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3 – Les sources matérielles

importante documentation relative au Péloponnèse des XIVe et XVe siècles issue en majeure partie des archives d’État de Venise157. Enfin, notons encore les travaux d’édition d’Antonio Rubio I Lluch en 1947 sur le duché catalan158 et de Raymond Loenertz, en 1956, sur la période de 1376 à 1383 durant laquelle la compagnie navarraise domine la Grèce159. Les neuf volumes de sources des archives de Venise édités par Konstantinos Sathas ne nous ont pas apporté de renseignements pour le début du XVe siècle160.

Les archives pontificales et monastiques

Si l’étude des femmes de la Morée franque à travers les actes de la pratique s’avère prometteuse, retrouver leurs traces dans les sources ecclésiastiques semble plus complexe. En effet, en Grèce, la plupart des monastères latins ainsi que leurs archives ont été abandonnés ou détruits entre 1260 et 1450 sur le continent et durant les siècles suivants dans les îles161. Toutefois, s’appuyant sur la documentation pontificale, plusieurs études approfondies ont été récemment menées sur les ordres religieux latins en Grèce médiévale, les relations de la papauté avec la Grèce latine ou encore sur les monastères grecs sous domination latine162. C’est donc avec un grand intérêt que nous nous sommes principalement référée à ces nouvelles recherches afin d’éclairer les relations des femmes de la Morée franque avec les institutions religieuses du Péloponnèse et les pouvoirs pontificaux en place du XIIIe au XVe siècle.

3 – Les sources matérielles

Parmi les sources non écrites, les vestiges matériels relatifs aux femmes de la Morée franque, quoique peu nombreux, comportent plusieurs éléments significatifs. Du point de vue des données numismatiques, les chantiers de fouilles principalement menés à Corinthe et à Clarence durant les dernières décennies ont permis de mettre au jour un nombre important de

157 Monumenta Peloponnesiaca. Nous y avons relevé des informations concernant l’épouse et les deux filles de Nerio Acciaiuoli, seigneur de Corinthe et duc d’Athènes, les trois filles d’Érard III Le Maure, seigneur d’Arcadia, ou Marie d’Enghien, dame d’Argos et de Nauplie.

158 RUBIO I LLUCH, Diplomatari. Il s’y trouve principalement des mentions des femmes de la maison de Brienne (proches de Gautier V à savoir : son épouse, sa sœur, sa fille et sa bru) ainsi que le testament d’Isabelle de Sabran (que nous nommons « Isabelle des Baux », voir prosopographie n° 12).

159 LOENERTZ, Hospitaliers et Navarrais, p. 319-360.

160 SATHAS Konstantinos N., Documents inédits relatifs à l’histoire de la Grèce au Moyen Âge. Documents tirés des archives de Venise (1400-1500), Paris, 1880-1890, 9 vol.

161 TSOUGARAKIS, Orders, p. 16.

162 Voir par exemple : CHRISSIS Nikolaos G., Crusading in Frankish Greece. A Study of Byzantine-Western Relations and Attitudes, 1204-1282, Turnhout, 2012 ; TSOUGARAKIS, Orders ; DELACROIX-BESNIER

Claudine, Les Dominicains et la chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles, Rome, 1997 ; PANAGOPOULOS,

Monasteries ; BROWN, Cistercians. En 2011, lors d’un séjour à l’École française d’Athènes, nous avons fait la connaissance de Ludivine Voisin dont la thèse, soutenue à Rouen, s’intitule Comme un loup poursuivant un mouton… : les monastères grecs sous domination latine (XIIIe-XVIe siècles) (sous la direction de Gilles Grivaud).

deniers tournois de la principauté. Plusieurs sont aux noms des princesses de Morée, Isabelle de Villehardouin et Mahaut de Hainaut, et de la duchesse d’Athènes Hélène Comnène Doukas. Quelques-unes de ces monnaies féminines sont aujourd’hui exposées au musée numismatique d’Athènes et ont fait l’objet d’étude et/ou de publications depuis le milieu du XIXe siècle163. Concernant la documentation sigillographique, des sceaux des princesses de Morée étaient autrefois appendus aux actes de la pratique. Mais, comme nous l’avons constaté lors de nos recherches dans les archives du Hainaut, ils ont souvent été détachés et ont aujourd’hui disparu164. Seul le sceau d’Élisabeth de Chappes, épouse du prince Geoffroy Ier de Villehardouin, est toujours attaché à son document d’origine. Daté du début du XIIIe siècle, il est aujourd’hui conservé à Troyes aux Archives départementales de l’Aube comme l’indique le catalogue des expositions sur la quatrième croisade, présentées conjointement à Blois et à Paris d’octobre 2005 à janvier 2006, dans lequel le sceau y est décrit165. Le sceau d’Isabelle de Villehardouin n’est connu que par les descriptions et reproductions de Jean Alexandre Buchon et des Italiens Luigi Cibrario et Domenico Promis166. Quant à celui de Mahaut de Hainaut, des moulages de son sceau et contre-sceau figurent au musée du Quai Branly167.

