les corps mystiques pour changer la perception de ce qu’était « la loi du roi ». La transformation de ce regard mérite deux remarques.

La première porte sur les traditions française et castillane. Toutes deux furent forgées à la paire dans une série de coutumes spécifiques à chaque royaume, mais qui n’étaient pas forcement différentes entre elles. Il existait, par exemple, un consensus sur le concept de « Lois fondamentales du royaume »166, bien que

les deux royaumes ne possédaient pas les mêmes. La seconde remarque vise à souligner le fait que la suprématie desdites lois fondamentales encadrait le pouvoir du Souverain. Il était considéré mutatis mutandis le gardien de la

164 Cette Real cédula ordonna le traitement préalable des démarche juridictionnelles en Indes avant de les envoyer au roi ;

v. OTS CAPDEQUI. « El Siglo XVIII español en América », Jornadas (n°30). Colegio de México – Centro de Estudios Sociales, México D.F., p.18.

165 Cette Real cédula ordonna aux Vice-rois et gouverneurs de garder très soigneusement les archives où étaient gardées

les reales cédulas et d’autres actes normatives émises par le roi. Le but est de conserver les instructions exercer l’administration d’après les mandats du roi, le roi Bourbon le cas échéant. D’ailleurs, d’après l’auteur du texte référé par la suite, lors de la nomination d’un nouveau vice-roi une Real cédula daté du 18 décembre 1771 lui ordonna accomplir les anciens actes normatifs de cette nature, même s’ils étaient adressés à son antécesseur ; v. OTS CAPDEQUI. « El Siglo

XVIII español…, op.cit, p.32-33.

166 PICQ, J. Une histoire de l’Etat en Europe. Pouvoir, justice et droit du Moyen Age à nos jours. Presses de la fondation

nationale des sciences politiques, Paris, 2009, p.103 et ss ; pour le royaume de France v. : SAINT-BONNET ; SASSIER.

Histoire des institutions, op.cit, p.257-267 ; PICHOT-BRAVARD. Histoire constitutionnelle des Parlements de l’Ancien Régime. Ellipses Editions Marketing S.A., Paris, 2012, p.45-51 ; pour le royaume de Castille v. : GIBERT. « La sucesión al trono en la monarquia española », in Recueils de la Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions (n°

Constitution du royaume167, mais il gardait le dernier mot parce que sa parole, sa

volonté, faisaient loi168. La « justice retenue et déléguée » lui permettait, par

exemple, de garder pour soi l’ensemble des facultés dérivées de la Couronne169,

même si les corps intermédiaires contrariaient sa volonté. Les Parlements et le Conseil Suprême des Indes pouvaient, tous deux, agir au nom du roi et constituaient une sorte de filtre d’une puissance dite sans bornes et émanant directement de Dieu d’après la mythologie monarchique.

Sous l’Ancien Régime, la France et la Nouvelle-Grenade jouissaient d’un « ordre constitutionnel » bien plus tangible encore lors des conflits entre les corps et l’autorité royale. Néanmoins, les « Lois fondamentales du royaume » ne sont qu’un des éléments de l’histoire de ces deux pays qui façonnent le rapport entre leurs cultures constitutionnelles et le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois. La dynamique qui se dégage d’une telle hiérarchie normative émergente amènera notre analyse sur un terrain processuel. Ce « constitutionnalisme coutumier » comprend les normes patrimoniales de la Couronne et d’autres dont le but était d’assurer le maintien et le respect d’une structure supérieure à la volonté royale. La limitation de l’arbitraire au XVIIIème

siècle commence peu à peu à intégrer le processus de décadence, voire de métamorphose progressive, de l’ordre constitutionnel monarchique. Par ailleurs, l’arrivée de la Ilustración ou l’« esprit des Lumières » en Nouvelle-Grenade et la grande distance entre les colonies et la Métropole, permettra à ces territoires de développer d’autres rapports avec la naissante limitation de l’absolutisme.

