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LE CONTRÔLE A POSTERIORI DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN FRANCE ET EN COLOMBIE, CONSTRUCTION

DU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS

L’actualité du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois en France et en Colombie pousse à se poser la question des fondements de ces dispositifs permettant son exercice, ces fondements théoriques et historiques. L’histoire constitutionnelle comparée permet de poser la question de l’adoption de la QPC : est-elle l’acceptation tardive de sa culture constitutionnelle hexagonale, ou peut- être une l’évolution ? La même question est d’ailleurs également valide pour la Colombie. C’est pourquoi il apparait pertinent d’étudier désormais la relativisation de la valeur de la loi au profit d’un autre type de norme de supérieure hiérarchie lors du passage au XIXème siècle.

Ce constitutionnalisme révolutionnaire n’a pas fait tabula rasa du legs proto- constitutionnaliste, bien que la République française et ses demi-sœurs néo- grenadines aient remis en cause ses grandes lignes suite à la promulgation des premiers textes constitutionnels. Le noyau philosophique du contrôle de constitutionnalité consistue toutefois l’un des vestiges de l’Ancien Régime qui permettront de façonner la pratique et la théorie des contraintes à l’« expression de la volonté générale » jusqu’au XXème siècle. Des pratiques similaires au sein

des Parlements de l’Ancien Régime ont produit la raréfaction du sens originaire des Lois fondamentales du royaume, d’une part, et ont, d’autre part, produit l’affermissement du désir d’autonomie, suivi de celui d’indépendance, des Indes occidentales277.

277 Cela n’admet pas, pourtant, une interprétation naïve, car le constitutionnalisme a été bel et bien prolixe, mais cette

prolixité a été due souvent aux intérêts de la « politique politicienne ». Il ne faut pas oublier les ces architectes d’un nouvel domaine du droit étaient dans un contexte de rupture, où la guerre et les intrigues subreptices étaient la déco et le rideau de fond pour quelque chose que ne relève que du droit constitutionnel. La différence entre cette posture-là et la

véritable révolution est marquée par radicalisation de la Révolution – la Terreur, France – et les séquelles de la « guerre

sans merci » (guerra a muerte) des armées des révolutionnaires Latino-américains contre la Couronne espagnole. Désormais, la raison et la force se sont mis d’accord pour la debellatio des structures anciennes au profit du progrès, du constitutionnalisme.

Entre 1791 et 1815 la France adopta sept textes constitutionnels278, mais ce

chiffre est dépassé par la Nouvelle-Grenade sur une période beaucoup plus courte. De 1810 à 1815, de nombreux actes d’assemblées, juntas ou cabildos279,

et constitutions politiques furent promulguées280. Cette frénésie créatrice atteste

de l’absence d’un seul modèle stable à suivre pour les révolutionnaires des deux côtés de l’Atlantique281.

Cette remarque n’empêche guère de trouver un élément fédérateur au sein de l’œuvre constitutionnelle des pays sub examine. L’ensemble des textes ont été rédigés sous l’égide de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789). Sa première traduction, réalisée en Nouvelle-Grenade en 1793282 par Antonio

Nariño est la preuve de son influence. Ultérieurement, en 1811, les constitutionnalistes républicains de Tunja y introduiront un catalogue des droits et libertés sur le corpus de la Constitution. La bourgeoisie néo-grenadine, laquelle souhaitait assurer la liberté par le droit constitutionnel positif, entretenait un lien très étroit avec les idées françaises283. Ceci vaut également

pour son lien avec le constitutionnalisme et l’histoire de l’indépendance des colonies anglaises en Amérique du Nord, notamment à travers Miguel de Pombo, grand connaisseur du constitutionnalisme étatsunien de l’époque284. Ces

