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LE CONTRÔLE A POSTERIORI DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN FRANCE ET EN COLOMBIE, CONSTRUCTION

LE DÉVELOPPEMENT ET L’ESSOR DU CONTRÔLE A POSTERIOR

Le début du XIXème siècle s’apparente à un volcan en éruption pour la France et la

Colombie ; la terre hurle avec violence, mais le magma finit toujours par refroidir. La métaphore qui illustre le mieux l’évolution du contrôle de constitutionnalité dans les pays sub examine est ainsi celle d’un monstre qui se réveille surexcité mais qui ne tarde pas à retomber dans un profond sommeil. Après la chute de Napoléon Ie (1815) et l’Indépendance définitive de la Nouvelle-

Grenade (1819), les évolutions du constitutionnalisme n’ont pu se présenter que de manière lente et irrégulière, inconstante. De tels adjectifs s’appliquent toutefois à chacun des cas dans des proportions variables.

Notons, tout d’abord que la France connut peu de sursauts dans le domaine du contrôle de constitutionnalité des lois, même si elle présenta d’importants changements en matière de régime politique, ou, plus généralement, dans ses fondements constitutionnels. La Colombie, elle, contrairement de la France, présenta des progrès dans ce domaine. Cette disparité, à peine évoquée ici, se doit d’être étudiée avec soins, exigeant pour cela de retracer l’essentiel de l’histoire constitutionnelle de chacun des deux pays et d’ainsi construire les bases d’une solide comparaison.

Le second stade de développement du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois aborde, d’un côté, sa léthargie et, de l’autre, la réapparition conduisant à une sorte de consolidation ou d’effondrement. De telles métamorphoses ne se sont d’ailleurs pas présentées de façon pure et simple. Au contraire, les transformations qui commencent par la léthargie et finissent par la consolidation sont marquées par l’hétérogénéité des éléments au sein d’un ensemble530, de

même qu’elles ont été embourbées par les crises politiques. Il s’agit d’ailleurs ici

530 À cet égard, il faut mettre en lumière l’une des conseils du Doyen Maurice Hauriou sur le caractère « naturel et

spontané » du droit constitutionnel ; v. HAURIOU, M. Précis de droit constitutionnel, op. (2e éd.). Sirey, Paris, 1929, p.2

de l’un des ingrédients les plus importants du développent droit constitutionnel531.

Le présent stade peut se diviser en trois moments plus ou moins identifiables, quoique dépourvus d’un lien unique de cohérence interne. Premièrement, les années comprises entre 1815 et 1950. Au cours de cette période, il est possible d’identifier deux moments apportant des nuances importantes à la compréhension de l’apparition des évolutions du contrôle a posteriori, tant en France qu’en Colombie. Deuxièmement, l’autre moment de ce stade a lieu au cours des cinq dernières décennies du XXème siècle. Enfin, troisièmement, le

passage entre le XXème et le XXIème.

Il est inévitable, sur ce point, de s’adresser quelques critiques, parmi lesquelles la plus « pointue » sera l’asymétrie des laps à traiter ; trois arguments permettront ainsi de comprendre pourquoi l’asymétrie n’entraîne pas indissolublement l’absence de rigueur. Primo, les périodes en question sont délimitées en fonction des événements concernant les lignes de lecture conduisant à l’évolution du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois. Deuzio, l’analyse en droit comparé requiert une méthode qui parte d’une ressemblance structurelle pour ensuite aller à la recherche des différences. Dans le cas échéant, la France comme la Colombie tentèrent d’opérer sur le créneau des constitutions écrites et d’une sorte de volonté pour le préserver – id est, le constitutionnalisme –, qui s’était d’ailleurs manifestée avec l’adoption de dispositifs favorables audit contrôle. Tertio, les événements délimitant les temps de la comparaison ne sont pas reliés entre eux par des liens de causalité, mais par des liens téléologiques, ce qui signifie que les événements comparés conduisent tous vers une même fin : l’adoption du contrôle en tant qu’élément essentiel du droit constitutionnel contemporain.