Certes, dans la pratique à l’époque, il semblerait que la cible des conflits aient, à l’époque, été les actes normatifs. L’activisme des Parlements de l’Ancien Régime et la permissivité du Conseil Supérieur des Indes ont édifié l’ancêtre du contentieux constitutionnel des lois. La révolte des Parlements à la veille de la chute du règne des Bourbons170 et les mesures normatives prises par le roi

167 PICHOT-BRAVARD. Conserver l’ordre, op.cit, p.302-303.

168 Livre premier de la République, chapitre VIII (De la souveraineté), Cf., BODIN. Les six livres de la République ;

OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français. Suivi de Les Parlements contre l’Abolutisme au XVIIIème siècle.

L.G.D.J., Paris, 1997, p.104-118.

169 Un point de vu plus profonde est exposé par : BEAUD, O. La puissance de l’État, op.cit, p.153-178.

170 OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français, op.cit, p.345 et ss ; EGERT, J. Louis XV et l’opposition

d’Espagne en Nouvelle-Grenade171 marquent l’apparition de certains traits qui

conditionneront désormais l’apparition du contrôle a posteriori de constitutionnalité. En France tout d’abord, la convocation des États généraux172 a

marqué la fin de l’Ancien Régime français, précipitée par une vague de remontrances en 1787 dans le contexte d’une révolte des Parlements ayant eu lieu entre 1751 et 1771. Puis en Espagne où le roi adopte des actes pour miner l’autonomie – déjà traditionnelle – des Indes occidentales. Certains aspects élémentaires seront expliqués par la suite pour assurer la compréhension de la problématique des évolutions de l’ordre constitutionnel d’un point de vue comparatiste.

Dans un premier temps, la coutume était la matière primaire du proto- constitutionnalisme, toutefois, la nature même de la Vice-royauté de Nouvelle- Grenade exigeait des variations. Ce territoire était très éloigné de la Métropole et ses habitants étaient des individus ayant investi et payé eux-mêmes leur voyage en Amérique173. Ils avaient des normes et des autorités propres, et cet ordre

juridique spécial174 était protégé par le principe-recours de « J’obéis, mais je

n’exécute pas »175. Il s’agit à la fois d’un « principe » puisqu’il encadre des

critères d’exécutions entre ordres normatifs différents, et d’un « recours » parce qu’il a une portée pratique en droit positif. Ce pilier du « constitutionnalisme coutumier » a été institué par La Compilation des lois des Indes de 1680, sur la loi vingt-deuxième (ley xxii), titre premier, livre second. Ainsi, s’il fallait, dans l’hypothèse d’un doute sur l’application du droit de la Métropole ou du Droit indiano, le premier était subsidiaire parce que le droit local était prioritaire. Telle était l’héritage castillan, ce n’était guère une règle d’exception176. C’est

pourquoi la fonction du Conseil Suprême des Indes a justement été une fonction

171 Elles seront expliquées et abordées par la suite.

172 OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français, op.cit, p.517 et ss.

173 Ots Capdequi affirme que la peu subvention économique des rois catholiques produit que les peu de colons ayant

voyagé aux Indes occidentales, se sont identifié comme des hommes libres et sans engagements onéreux, ou pas plus que le lien vassalique. Par conséquente – toujours Ots Capdequí – la société s’est attachée à sa liberté et leur droit : les normes spéciales fournies par le Droit indiano. V. : OTS CAPDEQUI. Instituciones, op.cit, p.3-8.

174 Même le paysage et la faune étaient autres ; à ce sujet v. OSPINA, W. Ursua. Points, Paris, 2010, 441p.

175 Celui s’expliquera après en détaille, toutefois qu’il est possible d’affirmer que son but était la primauté du droit local

sur le droit métropolitain à cause de la possibilité toujours présente d’une injustice – vices de subreption et d’obreption –, issue de sa méconnaissance du monarque lors de l’expédition d’une Real cédula, par exemple.

de suspension ou de rationalisation de l’exécution des actes normatifs du roi dans les territoires outre-Atlantique.