postures renvoient à la rationalisation du pouvoir politique par la voie d’une

278 MORABITO. Histoire constitutionnelle, op.cit, p.13.

279 Le professeur Marquardt affirme qu’une partie de l’historiographie colombienne avait brouillé – un peu gauchement –

entre les déclarations des provinces spontanées de 1810 et leurs déclarations d’indépendance. Bien qu’il soit vrai que les provinces se sont prononcées lors de l’affaiblissement de la Couronne en 1808, ces documents ne voulaient affirmer leur indépendance. Le but de ceux-ci était de gagner une certaine autonomie, tout en restant attachées à la Couronne. Or, il n’y a pas eu désobéissance, mais plutôt un sentiment royaliste transposé dans une clameur. Ainsi, par exemple, l’une des actes des cabildos était intitulée « Acta de la "très loyale Ville de Santiago de Cali du Gouvernement de Popayán" », du 10 juillet 1810 ; v. : MARQUARDT. Los dos siglos… (1 Vol.), op.cit, p.104-105 ; v. les sources dans une version éditée : QUINTERO ; MARTÍNEZ. Actas de formación de juntas y declaraciones de independencia (1809-1822). Reales

Audiencias de Quito, Caracas y Santa Fe. UIS, Bucaramanga (Colombie), 2008, t.I, 245 et ss ; t.II, p.7-248.

280 Entre les recherches de Isidro Vanegas il est possible compter, par exemple, 19 textes constitutionnels. 281 AGUILAR RIVERA. Reflexiones, op.cit, p.19-27.

282 POMBO ; GUERRA. Constituciones de Colombia (2ª éd.). Imprimeria “La Luz”, Bogota, 1911, t.1., p.46-47 ;

LOMNÉ, G. « 1794, ou l’année de la « sourde rumeur », la faillite de l’absolutisme éclairé dans la vice-royauté de Nouvelle-Grenade », Annales historiques de la Révolution française (n° 365). A. Collin, Paris, 2011, p.9-29.

283 Pour connaître une vision de l’Indépendance de la Nouvelle-Grenade attachée à la tradition intellectuelle française v. :

URUEÑA CERVERA. Nariño, Torres y la revolución francesa. Ediciones Aurora, Bogota, 2007, 262p ; il faut ajouter à cet égard qu’il y avait même des „Salons“ de discussion des idées d’avangarde et de la presse écrite à la fin du XVIII. Cela à permi à certains d’apprendre certaines idées venues de le France. Pour en savoir plus v. SILVA, R. « La

Revolución Francesa en el Papel Periódico de Santa Fe de Bogota », Panoramas de nuestra américa (n°4, América ante la

revolución francesa). UNAM, 1993, México D.F., 1993, p.31-43.

284 POMBO, M de. Discurso sobre los principios y ventajas del sistema federativo. La propuesta federal. (SIERRA, R.

éd.). Universidad Nacional de Colombia, Bogota, 2010, 23-120 ; PARRA, L. « La recepción neogranadina…, op.cit, p.45.

structure juridique. Tel était d’ailleurs le contenu de l’article 16285 de la

Déclaration de 1789. La garantie des droits et la consécration du principe de la séparation des pouvoirs sont une condition sine qua non à l’obtention d‘une Constitution.

Ces principes communs jetaient un pont entre l’Occident et sa Périphérie. Ainsi, le phénomène des Cahiers de doléances –la littérature pamphlétaire sous la Révolution en général – trouve des échos néo-grenadins, dont les Capitulations de Zipaquirá, le Memorial de Agravios, Cartas de Suba (« Lettres de Suba »), les Fondements de l’indépendance d’Amérique (« Fundamentos de la independencia de América »)286 et de nombreux actes locaux d’indépendance. Le résultat n’a

cependant pas été le même. Ceux-ci n’ont pas débouché sur une réunion des États Généraux ou des Cortes, toutefois la comparaison entre constitutionnalisme français et colombien ne perd pas sa pertinence en partant des ressemblances vers la différence. Ainsi, la création de ce dernier peut être considérée comme la manifestation du mécontentement des élites dans un dépassement de certains acquis du proto-constitutionnalisme. Or, les différentes tendances et discussions théoriques (Sous-section 1. Perspectives et théories

sur le contrôle de constitutionnalité des lois au XIXème siècle) ont eu un

impact direct sur les débats politiques pour la mise en œuvre (Sous-section 2.

Le contrôle de constitutionnalité des lois dans les débats constituants) des

« formes primitives » de contrôle a posteriori des lois du droit constitutionnel positif.

SOUS-SECTION 1. PERSPECTIVES ET THÉORIES SUR LE CONTRÔLE