Afin d’adoucir les disparités évoquées ci-dessus, il convient d’imposer un ordre précis à notre exposé. Le verbe imposer pourrait sembler sévère, mais la

531 Idibem, p.293 et ss ; HUMMEL, J. « Histoire et temporalité constitutionnelles. Hauriou et l’écriture de l’histoire

constitutionnelle », Juspoliticum, n° 6 [http://juspoliticum.com/article/Jacky-Hummel-dir-Les-conflits-constitutionnels- Le-droit-constitutionnel-a-l-epreuve-de-l-histoire-et-du-politique-2010-362.html]

théorisation des « cycles »532,« oscillations »533 ou « vagues »534 dans l’histoire

constitutionnelle française et colombienne exige une adaptation lorsque le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois est mis en lumière. À cet égard, la théorie de Maurice Hauriou est certes une référence incontournable, pourtant, il s’était lui-même prononcé sur la prédominance du fond sur la forme dans ce genre de démonstrations. C’est pourquoi, la présente analyse doit permettre de montrer une évolution tout en acceptant les critiques adressées aux études de ce genre et dont le but est la mise en ordre d’événements parfois chaotiques535.

Il nous faudra également énoncer quelques aspects généraux de l’histoire constitutionnelle des pays examinés afin de légitimer notre comparaison. L’un des principes que partagent la France et la Colombie est que le nombre de constitutions politiques promulguées diminue au fur et à mesure qu’elles rentrent dans le XXème siècle. De telle sorte que la Constitution du 4 octobre 1958

demeure en vigueur jusqu’à nos jours ; pareil pour la Colombie dont la Constitution du 5 août 1886 restera en vigueur jusqu’en 1991. D’où le fait de pouvoir s’y référer, de façon quelque peu naïve, en termes de « Constitution centenaire ». En revanche, l’histoire constitutionnelle du XIXème apparait bien

plus prolifique du point de vue quantitatif. L’instabilité politique eut un fort impact dans le domaine du droit constitutionnel en générant plusieurs textes normatifs censés répondre aux besoins des régimes politiques ou à l’organisation étatique choisie.

De plus, l’arrière-fond de ce processus mené par les États sub examine est la mise en œuvre d’institutions de souche libérale sur les cendre d’un monde plus ancien, jadis édifié par les Bourbons. Ainsi, du fait du fardeau de la tradition, l’avant-dernier siècle peut être considéré comme une période de transition. D’un côté, en France, un tel phénomène fut tempéré au moment de la Restauration et de la succession des différents régimes à venir536. Toutefois, d’un autre côté, en

532 HAURIOU, M. Précis de droit constitutionnel (2e éd.), op.cit, p.85-110.

533 DESLANDRES, M. Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à 1870, op.cit, p.4. 534 MARQUARDT. Los dos siglos del Estado Constitucional…, op.cit

535 Pour approfondir v. HUMMEL, J. « Histoire et temporalité constitutionnelles…, op.cit. 536 PONTEIL. Les institutions de la France de 1814 à 1870. PUF, Paris, 1966, 489p.

Colombie, cette substitution des structures juridico-constitutionnelles issues des circonstances politiques se déroula d’une autre manière. Il n’y eut que peu d’hésitations sur le régime politique537, tandis que la question de savoir s'il était

opportun d’adopter ou non un type d’administration étatique devint le prétexte quasiment unique des conflits. Pour autant, la recherche de la stabilité s’est présentée sous la forme de disputes entre partisans du Centralisme et Fédéralistes538.

Ces États ont ainsi expérimenté la difficulté connaturelle à la création d’un nouveau monde à partir de concepts qui, jusqu’alors, n’avaient pas dépassés le seuil des mots. Ceci vaut pour la France539, mais dans un plus haut degré encore

pour la Colombie540, ou plutôt pour la République ayant portée le nom de

Nouvelle-Grenade. L’adoption de certains des postulats de la pensée des Lumières a constitué un pas préliminaire vers l’échange des idées d’avant-garde ; notamment parce que la route devait continuer vers la création d’idées propres en les mélangeant avec d’autres venues d’autres latitudes541. Ce rassemblement

de concepts tirés du laboratoire atlantique est, à juste titre, à l’origine de nombreuses luttes dont le centre était la création et l’adoption du modèle convenant le plus au gouvernement de nouveaux états de l’Amérique espagnole. C’est dans un tel contexte de déchirements, de ruptures et de formations de nouvelles logiques étatiques que le constitutionnalisme a commencé à prendre forme en tant que question récurrente. Ce qui nous amène à nous poser la

537 ROZO ACUÑA. Simón Bolívar, obrapolítica y constitucional. Editorial Tecnos, Madrid, 2007, p.CXXV-CL.

538 DE LA VEGA, J. La Federación en Colombia, op.cit, 253p. ; SARMIENTO CIFIENTES. « Constitución de Nueva

Granada de 1853 », in Historia constitucional de Colombia (VIDAL PERDOMO, dir.). Ed. ACJ, Bogota, 2010, t.1,

p.157-179 ; MARQUARDT. « El federalismo y el regionalismo en el constitucionalismo hispanoamericano (1810-