En termes d’histoire constitutionnelle comparée, la ley xxii n’est ni une coïncidence, ni un phénomène isolé. Premièrement, parce qu’il est possible de retracer son apparition en Droit des Indes grâce à des textes aussi anciens que le Sumario de Aguiar y Acuña (Sommaire), daté de 1628177. Celui-ci consacrait en

effet déjà quelques dispositions au recours-principe. Toutefois, du point de vue normativiste, ce principe-recours vît officiellement le jour le 3 juin 1620, d’après la note en marge de la Compilation des lois des Indes de 1680178. Les historiens

relient ledit principe aux coutumes enregistrées par d’autres actes normatifs fondamentaux179, à savoir, le Fuero Juzgo180 de 1241, la Ley de Toro181 (les lois de

Taureau) de 1505 et les Siete Partidas182 (Sept parties) d’Alphonse X. Or la

défense de l’autonomie se trouvait au cœur du « constitutionnalisme coutumier » néo-grenadin183. Considérant qu’il s’exprimait par le refus d’exécuter la volonté

royale, il est difficile de ne pas y voir une ressemblance avec de la remise en question des normes du monde contemporain.

177 C’est un ‘projet’ de corpus normatif très populaire. Bien qu’il soit un texte apocryphe, il ne faut pas négliger sa valeur.

La réalisation du Sommaire d’Aguiar et Acuña fut commandé par le roi, mais après son échec à cause de l’absence de sanction royale il fut amplement diffusé pour des finalités aussi pratiques que pédagogiques : l’instruction des fonctionnaires de la Couronne. Cette qualité l’encadre parmi les événements qu’a propulsée la création de la Compilation des lois des Indes de 1680, v. : AGUIRA Y ACUÑA. Sumario de la recopilación general de las leyes, ordenanzas... para

la Indias Occidentales, Islas y tierra firme del mar océano. Madrid, Juan González, 1628 (document imprimé, acheté par

la Bibliothèque Nationale Espagnole [BNE] en 2011).

178 D’un point de vue normativiste, ce principe-recours voit officiellement le jour le 3 juin 1620, d’après la note à la

marge de la Compilation des lois des Indes de 1680 ; v., l’édition numérisée sur le site internet du Congrès de Pérou [http://www.congreso.gob.pe/ntley/Default.asp].

179 ARROYO MORENO. « El origen del juicio de amparo », in La génesis de los derechos humanos en México.

(MORENO-BONETT ; GONZÁLEZ, dirs.). (1e éd.). UNAM, México D.F., 2006, p.46-55

[http://biblio.juridicas.unam.mx/libros/5/2289/6.pdf]

180 Ley II, Titre Premier : « Si le roi agisse conformément au droit peut rester roi ; si le détourne perte son titre. Et les

anciens avaient ce proverbe : roi tu demeuras lorsque tu fais ce qui correct... le roi doit avoir deux vertus: la justice et la vérité. » (Traduction libre de l’auteur). El Fuero Juzgo o Leyes de los Godos. p.10.

181 En ce qui concerne les Leyes de Toro (Lois de Taureau) il faut faire juste une remarque : elle établit une sorte de

hiérarchie dans l’exécution des actes normatifs (ley première), v. : PACHECO, J-Fr. Comentario histórico, crítico y

jurídico a las Leyes de Toro (Obras jurídicas de don Joaquín Francisco Pacheco ; v. 6). Imprenta de Manuel Tello,

Madrid, 1862, p.18-21.

182 Les lois 29, 30 et 31, du XVIII titre de la Troisième partie, sont un monument à l’importance du droit dans l’exécution

des actes normatifs. La ley xxix : Que les lettres contre la Foi soient sans valeur, ainsi celles contre les droits du Roi ; la

ley xxx : n'aura de valeur une lettre contraire au droit ; la ley XXXI : n'aura de valeur une lettre contraire au droit naturel ; v. BERNI Y CATALÁ. Apuntamientos sobre las Leyes de Partida, al tenor de leyes recopiladas, autos acordados, autores españoles, y practica moderna. Librería de Angel Corradi, Madrid, 1759, p.134 (2 vol.).

183 MALANGON PINZON. Vivir en Policía. Una contralectura a los orígenes del derecho administrativo colombiano.

Deuxièmement, un tel phénomène s’est également présenté dans le royaume de France au XIVème siècle. Selon les termes de François Olivier-Martin, « les

ordonnances prescrivent aux cours souveraines de ne pas obéir aux lettres de justice quand elles reposent sur un exposé incomplet ou mensonger, qui a déterminé à mal escient la décision du roi (lettres subreptices et obreptices… »184. Ce genre de recours pouvait également dégénérer en abus.