Parmi les autres vestiges archéologiques retrouvés en Grèce médiévale, peu d’éléments se rapportent aux femmes. Les travaux d’Antoine Bon ainsi que, plus récemment, de Peter Lock, Guy Sanders et Demetrios Athanasoulis ont permis de révéler les structures monumentales et architecturales de la domination franque168. C’est à l’emplacement de l’une d’elles que fut découverte la pierre tombale de la princesse Agnès de Villehardouin, épouse de Guillaume de Villehardouin. Elle a été retrouvée à Andravida sur les lieux « de l'église Saint-Jacques, aujourd'hui disparue, où avaient été enterrés les princes Geoffroy Ier, Geoffroy II et

163 BUCHON, Recherches et matériaux, p. 224-225, pl. III, n° 7 ; LAMBROS, Monnaies et bulles, p. 192 ; CARON Émile, « Trouvailles de monnaie du Moyen Âge à Delphes », dans Bulletin de correspondance hellénique, vol. 21, 1897, p. 28, 30 ; TZAMALIS, Princess, p. 59-73 ; HOHLFELDER Robert Lane, Kenchreai, Eastern Port of Corinth : Results of Investigations by the University of Chicago and Indiana University for the American School of Classical Studies at Athens, t. 3, The coins, Leiden, 1978, p. 79 ; TZAMALIS Anastasios, Τά Nοµίσµατα τῆς Φραγκοκατίας, 1184-1566, Athènes, 1981, p. 84, 86. Voir aussi : ATHANASOULIS Demetrios, BAKER Julian, « Medieval Clarentza, The coins 1999-2004, with additional medieval coin finds from the nomos of Elis », dans The Numismatic Chronicle, 168, Londres, 2008, p. 241-301, pl. 28-35 ; nombreuses publications sur les fouilles menées à Corinthe dans la revue Hesperia, vol. 61-67.

164 Nous n’avons trouvé aucun moulage de sceaux des princesses de Morée, Mahaut de Hainaut et Isabelle de Villehardouin, dans l’inventaire numérique de la collection de moulages de sceaux des Archives générales du Royaume (Belgique).

165 VILLELA-PETIT, 1204, la quatrième croisade, p. 244-245

166 BUCHON, Recherches et matériaux, p. 229, pl. IV, n° 9 ; CIBRARIO Luigi, PROMIS Domenico, Sigilli de' Principi di Savoia raccolti ed illustrati per ordine del Re Carlo Alberto, Turin, 1834, p. 232-233, pl. XXVIII, n° 161.

167 Ces moulages ne sont pas exposés. Musée du Quai Branly, n° inventaire : 75.7022 et 75.7023.

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Guillaume de Villehardouin »169. Notons également les vestiges textiles mis au jour dans l’une des tombes de l’église Sainte-Sophie à Mistra. Il s’agit d’une riche parure féminine de la première moitié du XVe siècle dont les tissus sont d’origine occidentale170. Quoique la jeune femme qui en était vêtue n’ait pu être identifiée, il s’agirait d’une princesse ayant vécu sous les règnes des despotes Théodore Ier et Théodore II Paléologue171. Enfin, en Occident, les fouilles préventives menées au couvent des cordeliers de Montbrison n’ont malheureusement pas permis de révéler si les insignes héraldiques des princes de Morée figuraient au-dessus de la sépulture de Marguerite de Savoie172.

Toutes ces sources matérielles illustrent le pouvoir des femmes nobles de la Morée franque. Mais la plupart ne sont pas des sources féminines, car elles n’ont probablement pas été produites par les femmes elles-mêmes. Il s’agit le plus souvent de commandes exécutées par les hommes. L’observation des données iconographiques contenues dans ces différents supports permettra d’analyser la représentation des femmes ainsi que leurs influences orientales et occidentales.

Au terme de la présentation de ce corpus de sources narratives, juridiques et matérielles, on peut en conclure que la majorité de la documentation rassemblée pour l’étude des femmes nobles de la Morée franque émane d’une production masculine. Si l’on ne peut constater une « écriture-femme » selon l'expression de Béatrice Didier173, quelques actes ont toutefois été produits sur demande féminine : on trouve en effet dans les sources plusieurs actes passés par les princesses Isabelle de Villehardouin et Mahaut de Hainaut ou encore des testaments. Mener des recherches sur les femmes nobles de la Morée franque c’est alors « défricher l'histoire autrement »174, notamment en recherchant dans les sources les éléments du féminin autrefois oubliés ou écartés par les analyses historiques. Aborder la question des femmes consiste également à évoquer aussi bien leur présence que leur absence. En effet, parce

169 BON, Pierres inscrites, p. 96. Voir aussi BON Antoine, « Dalle funéraire d'une princesse de Morée (XIIIe siècle) », Monuments et mémoires : Fondation Eugène Piot, XLIX, 1957, p. 129-139.

170 Parure d'une princesse byzantine tissus archéologiques de Sainte-Sophie de Mistra : Ve Ephorie des antiquités byzantines de Sparte, Genève, 2004.

171 Notons que Théodore Ier Paléologue épouse en 1384 Bartholomea Acciaiuoli, fille aînée du seigneur de Corinthe. Celle-ci est encore en vie au début du XVe siècle. Nous formulons donc l’hypothèse que les restes momifiés de la jeune femme retrouvée à Mistra pourraient être ceux de Bartholomea.

172 À ce sujet, voir GUÉRIN, Marguerite de Savoie, p. 256-257.

173 DIDIER Béatrice, L’Écriture-femme, Paris, 1981.

174 FARGE Arlette, « L'histoire ébruitée », dans L'Histoire sans qualités, DUFRANCATEL Christiane et alii, Paris, 1979, p. 20.

qu'elles sont absentes de l'élaboration des sources, il faut prendre en compte la façon dont leur présence est retranscrite.