2009): ¿patria boba o un camino para profundizar la democracia ? », Pensamiento Jurídico (n° 24). Universidad

Nacional de Colombia, Bogota, 2009, p.79-129 ; v. également ROMÁN ROMERO ; VIDAL ORTEGA. « El Caribe

colombiano versus centro del país: rivalidades económicas en la construcción de una economía nacional 1830-1848 »,

Investigación y Desarrollo (vol.19, n° 1). Universidad del Norte Colombia, Barranquilla, 2011, p.140-165.

539 Pour connaître un avis sur la flexibilité du libéralisme une fois la Monarchie des Bourbons fut restauré : PONTEIL,

Felix. Les institutions de la France de 1814 à 1870. PUF, Paris, 1966, p.6-17.

540 GARCIA VILLEGAS. « Notas preliminares…, op.cit, p.13-48.

541 « L’illustration n’a pas été aucunement universelle en Amérique, elle n’a pas non plus survécu intacte une fois qu’elle

y fut implantée, dès lors son expansion, réduite par le conservatisme et limitée par la force de la tradition, fut marginale. » (« La ilustración de ningún modo era universal en América, ni tampoco sobrevivió intacta una vez que se implantó allí, puesto que su expansión, mermada por el conservadurismo y limitada por la tradición, fue escasa » *Trad. de l’auteur.) LYNCH, John. Hispanoamérica, 1750-1850: ensayos sobre la sociedad y el Estado. Universidad Nacional de Colombia, Bogota, 1987, p.35 ; v. également, GARGARELLA, Roberto. « Towards a Typology of Latin American

Constitutionalism, 1810–60 », Latin American Research Review (vol. 39, N°2). University of Texas Press, Austin, 2004,

question suivante : le contrôle de constitutionnalité des lois est-il resté sous le schéma de « chambre tampon »542 ? A-t-il trouvé, peut-être, une nouvelle

dynamique ? Une réponse hypothétique à cette question s’applique-t-elle des deux côtés de l’Atlantiques ? Ceci, compte tenu les évolutions historiques, bien évidemment. Et comment, dès lors, ont évolué leurs dispositifs de contrôle ? Il convient donc de définir désormais les éléments permettant la mise en œuvre d’un monitorage des évolutions conduisant au droit contentieux constitutionnel de 1814 à la deuxième décennie du XXIème siècle.

C’est d’ailleurs dans la voie ouverte à cette nouvelle dynamique juridique que le constitutionnalisme montra son véritable visage pour devenir une partie essentielle du droit constitutionnel. Sa portée n’a toutefois pas été interprétée de la même manière des deux côtés de l’océan Atlantique. Ainsi, en France, une sempiternelle méfiance envers les juges joua un rôle prépondérant dans le maintien du contrôle interne de la constitutionnalité des lois au détriment d’un autre de type externe, dit externe543. A contrario, toujours à titre d’exemple ou

d’échantillon préambulaire, un contrôle judiciaire concentré et à certains égards externe est entré plus aisément dans la culture constitutionnelle colombienne. Pourquoi ? La quête d’une réponse à cette question à double réponse doit nous conduire à confronter la forme et la structure du contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois tel qu’il est connu de nos jours. L’analyse de telles évolutions montrera en effet qu’elles se présentent d’une façon plus précipitée dans les premiers trois-quarts du XIXème siècle (Chapitre 1. Un progrès sans théorie

visible), et résolument plus lente à mesure que le XXème siècle se profilait

(Chapitre 2. Des théories sans progrès évidents).

542 Autant Marcel Morabito qu’Alain Laquièze sont d’accord sur le fait que le moment du développement du

parlementarisme en France eut lieu dans la première moitié du XIXème siècle. Puis, il faut avouer – frôlant le paradoxe –

que son acmé, de même que sa décadence, arriva sous la III et la IV République ; v. également FIORENTINO, K. La

seconde Chambre en France dans l'histoire des institutions et des idées politiques (1789-1940). Dalloz, Paris, 2008,

599p.

543 Pour consulter la nation de contrôle externe et externe de constitutionnalité v. TROPER, M. Terminer la Révolution…,

CHAPITRE 1.