L’enregistrement des actes normatifs édictés par le roi était relevait alors des Parlements et une telle fonction n’était pas fondée sur une obéissance aveugle de leur part ; ils pouvaient ainsi exercer le droit de Remontrance185, celui-ci étant

l’équivalent du principe-recours de « J’obéis, mais je n’exécute pas ». Malgré sa formulation, la remontrance était un droit puisqu’elle n’était pas aussi concrète qu’un recours et ni aussi abstraite qu’un principe.

L’intolérance envers l’interférence des corps intermédiaires dans l’exercice du pouvoir devint traditionnelle à partir de Louis XIV186. En principe, le droit

remontrance était restreint dans la mesure où « il leur était interdit de faire de leur propre initiative des remontrances sur les actes de l'administration ou sur les lois qui ne leur étaient pas adressées », mais il est réapparu d’une façon vraisemblablement incontrôlée à partir du règne de Louis XV. Dès lors, le prestige des « Lois fondamentales du royaume » ainsi que la personne même du roi se verront remis en question. En 1751, basés sur des arguments historique187

et sur le mécontent de certains de leurs membres188, les Parlements entreprirent

184 La suite de la citation : «, ou quand la cour les juge inciviles ou déraisonnables. Les lettes non enregistrées par les

cours (p.581) demeurent sans effet ; cependant le roi peut toujours, après un nouvel examen, en ordonner l’exécution, car le dernier mot doit lui rester. » OLIVIER-MARTIN. Histoire du droit français, op.cit, p.580 ; OLIVIER-MARTIN, Fr.

Les lois…, op.cit, p.259 et ss ; SAINT-BONNET, Fr. « Le parlement, juge constitutionnel (XVIe-XVIIIème siècle) », Droits

(n° 34). PUF, Paris, 2002, p.179.

185 OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français, op.cit, p.274-275.

186 PICHOT-BRAVARD. Histoire constitutionnelle, op.cit, p.65-76 ; OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français,

op.cit, p.105.

187 « Auparavant, ils furent la seule force d’opposition existant encore dans la France de Louis XV. « Corps

intermédiaires » selon Montesquieu, ils apparurent comme une garantie, plus ou moins satisfaisante contre le « despotisme ministériel’ dont était créditée la monarchie administrative. A la faveur de la lutte contre le Conseil, la bulle et le fisc, ils développèrent une critique de plus en plus pessimiste et véhémente qui tirait son origine d’une tradition désormais bien établit. (…) Dès lors, le Parlement tel qu’il existe n’est-il qu’une forme dégénérée (Hotman) ou bien, par l’enregistrement, le dernier gardien de l’ancienne liberté, « l’alambic de cet ordre public », le lieu où se noue « l’obéissance des sujets avec les commandements de leur prince » (Pasquier) ? S’inspirant de textes frondeurs, les auteurs proparlementaires du XVIIIème siècle assurèrent que la cour représentait les assemblées de la nation franque aux

origines de la monarchie. » CHALINE, O. « Parlements », in Dictionnaire de l’Ancien Régime (BELY, Lucien, dir.). PUF-Quadrige, Paris, 1996, p.964 ; « Si le Parlement est né avec la monarchie, la justice qu’il rend n’est pas « déléguée » ou subordonnée mais consubstantielle au régime où le roi est légitime parce que juste. » SAINT-BONNET, Fr. « Le

parlement, juge constitutionnel…, op.cit, p.185 ; PICHOT-BRAVARD. Conserver l'ordre, op.cit, p.249-279 ;

des actions détériorant leurs rapports avec le roi ; dont l’invention d’une nouvelle notion évoquant « la conformité de la loi nouvelle, non seulement avec les intérêts de l’État, mais avec les lois fondamentales du royaume »189.

Dans un second temps, un autre éclairage utile à la compréhension de la présente analyse porte sur les nouveaux éléments du « constitutionnalisme coutumier » français sous Louis XV. Ces éléments apparaissent lors de l’utilisation des remontrances. Contrario sensu, ce genre de revendications était connaturelle au Droit des Indes. Le Conseil Suprême des Indes se montrait assez permissif quant à la formation et à la construction d’un ordre exclusif des Vice-royautés. Or cette tradition fut interrompue au couronnement du premier Bourbon en Espagne. Dorénavant, les corps intermédiaires furent aussi contraints au silence. Autrement qu’en Nouvelle-Grenade, Louis XV n’a pas pu éviter l’essor de la théorie « des classes »190 et de la monarchie tempérée.

La polémique suscitée par l’affaire des « billets de confession » entraina la révolte, dont les Parlements en fronde défiant systématiquement le roi de France. Cette crise ne toucha à sa fin qu’après des peines d’exile infligées par le roi aux magistrats suite à la fameuse Séance de la Flagellation du 3 mars 1766. Cette époque présente de remarquables particularités. Fondé sur l’autorité divine du roi, l’« ordre constitutionnel » se voit affaibli par des théories subversives191 et la pratique exacerbée du droit de remontrance. C’est au cours de

cette séance de Flagellation que le roi a invoqué les « véritables lois fondamentales de l’État », en parvenant ainsi à rétablir l’ordre perdu. Cette attitude peut s’interpréter comme une importance croissante des formes juridiques, néanmoins, les rapports entre les corps ont subi une transformation radicale qui avait déjà affectée l’autorité royale, faisant de leur capacité à

189 OLIVIER-MARTIN, Fr. L’Absolutisme français, op.cit, p.421.

190 A à ce sujet Pichot-Bravard écrit : « En 1756 est dépoussiérée la théorie de classes, a été élaborée en 1648. Le lien de

solidarité qu’elle crée entre les différentes Parlements est une arme subversive redoutable ». Puis il continue dans la note en bas de page numéro 473 : « Le Chancelier Lamoingnon a peut-être contribué par sa maladresse à l’élaboration de cette théorie. Dans les années 1750, le Chancelier prend l’habitude de convoquer à Versailles les magistrats trop turbulents, leur faisant faire antichambre plusieurs semaines avant de les recevoir. Convoqués au même moment, les magistrats de cours très éloignées les unes des autres ont eu ainsi l’occasion de lier connaissance et de concentrer leurs actions. » PICHOT-BRAVARD. Conserver l’ordre, op.cit, p. 299.

191 ARGENSON, R-L. Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France, comparé avec celui des

contester les actes normatifs du roi une arme pour se défendre contre toute altération à l’ordre établi.

Le roi de Castille siégeait depuis la Métropole. À la différence de ce qui se passe en France, en Nouvelle-Grenade les rapports entre le souverain et ses sujets étaient problématiques parce que lointains. Le « constitutionnalisme coutumier » en Amérique était encadré par les mêmes normes fondamentales qui encadraient le droit péninsulaire. De tout son cœur , le roi de Castille et des Indes désirait affermir le lien avec entre la Métropole et ses royaumes satellites, lequel restait fragile. C’est ainsi qu’il édicta des reales cédulas visant une double stratégie. Il ordonna d’emblée l’enregistrement et la conservation de toute Real cédula désormais expédiée192 ; puis, il adopta des dispositions contraires aux coutumes

locales et que le roi exécuterait en dépit des observations et suspensions recommandées par les vice-rois. Tel fut le cas des reales cédulas du 29 juin 1720193, du 22 mai 1721194, du 25 mai 1722195, du 25 janvier 1723196. Il y a tout

de même eu quelques exceptions197.

Avant le règne de Philippe V, le droit écrit renforçait non seulement l’exécution du recours-principe, mais aussi d’actes normatifs émis par le Conseil Suprême des Indes. Ainsi, par exemple, la Real cédula datée du 11 février 1697 et qui exigeait une contribution tributaire destinée à la défense militaire du royaume, sera aussitôt contestée par une autre cédula à cause de la difficulté de sa mise en œuvre. C’est par la Real cédula 29 octobre 1709 ordonnant aux autorités des Indes occidentales de « suspendre l’exécution [de toute Real cédula] lorsqu’il y ait des problèmes, à condition d’informer la Couronne »198. À partir de 1717, le

principe-recours, dit « J’obéis, mais je n’exécute pas », a donc dû s’incliner au profit des intérêts de la Métropole. Dès lors, depuis la mise en place d’un style